Une république numérique plutôt frileuse

Le projet de loi pour la République numérique, porté par la secrétaire d’état Axelle Lemaire, vient d’être voté en première lecture à l’Assemblée nationale, au terme d’une semaine de débats intenses. Affichant des grandes ambitions, soumis pour la première fois à une consultation publique, le texte adopté le 26 janvier est finalement très en deça des espoirs citoyens.

Christine Tréguier  • 27 janvier 2016
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Certes il consacre l’ouverture des données détenues par les administrations et les entreprises répondant à des marchés publics, et donne à la CADA (Commission d’accès aux documents administratifs) des pouvoirs de sanctions à l’encontre des organismes qui ne s’y plieraient pas, mais il maintient quelques exceptions de taille. La Commission des lois a par exemple rejeté un amendement présenté par Christian Paul qui proposait que la totalité des documents produits par les assemblées parlementaires – rapports, statistiques, délibérations, compte rendus, etc – soient considérés comme des documents administratifs, et puissent de ce fait être rendus publics. Le Sénat et l’Assemblée divulguent déjà nombre de données, mais il semblerait que la transparence totale ne soit pas souhaitée. Autre angle mort, la communication du code source de certains logiciels qui a brièvement figuré dans le projet de loi initial avant d’être retirée. Elle aurait pu concerner le logiciel de simulation du calcul de l’impot pour les particuliers de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) dont la divulgation a été demandée par un chercheur afin d’améliorer OpenFisca, un programme en ligne permettant de calculer prestations sociales et impôts. La CADA avait donné un avis positif, estimant qu’un logiciel est bien un document administratif communicable. Mais l’affaire n’est toujours pas réglée, la DGFIP arguant du fait que « le code source peut révéler, dans son détail le plus fin, des partis pris sur l’interprétation de la doctrine fiscale » ou encore qu’il peut permettre « de développer des outils indépendants de simulation de réforme de l’impôt ».

Le texte contient un certain nombre de réponses à des problématiques spécifiques comme un droit à l’oubli renforcé pour les mineurs, qui permettra à ceux-ci de faire supprimer des images ou des contenus qui pourraient nuire à leur avenir, ou le droit à décider du devenir de ses données personnelles après sa mort. La loi pénalise également le « revenge porn » ou vengeance pornographique. La publication non autorisée de photos ou de vidéos à caractère sexuel de son ou sa partenaire coûtera désormais jusqu’à deux ans de prison et 60 000 euros d’amende. Et la CNIL se voit dotée d’un pouvoir de sanction financière accru afin d’obliger les géants du net à respecter les données personnelles. Elle pourra leur infliger des amendes allant jusqu’à 4% du chiffre d’affaire mondial et plafonnées à 20 millions d’euros (au lieu de 150 000 aujourd’hui).

D’autres mesures ont été limitées au strict minimum. Le droit de panorama autorisant les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures ne s’appliquera que si celles-ci sont « placées en permanence sur la vie publique » et réalisées « par des particuliers, à des fins non lucratives ». La portabilité des données en cas de changement de fournisseur de services est également garantie mais seules les données personnelles ( informations personnelles, adresse e-mail, photos, videos etc) seront transmises et pas les données enrichies comme les listes de lecture, les profils ou les recommandations. Les plates-formes offrant des services seront tenues à plus de transparence sur leurs conditions d’utilisation, partenaires ou suivi des avis d’utilisateurs, mais aucune modalité de contrôle n’est prévu pour vérifier si elles le feront sérieusement.

D’autres mesures annoncées ou plébiscitées par les internautes lors de la consultation publique ont tout bonnement disparu. Toute préconisation en faveur de l’usage de logiciels libres dans l’administration a été bannie du projet de loi. Au lieu de cela, un nouvel article propose de « créer un Commissariat à la souveraineté numérique rattaché aux services du Premier ministre » chargé de « l’exercice, dans le cyberespace, de la souveraineté nationale et des droits et libertés individuels et collectifs que la République protège »et de la mise en place « d’un système d’exploitation souverain et de protocoles de chiffrement des données ». La nouvelle a provoqué l’hilarité et les moqueries sur les réseaux sociaux, certains dénonçant le dernier « bidule » à la française après le plan calcul, TDF ou le D2 MacPaquet. L’article qui devait protéger les biens communs culturels de toute appropriation marchande a lui aussi sauté. Axelle Lemaire y tenait, mais les lobbies culturels, opposés à toute réécriture du droit d’auteur, ont, semble-t-il, eu l’oreille de Manuel Valls qui s’est contenté de promettre une future mission d’étude sur le sujet.

Le texte doit ensuite être discuté au Sénat à une date encore inconnue, et si, commes certains le pensent, il intègre de nouveaux articles émanant de la défunte loi Macron 2, il pourrait sortir de la procédure accélérée et faire l’objet d’une seconde navette.

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