Vous êtes muté à Dunkerque…

Trois académies en trois ans, mes débuts dans l’enseignement ont été une épreuve difficile à l’image de ce que vivent des milliers de jeunes professeurs dans tout notre pays.

Jean-Riad Kechaou  • 13 janvier 2016
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Vous êtes muté à Dunkerque…

Au début du mois d’août de cet été 2002, mon père s’était permis d’ouvrir mon courrier en y voyant le logo de l’IUFM [^2] de Lyon. J’étais parti quelques semaines après une année d’études éprouvante mais fructueuse avec l’obtention de mon CAPES [^3] dès ma première tentative, ce qui allait me jouer des tours. Il m’avait ainsi annoncé une convocation le 29 août à l’IUFM de Saint Etienne…

Au revoir Lyon

Même si Saint Etienne n’est située qu’à 70 kilomètres de la ville de banlieue lyonnaise où j’ai grandi, je n’y avais jamais mis les pieds, pas même pas pour assister au fameux derby, le match de foot qui oppose les deux clubs rivaux de la région Rhône Alpes. J’avais trouvé cela étrange de ne pas aller à l’IUFM de Lyon dans lequel j’avais suivi ma préparation au CAPES. Pour cette année de professeur stagiaire, j’avais bien l’intention de rester chez mes parents avant de prendre mon envol et rejoindre ma future épouse en région parisienne.

A l’IUFM de Saint Etienne, je comprenais rapidement que mon année de stage s’effectuerait dans le département de la Loire. L’IUFM de Lyon étant plein à craquer, on avait envoyé dans l’Ain ou dans la Loire (qui avec le Rhône composent les trois départements de l’académie de Lyon) quelques lyonnais ayant eu la mauvaise idée d’obtenir leur CAPES trop précocement. Dans l’Education Nationale, il existe bien un délit de jeunesse en tout cas pour les règles des mutations. On s’était ainsi retrouvé cinq lyonnais parmi une dizaine de stéphanois dans une réunion nous annonçant les modalités de cette année de stage.

J’avais d’emblée fait rire le groupe dans le tour de table de présentation en sortant moitié sérieux, moitié taquin : « Je viens de Lyon, je supporte l’Olympique Lyonnais et suis très déçu d’être dans cette ville ! » . Ma formatrice pédagogique m’avait rassuré et paraissait très sympathique. Et puis, je ne serai pas le premier à faire les aller-retours quotidiens entre les deux villes. Quelques heures plus tard, elle m’annonçait, désolée, que mon établissement d’affectation se situait dans le Forez à 25 kilomètres au nord de Saint Etienne, cela m’obligeait à m’installer sur place.

Très vite, des stagiaires du groupe me prirent sous leur aile pour me faire découvrir leur ville en m’aidant à trouver un appartement à des prix très éloignés de ceux pratiqués à Lyon, chose importante, car avec 1268 euros par mois pour être précis, le professeur stagiaire a des finances limitées. Au final, j’ai passé une belle année avec deux formateurs bienveillants, des lycéens adorables et certains professeurs stagiaires devenus par la suite des amis.

A Saint Etienne, ville minière et ouvrière dans l’âme, j’ai finalement vécu mon « bienvenue chez les ch’tis »… Et puis l’absence de derby cette année là, le club de Saint-Etienne jouant en ligue 2, a aussi facilité les choses !

PACS et mariage à gogo chez les professeurs stagiaires

Après la titularisation, la mutation est la seconde obsession d’un professeur stagiaire. Enseigner, c’est bien, enseigner dans son académie, c’est mieux.

Tout le monde se syndique et assiste donc à des réunions expliquant les meilleurs moyens de réussir sa mutation inter-académique, en clair tenter de rester dans son académie ou limiter la casse en étant muté dans une académie pas trop lointaine.

Pour faire simple, la hantise de tous les stagiaires, c’est la banlieue parisienne et les académies de Versailles et de Créteil. Je me souviens d’un vieux formateur, un peu paumé, nous expliquant que l’on allait souffrir en banlieue parisienne mais que les promenades à Saint Michel nous feraient oublier la difficulté du métier.

Amusé, j’observais tout ce tumulte avec des stagiaires se pacsant ou se mariant pour avoir assez de points afin d’être au dessus de la « barre » d’entrée dans l’académie de Lyon, un seuil qui change chaque année en fonction de l’offre et la demande de postes dans une académie.

Pour moi, pas de soucis, j’allais mettre Créteil en premier vœu pour y rejoindre ma dulcinée. J’avais failli me marier moi aussi en janvier mais pas besoin de Pacs ou d’un mariage précipité pour aller dans l’académie souvent considérée comme la plus difficile du pays !

Je n’avais même pas utilisé les 50 points de bonus que l’on donne aux jeunes professeurs, un pactole à utiliser une fois dans les trois premières années de sa carrière. Je les gardais précieusement pour rentrer à Lyon, plus tard…

C’est Le Nord !!!

En avril, la nouvelle m’était annoncée par le syndicat et avait provoqué, à juste titre, le rire général chez mes amis. J’étais muté dans l’académie de Lille, le Nord-Pas-de-Calais, j’avais du mal à réaliser.

De nombreux stagiaires dans les autres matières étaient envoyés à Créteil, à leur grand désarroi, et moi, on me la refusait, à mon grand désarroi aussi…

Du haut de mes 22 ans, j’étais encore trop jeune et j’avais hérité d’une académie encore moins cotée que Créteil. J’avais rassuré ma future épouse, dépitée par cette nouvelle, en lui expliquant que Lille n’était qu’à une petite heure de la gare du nord et que je rentrerai tous les soirs au bercail. Et puis, les gens du Nord ont dans le cœur….

Je m’étais cette fois-ci activé pour le second round : les mutations intra académiques. Il me fallait obtenir Lille ou sa banlieue. J’avais ainsi sélectionné les zones les plus difficiles de l’agglomération lilloise et le syndicat m’expliqua que cela serait normalement bon, le risque pour moi étant d’être expédié sur la côte d’Opale trop éloignée de Paris pour me permettre de rentrer tous les soirs.

En juin, sur une terrasse de café de la sympathique place du peuple à Saint Etienne, nous étions quelques amis à apprécier à sa juste valeur la fin de cette première année d’enseignement. Titularisés, l’été approchait et il ne manquait plus que notre lieu d’affectation pour préparer notre nouvelle vie et partir en vacances.

Saint Etienne, Lyon, Nyons, Carpentras, mes camarades de stage étaient satisfaits de leur mutation. J’avais reçu devant eux un coup de fil qui m’avait sonné comme un boxeur. « Vous êtes muté dans la zone de remplacement de Dunkerque » m’avait annoncé sur un ton très administratif une personne du syndicat. Dunkerque, le nom d’une débâcle terrible des armées franco britanniques en 1940. Ma débâcle personnelle…

Me voila donc expédié à plus de 800 kilomètres de chez moi et à 300 kilomètres de la région parisienne. Cerise sur le gâteau, je ne connaissais pas encore mon établissement, étant titulaire d’une zone de remplacement, TZR[^4] dans notre jargon. La pilule avait cette fois-ci du mal à passer.

Saint-Etienne – Dunkerque : 847 km

Capture d'écran du site Mappy.fr
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Après un déménagement rapide sur la région parisienne il me fallait faire une expédition à Dunkerque lors du fameux été 2003, celui de la canicule. Le train de Lille était bondé de jeunes souhaitant se rafraîchir sur les grandes plages de Malo-Les-Bains et Bray Dunes. Cela m’avait un peu rassuré, car sur le papier, Dunkerque, ce n’est pas la ville la plus attirante du pays avec sa gigantesque zone industrialo-portuaire.

Au rectorat de Lille, on ne m’avait donné que deux adresses d’appartements à visiter et cela s’annonçait donc bien plus compliqué, sans aucuns locaux pour m’aider dans cette tâche cette fois-ci.

Heureusement, j’avais enfin appris mon lieu d’affectation, au début du mois de juillet, Petite Synthe, une ville populaire de l’agglomération flamande. J’étais soulagé, un poste à l’année, une chance pour un professeur remplaçant m’avait-on dit. Quand on débute dans l’éducation nationale, obtenir un poste fixe est un luxe et on sert souvent de bouche trou pendant quelques années avant de prétendre à un peu de stabilité. J’avais opté pour un beau studio meublé de Malo-Les Bains à quelques dizaines de mètre d’un sympathique bord de mer bordé de maisons typiquement flamandes.

Port de Dunkerque Crédit : @FannyGenoux
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A Dunkerque, je réalisais rapidement que l’année serait bien plus difficile qu’à Saint Etienne malgré cette digue, c’est comme ça que l’on appelle le bord de mer, et la proximité de la ravissante ville de Bruges.

Je découvrais une culture différente, un climat éprouvant, des élèves difficiles et excepté pendant le carnaval (il faut vivre une fois dans sa vie le lâcher de hareng fumé devant la mairie de la ville) je n’ai pas souvent eu l’occasion de me distraire, malgré la présence de collègues sympathiques.

Le professeur néo-titulaire travaille comme un forcené (je découvrais le collège car j’avais effectué mon stage en lycée) et n’est pas conseillé. J’avais même eu la chance d’être inspecté par un homme quasiment en retraite qui avait fustigé les nouvelles méthodes d’enseignement, en vogue dans l’académie de Lyon dirigée à l’époque par Philippe Meyrieu. « Un professeur d’histoire, ça raconte des histoires » m’avait-il dit en n’oubliant pas de me mettre une sale note pour bien lancer ma carrière.

Travailler dans un établissement difficile en étant isolé donc, voilà ma vie quotidienne cette année là et celle encore aujourd’hui de milliers de jeunes professeurs qui débutent.

Lorsque ma propriétaire de Malo-les-Bains m’annonça fermement qu’il fallait libérer l’appartement le 30 juin pour les touristes, elle ne se doutait pas que j’attendais cette date comme une libération. « Ne vous inquiétez pas madame, le 1er juillet, je ne serai plus là ! »

L’histoire se finit bien, heureusement…

M’étant marié en début d’année scolaire, la date du mariage étant importante pour faire valider l’année de séparation qui procure encore plus de points au fonctionnaire demandant sa mutation, j’obtins aisément l’académie de Créteil et, luxe suprême, atterrissais même dans un collège de la ville où je résidais le week end avec un poste fixe, graal suprême pour les jeunes professeurs. Une juste récompense après une année de galère.

A Chelles, en Seine-et-Marne, je découvrais ainsi les joies d’un collège classé ZEP[^5] avec une flopée de jeunes professeurs venus de tout horizon ayant la chance d’être encadrés par des soixante-huitards expérimentés, véritables tauliers ayant fait toute leur carrière dans l’établissement. Leur présence fut une bénédiction pour nous tous. Même si les élèves étaient aussi pénibles qu’à Dunkerque, l’ambiance qui y régnait et les conditions de travail satisfaisantes m’ont redonné le plaisir d’enseigner après une année de doutes.

Je n’ai pas réussi à obtenir ma mutation à Lyon finalement et cela fait maintenant bientôt douze ans que j’enseigne dans cet établissement que j’aime. Alors, lorsque je vois débarquer des petits jeunes de Marseille, Lyon, Nice, Strasbourg ou d’ailleurs, je ne peux m’empêcher de les accueillir chaleureusement en me remémorant le périple que m’a offert l’éducation nationale qui ne lésine pas sur les moyens pour faire apprécier ce métier aux jeunes professeurs qui débutent…

[^2]: Institut universitaire de formation des maîtres

[^3]: Certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré

[^4]: Titulaire de zone de remplacement

[^5]: Zone d’éducation prioritaire

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Temps de lecture : 11 minutes
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