Réalité virtuelle – Saison 2

Star de l’innovation des années 90, la réalité virtuelle (VR) fait à nouveau parler d’elle. De nouveaux casques arrivent sur le marché, proposés par quelques géants de l’électronique et du web. Leur rêve pourrait bien virer au cauchemar aliénant : équiper tous les foyers de casques pour jouer dans le virtuel ou s’immerger dans la télévision.

Christine Tréguier  • 15 avril 2016
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Réalité virtuelle – Saison 2

A la fin des années quatre vingt, l’apparition dans les salons spécialisés des premiers casques de réalité virtuelle ( dit aussi « goggles ») a suscité l’incrédulité et l’enthousiasme. On est alors face à une nouveauté radicale, un changement de paradigme dans le rapport à l’image. Non seulement la simulation 3D rend possible la création d’environnements synthétiques inédits, mais le casque permet de s’immerger, d’être littéralement dans l’image et de pouvoir l’explorer. L’idée de cette interface entre l’homme et l’ordinateur avait germé dans le cerveau de quelques visionnaires dans les années soixante et elle a ensuite pris corps dans les laboratoires de la NASA et de l’armée américaine. Pendant une dizaine d’années, de nombreux centres de recherche universitaires ou industriels ont exploré les possibilités offertes par ces technologies et développé des applications prototypes : simulateurs pour la formation de pilotes en tous genres, simulateurs de phénomènes complexes, simulateurs pour la formation à certains actes chirurgicaux, outils d’aménagement d’espaces (carlingues d’avion, usines, supermarchés) et de conception de mécaniques complexes etc. En parallèle quelques visionnaires oeuvraient pour que tout un chacun puisse un jour, sans bouger de chez lui, explorer des simulations de planètes lointaines, partir en safari, visiter les richesses patrimoniales du monde, voire s’offrir des incursions dans des univers psychédéliques. Quelques starts-ups ont mis au point des jeux d’arcades, rêvant de dénicher la « killer app ». Mais l’utilisation publique de casques posait des problèmes d’entretien et d’hygiène, et la question des dommages occulaires et neuronaux restait posée. La réalité virtuelle s’est donc peu à peu éclipsée de la scène médiatique, les applications viables ont trouvé leur niche industrielle et l’immersion via un ou plusieurs grands écrans s’est révélée aussi efficace, voire plus qu’avec les casques.

Depuis trois ans, plusieurs fabricants, et non des moindres, ont dévoilé de nouveaux prototypes de casques. Le premier, Oculus, a été racheté par Facebook pour la bagatelle de deux milliards de dollars. L’Oculus Rift est commercialisé en 2016 au prix de 699 euros mais la société s’est également alliée avec Samsung pour développer un modèle bas de gamme à 99 euros, utilisant un smartphone Galaxy comme écran. Sony propose le Playstation VR comme accessoire de ses consoles de jeux, HTC et Valve (développeur de jeux vidéo) ont conçu le HTC Vive, et Google a mis en ligne les plans du Cardboard VR, un casque en carton à faire soi-même et sur lequel on adapte un smartphone. Le marché visé n’est plus celui des applications professionnelles, mais celui du divertissement grand public.
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Dans quels contenus veulent ils nous immerger ? Les producteurs de jeux sont sur les rangs et chaque fabricant de casques proposent les siens. YouTube a déjà une section Vidéo 360°. Les chaines de télévisions investissent elles aussi dans des contenus, voire des émissions de studio filmées en 360° auxquelles elles vous proposent d’assister « comme si vous y étiez ». C’est le cas de Direct 8 qui vient de lancer une version 360 de La Nouvelle Star. L’Olympic Broadcasting Service annonce que la cérémonie d’ouverture et de clôture des Jeux Olympiques de Rio 2016, ainsi que certaines épreuves seront retransmises en réalité virtuelle. Les grandes marques ne vont pas tarder à débarquer avec leurs clips et leurs spots de publicité en VR. Les cabinets d’études en sont sûrs, c’est la prochaine révolution, the next big thing. Une étude publiée par Goldman Sachs estime que les ventes mondiales devraient dépasser celles des téléviseurs, atteignant 110 milliards de dollars en 2026. Selon le cabinet Kzero, cité par l’Usine Nouvelle, 200 000 joueurs utiliseraient déjà des casques, et ils seraient 56,8 millions à le faire en 2018. Ces prédictions très optimistes pourraient bien être contredites par un désintérêt rapide des utilisateurs.
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Quoi qu’il advienne, des questions se posent, ou devraient se poser. Les jeux, comme certaines émissions sont passablement addictifs, et les jeunes s’y projettent déjà comme dans une réalité possible. Le fait d’être réellement immergés dans l’image ne va-t-il pas augmenter le risque ? Quel impact physique auront ces écrans très proches des yeux qui bernent le cerveau pour lui faire recréer de la profondeur ? Le quotidien suisse Le Temps a interrogé quelques médecins.«Tout va très vite, il n’y a pas encore d’étude clinique significative sur le sujet » explique le responsable de l’hôpital ophtalmique Jules-Gonin à Lausanne. Il peut y avoir des phénomènes de nausée, un inconfort visuel provisoire. Pour Gilles Renard, directeur scientifique de la Société française d’ophtalmologie, certaines des fréquences émises par les nouveaux écrans OLED, qui équipent la plupart de ces casques et de plus en plus de smartphones, sont potentiellement toxiques. « Ce type de lumière détruit les cellules de la rétine, situées au fond de l’œil, avec un effet cumulatif si on répète les expositions ». Les médecins recommandent donc de faire preuve de bon sens, de faire régulièrement des pauses, et de ne pas laisser les enfants utiliser ces casques sans surveillance. Des précautions que les accros du jeu risquent fort d’ignorer.
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L’article publié par Le temps

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