5 juillet, c’est les vacances.

Aujourd’hui, il y a comme un air de nostalgie, un peu comme le dernier jour d’une colonie alors que les congés débutent.  Dans un collège vidé de ses élèves depuis déjà quelques jours, on dit au revoir à des collègues qu’on ne reverra peut-être plus ou si peu au vu des années que l’on a passées ensemble. Le temps des vacances est enfin venu.

Jean-Riad Kechaou  • 5 juillet 2016
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5 juillet, c’est les vacances.

Vingt-deux départs, ce n’est pas rien. Entre les jeunes retraités, les collègues qui ont obtenu leurs mutations, les stagiaires titularisés, les professeurs remplaçants (contractuels, et titulaires de zone de remplacement) qui iront colmater les brèches ailleurs et les assistants d’éducation qui ont trouvé leur voie, ils sont nombreux à partir. Certains sont devenus des amis très proches.

L’absence des élèves ne fait que renforcer ce spleen, le paquebot s’est vidé de ses jeunes hôtes juste avant les épreuves du brevet qui avaient lieu le 23 et 24 juin. On se plaint du bruit qu’ils font quand ils sont là mais quand ils sont absents, ce silence de cathédrale est pesant. De toute façon, un prof, ça se plaint par définition. Évidemment, nos charmants adolescents ne sont pas revenus après l’examen. Seul l’équipage a dû rester 10 jours de plus. Pourquoi nous faire partir si tardivement en vacances ? Si c’est pour une histoire d’heures à faire, autant décaler d’une semaine l’examen, que l’on puisse partir en vacances dans la foulée. Il paraît que l’année prochaine les vacances seront fixées au 8 juillet…

La fête la veille s’est bien passée, on a fait honneur aux collègues sur le départ en faisant quelques petits sketchs puis avons festoyé une partie de la nuit. Ce matin, la nostalgie se mélange donc à la fatigue et le temps grisâtre n’arrange rien. Une dernière réunion pour la route, bilan des projets et validation des fameux enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) et accompagnements personnalisés (AP) censés révolutionner nos pratiques.

Certains collèges ont joué le jeu en « EPIsant » des projets déjà existants. Ce n’est pas le cas partout et de nombreux professeurs réticents refusent d’en proposer. Je les comprends parfaitement. Il y a même de fortes tensions dans des établissements à cause de cette réforme qui présente certaines similitudes avec la loi travail, notamment l’inversion de la hiérarchie des normes. En effet, les collèges vont avoir une plus grande autonomie et les accords locaux pris dans les conseils pédagogiques (EPI, AP, lettres classique, sauvegarde de l’allemand etc…) vont prévaloir sur les prérogatives nationales. Mieux vaut que les enseignants s’entendent entre eux dans les priorités à donner car, sinon, l’ambiance peut vite devenir malsaine. Il y avait une manifestation aujourd’hui d’ailleurs pour lutter contre cette loi travail qui nous concerne tous mais je n’y suis pas allé. Nos enfants, nos élèves seront pourtant les premières victimes de cette précarité. Dans mon collège, on ne s’est pas remis de la perte de notre REP (réseau d’enseignement prioritaire) en 2015. Les nombreux départs sont en partie une conséquence de la perte de ce label, plus qu’un an en effet pour muter en profitant des bonifications de notre passage en REP. On n’a pas réussi à se remobiliser contre ces réformes du collège et de la loi travail après un combat acharné pour le maintien de notre REP.

© Politis

Une collègue me montre une brochure de l’Office national d’information sur les enseignements et les professions (ONISEP), expliquant que les AP et EPI permettront aux élèves de travailler en petits groupes. Je souris. Notre dotation horaire ne nous le permet pas pour les EPI. En clair, nous ne pourrons pas intervenir à deux enseignants face à nos élèves pour ces projets interdisciplinaires. La communication, voilà ce qu’il reste au ministère pour défendre cette réforme, nos plaintes ne sont que pleurnicheries de profs « gauchistes » aux yeux de notre chère ministre. On lui rappellera néanmoins une promesse non tenue : les dotations financières pour changer les manuels scolaires ne sont pas suffisantes et on va donc attaquer une réforme sans ces manuels dans de nombreuses matières. Pas assez d’argent pour tous les changer donc et des éditeurs qui ne suivent pas non plus le rythme. Enseigner sans manuels, une belle révolution de nos pratiques effectivement…

À la fin de la réunion, j’apprends qu’un ancien élève a obtenu son bac avec mention bien. Il me dédicace cette réussite sur un réseau social. Il faisait parti des mes élèves décrocheurs et m’avait donné du fil à retordre dans la structure que je coordonnais il y a maintenant quatre ans. Je montre fièrement sa publication aux professeurs qui l’ont connu. _« Ah oui, il était difficile lui. Et ben, tu vois, notre travail finit par payer », me dit l’infirmière qui l’a côtoyé. Ce genre de témoignage nous remplit de joie, de satisfactions et nous encourage à poursuivre notre belle mission.

Dernier tour dans ma salle de classe pour prendre les manuels (spécimens) qui nous seront utiles pour préparer les cours des nouveaux programmes. Cette année, nos congés s’annoncent donc studieux. Il faudra préparer les cours de la sixième à la troisième (contre un niveau chaque année sur quatre ans lors des précédents changements de programme), une première mais on se plaint tellement paraît-il que celle-là, on ne l’a pas trop évoquée, on aurait pu pourtant.

En quittant le collège, un technicien du bâtiment venu faire de la maintenance dans l’établissement me souhaite de bonnes vacances en me proposant malicieusement de le remplacer afin de récupérer une partie de mes congés. Classique. Oui, on est des veinards, je l’avoue mais c’est plus facile à dire quand les élèves ne sont pas là. Je lui réponds que nos congés sont sans solde l’été, je n’en suis plus très sûr mais bon, la remarque fait mouche et il semble stupéfait.

Un petit rayon de soleil éclaire le parking. Il est le bienvenue, on sent enfin les vacances arriver. Je salue une dernière fois le principal adjoint muté également, un homme très compétent à l’écoute des enseignants puis je raccompagne à la gare RER une jeune collègue qui achève son année de stage. Elle part émue et m’évoque dans la voiture les remerciements d’une élève qui lui a offert des chocolats il y a quelques jours. Sa carrière commencera à Saint-Denis dans un collège REP + (Réseau d’enseignement prioritaire, le + signifiant que l’aide est accrue). Il n’y a rien à faire, ce sont toujours les plus jeunes qui atterrissent dans ces établissements difficiles. Le ministère n’arrive pas à attirer les professeurs les plus chevronnés alors que leurs présences seraient utiles.

Dernier au revoir de la journée, ça y est, c’est les vacances.

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