Les solutions ineptes et dangereuses des tout-sécuritaires (1)

On a les politiques qu’on mérite, dit-on parfois. A force de « laisser faire » et de laisser passer des lois et déploiements technologiques qui attaquent l’os de nos libertés, sans doute les français ont-ils mérité certains élus aux discours et élucubrations sécuritaro-droitistes pour le moins inquiétantes tels Michel Terrot, Eric Ciotti, Christian Estrosi ou l’ex-futur candidat Nicolas Sarkozy.

Christine Tréguier  • 17 août 2016
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Les solutions ineptes et dangereuses des tout-sécuritaires (1)

Experts es’technologies autoproclamés, Terrot, comme Estrosi ou Ciotti, se targuent publiquement d’avoir des solutions pour empêcher, voire éradiquer les attaques subites de djihadistes et de félés de la tête en tout genre. Alleluya ! tous les états en rêvent, la France va le faire… Sauf qu’évidemment leurs solutions n’en sont pas. Pire. Si tant est qu’elles existent et agissent ailleurs que dans les fantasmes de ces adeptes d’une société omni-contrôlée censée garantie sécurité et « tranquillité », elles portent inévitablement en elles la fin de ce qui nous reste de « démocratie » et de vie privée. Ne soyons pas dupes, ce qui constitue leur intérêt essentiel, c’est la garantie d’un bon nombre de bulletins de vote pour leurs zélateurs et des profits substantiels pour leurs amis industriels.

Michel Terrot (député UMP de la 12e circonscription du Rhône, ex-maire de Oullins), dont la compétence s’exerçait jusqu’alors du côté des affaires étrangères, a désormais une passion pour les caméras de surveillance autonomes et soi-disant « intelligentes ». Dans une question écrite au ministre de l’intérieur, il vante leurs qualités « pour mieux lutter contre la criminalité et le terrorisme ». Ces caméras high-tech seraient capables de détecter « des mouvements de foule anormaux ou des agressions », « des comportements violents », « d’alerter sur le champ en cas d’intrusion d’une personne dans une zone interdite » ou encore de « distinguer les hommes des femmes » (sic). La SNCF, qui les expérimentent sur son réseau francilien, le dit, ça ne peut donc qu’être vrai. Mieux, il existe un « projet très avancé de caméra intelligente, mené par le laboratoire électronique informatique et image (Le2i) de l’université de Bourgogne et expérimenté sur le campus de Dijon » (dans son fief… quel hasard !). Ces super-caméras pourraient, affirme-t-il, « détecter les mouvements et donner automatiquement l’alerte, en cas de situations anormales, un comportement atypique par exemple ». Il omet de préciser ce qu’est une « situation anormale » ou un « comportement atypique », tout comme le fait que ledit projet en est encore au stade totalement expérimental. Mais ça marche et ça marchera, Mr Terrot le sait. Il exige donc de savoir à quelle échéance le ministre en place compte « généraliser l’emploi de ces nouveaux systèmes de vidéosurveillance intelligente ».

Ca va coûter un bras et les collectivités n’ont plus les moyens ? Broutille. Ca pourrait être inefficace et ne pas suffire à réaliser un monde rêvé à la Minority Report ? Pas grave ! Si ça ne prévient pas les attentats ce sera utile pour lutter contre l’ « explosion des cambriolages » (dont n’attestent pas vraiment les chiffres officiels de mesure de la délinquance récents) et les « attaques contre les commerçants, comme les buralistes ou les boulangers (???) », dont il faut d’urgence « entendre la souffrance » (re-sic) ? Ne pas imposer cette solution miracle serait un « un désarmement moral » conclut Mr Terrot. Rappelons que l’homme s’est déjà illustré en 2015 en bataillant ferme pour l’armement des policiers municipaux, et en 2013 par sa défense, avec 285 autres députés, du « fichier des gens honnêtes ». Ce fichier scandaleux, fermement récusé en mai 2013 par le Conseil Constitutionnel car portant « au droit au respect de la vie privée, une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée », devait enregistrer ad vitam l’état civil, les empreintes digitales et la photographie numérisée de tous les futurs détenteurs de la nouvelle carte nationale d’identité électronique (CNIE). Autrement dit nous tous, en foin des droits de l’homme et du risque de fichage généralisé qui pourait un jours se retourner contre nous. En 2015 toujours, suite aux attentats , Oullins (banlieue lyonnaise comptant 18 caméras pour 25 605 habitants) a proposé à d’autres communes voisines de mutualiser son CSU (centre de supervision urbain de vidéosurveillance) en expliquant que ses opérateurs sont « sensibilisés à la prévention » et ont « des consignes particulières et sont très vigilants ». Pourquoi pas. 

Mais Mr Terrot oublie néanmoins que, dans son Rapport d’observations définitives sur la sécurité publique à Lyon 2010 (exercices 2003 et suivants), la Cour régionale des Comptes (CC) a conclu qu’au vu des (très) maigres résultats, le coût global de la vidéosurveillance – 7 284 290 € pour 124 caméras soit 58 744 € par caméra en moyenne – + celui du CSU ( 200 000 €/an en frais d’exploitation externes + les salaires de 29 agents assurant le travail 24 heures/24) – ne se justifiait pas. La délinquance de voie publique (DVP) a en effet bien baissé de 22,6% à Lyon, mais elle a décru de 23,5 % dans les quartiers vidéosurveillés et de… 21,9% dans les quartiers non-vidéosurveillés. Conclusion en forme de doux euphémisme de la CC : « relier directement l’installation de la vidéosurveillance et la baisse de la délinquance est pour le moins hasardeux ». On imagine aisément ce que la Cour aurait pu, ou pourrait dire du rapport qualité/prix de cette vidéosurveillance « intelligente » et à coup sur dispendieuse, censée empêcher des attentats ou des tueries telles que celles de Saint-Etienne-du-Rouvray, de Nice ou de Paris. Ces drames prouvent malheureusement que même dans deux des villes les plus vidéosurveillées de France, caméras et surveillance permanente sont des solutions factices.  Aucune intelligence humaine ou artificielle, même dotée d’une vigilance de chaque seconde, ne pourra détecter et déjouer bombes et actes fanatiques commis par des fous sortis de nulle part ou des terroristes qui ont appris à se faire discrets. Rien ne peut anticiper un imprévisible qui ne devient tangible et visible qu’une fois réalisé. Ni l’homme ni la machine ne savent voir l’à venir. Et amputer nos libertés et remplir les caisses des marchands de caméras  sur la base de phantasmes est inepte. Les solutions sont ailleurs, nous le savons tous.


La question écrite de Michel Terrot


Un article de Sciences & Avenir sur le projet du Laboratoire Le2i

Le Rapport d’observations définitives de la Cour des comptes

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