Les mères voilées sont autorisées à participer aux sorties scolaires

Alors que l’avis du Conseil d’État de 2013 associé aux déclarations de la ministre Najat Vallaud-Belkacem en 2014 semblaient avoir clos le débat lancé par la circulaire Chatel de 2012, de nombreuses écoles  interdisent encore aux mères voilées de participer aux sorties scolaires de leurs enfants. D’une ville à une autre, la loi ne serait donc pas la même. Voici un petit historique de ce débat houleux suivi d’un entretien avec Nicolas Cadène, le rapporteur général de l’observatoire de la laïcité.

Jean-Riad Kechaou  • 19 octobre 2016
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Les mères voilées sont autorisées à participer aux sorties scolaires
© CITIZENSIDE / Yann Bohac / Citizenside Photo texte : CITIZENSIDE / PATRICE PIERROT / Citizenside

2012 : Une circulaire aux effets dramatiques

Cette circulaire fut dramatique pour de nombreuses mamans musulmanes souhaitant s’investir dans la vie scolaire de leurs enfants. Pour certaines de ces femmes vivant dans des quartiers populaires, l’école est souvent la seule institution publique encore présente. Couper les liens de ces mères avec l’école était donc d’une violence inouïe et un message radical que l’État leur adressait à elles et à leurs enfants, indirectement. Et dans ces écoles situées dans des quartiers où vivent une grande majorité de musulmans, comment faire ? Priver de sorties les élèves sous prétexte que le nombre d’accompagnateurs est insuffisant ? (extrait du livre collectif dirigé par Nadia Henni-Moulaï, « Voiles et préjugés »)

Comme un cadeau de départ offert à la gauche, le ministre de l’Éducation nationale Luc Chatel signait en mars 2012 une circulaire applicable à la rentrée par le nouveau gouvernement. La « circulaire Chatel » avait ainsi pour objectif d ‘« empêcher que les parents d’élèves ou tout autre intervenant manifestent, par leur tenue ou leurs propos, leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques lorsqu’ils accompagnent les élèves lors des sorties et voyages scolaires ».

La raison invoquée par le ministre ? « Depuis la loi de 2004, chacun s’accorde pour que l’on enlève son voile, comme tout signe religieux ostentatoire, au sein de tout établissement scolaire. Qui peut comprendre qu’on le remette à la première sortie scolaire ? La République peut-elle ainsi se satisfaire d’une laïcité à géométrie variable ? », expliquait-il en confondant volontairement les élèves et les parents qui n’ont pourtant pas le même statut.

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2013: Le Conseil d’État tranche, les mères voilées ne sont pas soumises à la neutralité religieuse, mais… {: class= »ui-droppable » }

Suite aux contestations de cette circulaire et aux polémiques qui leur sont rattachées, le Conseil d’État, plus haute juridiction administrative, a été saisi en septembre 2013 par le défenseur des droits Dominique Baudis souhaitant « pouvoir être en mesure d’apporter des réponses étayées » aux personnes qui l’avaient interrogé.

L’objectif était de mettre au clair le statut des « collaborateurs bénévoles ou occasionnels du service public », et notamment de savoir si les mères accompagnant des sorties scolaires devaient être considérées comme des auxiliaires du service public et, à ce titre, être interdites de voile en vertu de la loi sur l’interdiction des signes religieux à l’école.

Dans son avis du 23 décembre 2013, le Conseil d’État a ainsi tranché : les parents accompagnateurs de sorties scolaires ne sont ni des agents ni des collaborateurs du service public mais des usagers du service public qui ne doivent pas se soumettre au principe de neutralité religieuse. Par conséquent, les mères voilées accompagnant des sorties scolaires ne sont pas soumises, en principe, à la neutralité religieuse. Toutefois, cette affirmation est nuancée car les conseillers du gouvernement rappellent que « les exigences liées au bon fonctionnement du service public de l’éducation peuvent conduire l’autorité compétente, s’agissant des parents d’élèves qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, à recommander de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses ».

Ainsi, le « statut du parent accompagnateur » est celui d’un usager du service public de l’éducation et les « problèmes » posés par les mères voilées se règlent bien souvent au cas par cas. Comment ? Au regard du bon fonctionnement du service public qui nécessite le concours des parents mais aussi de l’ordre public. C’est en considérant que le port du voile pourrait provoquer des troubles à l’ordre public que de nombreuses écoles ont donc continué de priver les mères voilées de sorties scolaires.

2014 : « L’acceptation de leur présence aux sorties scolaires doit être la règle et le refus l’exception » (Najat Vallaud-Belkacem)

La ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, fut auditionnée le 21 octobre 2014 par l’observatoire de la laïcité. Sa déclaration au sujet des sorties scolaires fut limpide. Par cette déclaration, la ministre cherche à renouer le lien parfois rompu entre l’école et certains parents écœurés par cette décision.

« Je veux réaffirmer un principe et une orientation. Le principe c’est que dès lors que les mamans (les parents) ne sont pas soumises à la neutralité religieuse, comme l’indique le Conseil d’État, l’acceptation de leur présence aux sorties scolaires doit être la règle et le refus l’exception. L’orientation, c’est celle de l’implication des familles dans la scolarité de leur enfant et la vie de l’école. Au moment où je veux absolument renouer le lien de confiance, qui s’est distendu, entre les parents et l’école, au moment où nous voulons multiplier les initiatives de terrain en ce sens, tout doit être mis en œuvre pour éviter les tensions. Cela suppose d’éviter les provocations et de faire preuve de discernement. Je fais confiance aux acteurs de terrain et je serai attentive à ce que cette logique d’apaisement et d’implication collective pour la réussite des enfants soit partout mise en œuvre. »

2016 : En cas d’interdictions non justifiées, contacter le rectorat et l’observatoire de la laïcité.

Malgré ces propos très clairs de la ministre, les réticences sur le terrain sont encore présentes et le flou persiste. Des inspecteurs demandent ainsi encore aux directeurs de privilégier les femmes non voilées. La loi ne serait donc pas la même d’une ville à l’autre. J’ai ainsi contacté Nicolas Cadène, le rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité auprès du Premier ministre, à Matignon. Cette autorité compétente en la matière publie notamment des livrets de laïcité adressés aux collectivités territoriales et aux entreprises privées.

Que faire si des règlements d’écoles interdisent encore de manière implicite la participation des mères voilées aux sorties scolaires ?

Nicolas Cadène : Ce règlement intérieur ne serait conforme ni à la loi de 2004 ni au Livret Laïcité{: target= »blank » style= »background-color: rgb(255, 255, 255); » } édité par le ministère lui-même. Une circulaire ne crée aucun droit et n’a pas de valeur juridique. Elle n’a pour autant pas été supprimée car elle maintient son intérêt dans les seuls cas de prosélytisme (un signe n’est pas en tant que tel prosélyte, c’est le comportement qui compte). Dans le cas où ce type de règlement existerait, il faudrait alerter le référent laïcité et le rectorat ou même nos services à l’observatoire de la laïcité.

Certaines écoles voulant priver les mères voilées de sorties scolaires expliquent que l’ensemble de la communauté éducative est soumis aux mêmes règles concernant la laïcité.

N.C. : Faire partie de la communauté éducative ne signifie pas exercer une mission de service public. Le principe de laïcité suppose la neutralité uniquement de ceux qui exercent une mission de service public ce qui n’est pas le cas des parents accompagnateurs qui sont là à titre bénévole uniquement pour soutenir la logistique et non pour exercer la mission d’éducation. Le Livret Laïcité du ministère de l’Éducation nationale a été envoyé dans toutes les écoles. Les règles sont clairement rappelées.

La laïcité ne suppose pas les mêmes obligations pour les élèves, les enseignants et les parents. Discrétion (et non neutralité) pour les élèves et neutralité pour les enseignants car ils représentent l’administration et à travers elle la nation dans son ensemble. Les parents ont eux la liberté d’avoir leurs propres convictions (religieuses, politiques, syndicales, philosophiques, etc.) sans faire de prosélytisme. On peut cependant demander aux parents de s’abstenir de toute manifestation extérieure dans le cas d’un risque avéré de perturbation de la sortie scolaire.

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Page 25 du Livret Laïcité, octobre 2015, ministère de l’Éducation nationale

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