Où il est question d’ « entrave numérique au droit des acheteurs volontaires en ligne »

Non seulement Internet n’est pas le remède mythique à tous les problèmes de la planète, comme le répète Evgueni Morozov, mais c’est même une sérieuse source de tracas et de problèmes supplémentaires. Pour preuves quelques exemples récents où s’informer ou acheter via le réseau conduit à des galères sans nom, voire plombe la vie des personnes.

Christine Tréguier  • 2 décembre 2016
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Où il est question d’ « entrave numérique au droit des acheteurs volontaires en ligne »

Evgueni Mororzov, jeune universitaire biélorusse de naissance basé aux Etats Unis, appelle « internet-centrisme » cette espèce de foi aveugle dans un, ou plutôt « des internets », améliorateurs de la vie sur terre. Cette tendance, écrit-il dans son livre « The Net Delusion : The Dark Side of Internet Freedom » est une « cyber-utopie » et expliquer les changements sociaux, politiques et culturels du monde par internet et rien que par internet, relève d’une forme de paresse intellectuelle niaise. Et pourquoi pas alors spéculer sur l’existence d’une « main invisible » bienfaitrice pour la société des humains ?

En fait de main invisible, il y a plutôt, derrière de trop nombreux sites d’informations et de commerce en ligne prétendant répondre à nos besoins, des programmeurs et des algorithmes invisibles qui silencieusement s’échinent à nous leurrer. Pour que nous lisions, tenions pour exact ce qui nous est affirmé, et au final achetions leurs produits ou leurs vérités factices. Pour asseoir ces dires, trois exemples de services webesques.

Une mienne amie journaliste, cherchant d’urgence à partir à Londres, achète sur Lastminute.com un billet d’avion à un tarif correct. Mais voilà, le matin du départ, impossible pour elle d’obtenir sa carte d’embarquement car le système a malencontreusement inversé son nom et son prénom. Pas de doute, c’est bien elle, mais le passeport ne suffit pas ; elle doit faire annuler ce billet par la compagnie charter (CityJet en l’occurrence) et en faire réémettre un autre au bon patronyme. Las, ladite compagnie n’a ni guichet, ni numéro d’appel le week-end. Seule solution pour monter à bord de ce DC10, acheter à Air France (partenaire de CJ qui gère l’embarquement, mais prétend ne pas pouvoir modifier ces e-billets) un nouveau ticket pour la modique somme de… 350 euros ! Et non seulement les deux compagnies, contactées via leur Service Client en ligne, refusent de reconnaître ces dysfonctionnements, mais le marchand de billets à prix ébréchés nie toute responsabilité et affirme que son billet d’origine n’est pas remboursable, hors 12,73 de taxes aéroportuaires. Elle en est là pour le moment mais n’a pas l’intention de baisser les bras.

Autre exemple, mon voisin qui vient d’emménager, est allé s’acheter un super-matelas à un super-prix sur C-Discount. Surprise, la livraison ne pourra se faire avant 2 ou 3 semaines. Qu’à cela ne tienne, il dormira sur son sofa en attendant. Régulièrement un mail le tient au courant de la situation géographique de sa commande. Puis un jour un texto l’informe qu’il va être livré le lendemain, à moins qu’il ne se rende sur le site internet pour choisir un autre jour et un autre créneau horaire. Il valide pour le lendemain, se rend disponible de 14h15 à 17H30 mais rien ni personne ne vient. Même pas un texto pour indiquer la suite. Il laisse passer une journée au cas où, puis appelle l’entreprise de livraison DPD à Fresnes pour savoir ce qui se passe. Une jeune femme l’informe que oui, il y a eu un bug ; l’ordinateur a cru que le colis était arrivé et a envoyé les messages aux destinataires. Pourquoi n’a-t-il pas été prévenu de cette erreur ? Parce que, lui répond la préposée, nous nous avons averti notre client qui lui devait informer ses clients. Il menace alors de se retourner contre Cdiscount, et elle de lui expliquer que « son » client n’est pas le marchand en ligne mais un sombre intermédiaire basé au Danemark… Il convient de la rappeler lundi matin pour faire le point et déterminer un nouveau rendez-vous. Le lundi à 10H, elle lui annonce que le colis est là et qu’il sera livré l’après-midi, même créneau horaire. Ca ne l’arrange pas mais il fait en sorte de se libérer. Ceci fait , il sort fumer une cigarette sur le pas de sa porte, jette un oeil à sa boite aux lettres et y découvre avec stupéfaction un avis de passage de DPD déposé à…10h 28. Le livreur qui reviendra finalement le vendredi matin, lui expliquera qu’il a bien vu la porte entre-ouverte, mais qu’il ne savait pas, enfin vous savez… si… et que ce jour-là, la boite ne lui avait communiqué ni l’étage, ni le N° de téléphone.

Conclusion, fuyez les brokers type Lastminute, Cdiscount et consorts, qui, dès qu’il y a erreur (et elles sont fréquentes), en rejettent la faute sur la cascade d’intermédiaires gestionnaires des services qu’ils ne vont que réserver et vice versa. Internet et les portails sont les instruments de l’erreur, et ceux qui permettent ensuite de brouiller les pistes, de ne pas recevoir les clients mécontents et de leur opposer un fin de non-recevoir.

Dernier exemple, beaucoup plus sérieux en terme de conséquences, les pseudos portails d’information sur l’interruption de grossesse qui, sous couvert de renseigner les femmes en quête de données sur l’IVG, font tout pour les dissuader d’y avoir recours. Montés par des associations anti-IVG, ces sites multiplient les informations mensongères sur les soi-disant risques et conséquences médicales et psychologiques néfastes de cette intervention légale, manipulent les propos de Simone Weil, appellent à la morale et alignent les vrais-faux témoignages de femmes remerciant qu’on leur ait ouvert les yeux et les empêchant de passer à l’acte ou regrettant de l’avoir fait. Là encore, internet prétend apporter la solution et ne fait que désinformer et induire en erreur.

Que faire pour ne pas se faire pigeonner ? Ne pas acheter sur ces sites bien sur, mais aussi apprendre à les lire entre les lignes, à dénicher les intoxs et les contre-vérités. Comparer les produits et les dires pour se faire sa propre idée, choisir à bon escient. Ne pas faire confiance à un programme ou une personne virtuelle qui vous dit qu’elle va vous aider et qu’elle a ce qu’il y a de mieux pour vous. Le gouvernement, lui, a pris une autre option : celle de pénaliser ce qu’il a appelé « l’entrave numérique à l’interruption volontaire de grossesse » par un unique article de loi qui vient d’être voté en procédure accélérée à l’Assemblée nationale. Un texte qui a fait grimper aux rideaux toute la droite mais aussi avec eux, une fois n’est pas coutume, la Quadrature du Net. Pour l’association, l’entrave à l’IVG est déjà légalement interdite ; vouloir y ajouter la publication de contenus, d’« allégations, indications ou présentations faussées et de nature à induire intentionnellement en erreur » est inutile et ne fait qu’ouvrir dangereusement la voie à la censure d’informations d’autres nature. « La création d’un délit pour mise à disposition de contenus, fussent-ils douteux, écoeurants ou opposés à la liberté de choix des personnes, porte indiscutablement atteinte à la liberté d’expression. Or, cette dernière n’est pas faite uniquement pour ceux avec qui nous sommes d’accord. »

On ne peut qu’être d’accord, mais l’initiative gouvernementale donne des idées. Et si, en excluant soigneusement les opinions et informations sur un sujet, on adaptait ce texte pour l’appliquer à la diffusion et transmission « par tout moyen, notamment par des moyens de communication au public par voie électronique ou de communication au public en ligne, d’allégations, indications ou présentations faussées et de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but persuasif, sur la nature, les caractéristiques ou les conséquences commerciales d’un acte de vente en ligne ou à exercer des pressions psychologiques sur les personnes souhaitant acquérir un bien ou service en ligne ».

On pourrait appeler ça « entrave numérique au droit des acheteurs volontaires en ligne »

Sur le web

Le communiqué de la Quadrature du Net

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