Les gestes qui sauvent

Dès que les températures baissent et que nous arrive la bise de Sibérie, on entend les médias seriner les sempiternels bons gestes à adopter. Pour économiser l’énergie bien sur, et éviter la surcharge pondérale de nos bons vieux réacteurs nucléaires… pas pour éviter les accidents humains liés aux grands froids.

Christine Tréguier  • 18 janvier 2017
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Les gestes qui sauvent

Cette année c’est même EDF qui s’invite dans nos boites mails avec un message à l’impératif « adoptons chacun les gestes économes en énergie ». Le lien joint mène à une page présentant un éclaté de maison. Les conseils prodigués pièce par pièce vont de « tirez les rideaux de la chambre » à « réglez votre chauffage en position Eco », en passant par « mettez des boudins sous les portes du couloir », « évitez d’ouvrir la porte du frigo souvent et/ou trop longtemps » ou « débranchez vos ordinateurs et chargeurs après utilisation ». Même rengaine dans la presse qui répercute les bons gestes : « faites tourner votre lave-linge ou lave-vaisselle la nuit », « chauffez à 19°C. Fermez les volets, tirez les rideaux, vous conserverez la chaleur dans votre logement » , autrement dit pour vivre au chaud, vivez dans le noir. En Picardie où une tempête hivernale a frappé la région jeudi et vendredi, privant 100 000 foyers d’électricité, France 3 suggère pour éviter une pénurie d’électricité aux heures de pointe, de décaler l’utilisation des appareils ménagers et de baisser la température des pièces de 1 à 2°, voire de couper le chauffage dans les pièces non utilisées. Partout s’étale cet appel à la responsabilité citoyenne pour venir en aide à cette pauvre EDF dont les réseaux pourraient ne pas être en mesure de fournir à la demande. Réseaux dont nous payons non seulement l’électricité, mais aussi l’accès fort cher, sans garantie de continuité de service donc.

Ce qui énerve, c’est qu’il y a deux poids deux mesures et que les efforts ne sont pas publiquement demandés aux autres consommateurs que sont les entreprises et les collectivités locales. Restons optimistes, on aurait pu lire dans les journaux que les Mairies avaient unanimement décidé de débrancher les illuminations des fêtes, au demeurant terminées, et les éclairages nocturnes des bâtiments municipaux, hôtels de ville et édifices patrimoniaux, le temps que la vague de froid s’en aille. On aurait pu applaudir la société gérant la Tour Eiffel après son communiqué AFP annonçant que la vieille dame resterait elle aussi habillée de noir. On aurait pu se réjouir que les entreprises (y compris d’information) soucieuses de montrer que leur responsabilité sociale et environnementale (RSE) est irréprochable, devancent la demande en réduisant leur chauffage de 2° et en éteignant les lumières des enseignes et des millions de bureaux vides pour quelques nuits. Tout ceci aurait donné l’exemple et l’envie aux françaisEs de faire de même sans qu’on ait à le leur demander. Les médias auraient pu s’esbaudir à la vue des chiffres montrant à quel point on peut faire des économies d’énergie quand on s’y met vraiment. Et ça aurait donné envie de poursuivre l’effort au delà des phases critiques hivernales.

Ce qui énerve encore plus, c’est que les bons gestes concernent les économies d’énergie et pas les économies de vie. Le nombre de sans domiciles qui meurent pendant une vague de froid reste un impondérable dont les services de l’état ne se soucie qu’à partir du moment où ça se sait. Les médias alignent les chiffres des morts en Europe depuis décembre, on ouvre tous les hébergements d’urgence disponibles (insuffisants) et les stations de métro, et on conseille aux gens de signaler les silhouettes allongées dans la rue aux maraudes du 115 (dont le numéro est trop souvent injoignable).

Mais là encore, en étant optimistes, on pourrait imaginer bien d’autres gestes à médiatiser massivement : apporter des soupes et des boissons chaudes à ceux qui dorment dehors dans son quartier, et faire un peu plus de café le matin pour leur en déposer un bien chaud. Leur donner les vieux blousons de ski, les gants et les bonnets qu’on pensait mettre bientôt à la poubelle. Acheter au « tout à deux euros » ces petites couvertures en amiante qui tiennent dans une enveloppe, et les leur offrir. Leur ouvrir la porte de la voiture dont on ne se sert qu’une fois la semaine ou le hall d’immeuble en tant pis pour les grincheux qui ne veulent rien partager. Se retrousser les manches le week-end pour leur construire des cabanes dans son jardin ou dans les squares et les parcs publics. Se décider enfin à débarrasser la chambre de bonne, ou celle située au sous-sol que personne n’utilise et contacter une des associations qui s’évertuent à trouver des logements aux sans-abris. Ce ne sont que de petits palliatifs aux dysfonctionnements de cette société si riche qu’elle préfère fermer les yeux sur la pauvreté qu’elle génère. Mais ce sont des gestes qui sauvent et qui rendent à ceux qui les font, comme à ceux qui en bénéficient, une énergie sans égal, leur consience d’être humain.

Sur le Web

Les numéros d’aide à connaître

  • Le 115 pour le Samu social
  • Le 01 55 26 53 00 pour la brigade d’assistance aux personnes sans-abris (Bapsa à Paris seulement)
  • Le 15 ou le 18 pour le Samu ou les pompiers
  • Le 112 pour les urgences générales
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Temps de lecture : 4 minutes
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