« Dogman », de Matteo Garrone [Compétition]

Un toiletteur pour chiens face à la violence bestiale.

Christophe Kantcheff  • 17 mai 2018
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« Dogman », de Matteo Garrone [Compétition]
Crédit : Greta_De_Lazzaris

Un quartier déshérité non loin de la mer, en même temps qu’un formidable décor de cinéma, utilisé au mieux par Matteo Garrone : une grande aire de jeu désertée ouverte à tous les vents, avec autour de vieux immeubles décrépis, une salle de jeux, un restaurant, un magasin achetant l’or. Et un salon pour chiens, tenu par Marcello (Marcello Fonte), divorcé, père d’une petite fille qu’il adore, et accessoirement dealer de cocaïne. Ici, la vie pourrait être tranquille s’il n’y avait Simoncino (Edoardo Pesce). C’est la terreur du quartier, toujours prêt à cogner, parfois très méchamment, pour de la drogue ou de l’argent. Les commerçants, qu’il tabasse volontiers, n’en peuvent plus.

Marcello, lui, est l’ami de Simoncino. Au vrai, il est plutôt son obligé, ou, si l’on ose dire, son toutou. Y compris physiquement, le déséquilibre est flagrant : le petit fluet d’un côté, le rustre costaud de l’autre. Simoncino l’entraîne dans ses mauvais coups. Un jour, Marcello accepte d’être son complice dans un vol qui risque de le mettre au ban de son quartier. C’est pressé contre un mur par la brute, sous la menace mais aussi un peu par faiblesse (il recevra une part du butin), qu’il a cédé. Il a, par là même, passé un pacte faustien avec la bestialité.

Pourquoi Matteo Garrone, le réalisateur de Gomorra (2008) et de Reality (2012), a-t-il choisi pour protagoniste de Dogman cet anti-héros ? Le personnage ne se réduit pas à la figure du pauvre type. En témoigne la palette de Marcello Fonte qui, brillamment, l’interprète. Son physique et ses expressions peuvent aussi bien relever du comique que de la gravité lyrique. Les touches de comédie, qui se dissipent à mesure qu’avance le film, sont bien là : par exemple lorsque Marcello retourne sur les lieux d’un cambriolage commis par Simoncino, parce que ce dernier s’est débarrassé du chien de la maison dans le congélateur et qu’il veut lui sauver la vie. Ou quand il manucure un immense dogue allemand ou encore partage son plat de penne avec son propre chien.

En outre, Marcello n’est pas la bonne pâte dont le spectateur pourrait aveuglément prendre le parti. Dès les premières images, à Simoncino, sur un ton admiratif, il dit : « Alors, il paraît que tu as défoncé deux Roumains ! » Plus tard, pris par la police à la place de son « copain », il se refuse de le donner, se laissant conduire en prison où il va purger sa peine plutôt que d’être libéré. Sans doute est-ce par peur des représailles, par intérêt, et en raison d’une certaine idée de l’honneur ; tout cela à la fois et dans des proportions inégales…

La seconde partie de Dogman monte en tension et en violence ; Marcello sort de prison, Simoncino continue de le maltraiter. Alors qu’il fait de la plongée sous-marine avec sa fille, il se met à suffoquer malgré sa bouteille d’oxygène : comme s’il se retrouvait face à ses propres abîmes. Dès lors, une nécessité s’impose à lui : effacer l’humiliation subie.

Œuvre forte, à la mise en scène rigoureuse et tendue, Dogman ne trouble pas seulement par la violence qui y est montrée. Celle dont les hommes sont capables, autrement plus bestiale que celle des chiens, ici tous pacifiques, sauf le premier apparu à l’écran, que Marcello a toutefois réussi à calmer grâce à son savoir-faire de toiletteur. Le film interroge aussi sur la réponse que, dans ce quartier pauvre, on peut lui opposer. Ainsi, les commerçants se réunissent pour réfléchir à ce qu’ils peuvent faire contre celui qui empoisonne leur vie. Avoir recours à la police ? Ce serait repousser un problème qui ressurgirait plus tard, une fois Simoncino remis en liberté. Opter pour une solution plus radicale ?

D’une certaine façon, la solitude de Marcello rejoint la relégation du quartier où il vit, les habitants devant se débrouiller par eux-mêmes. La question politique ouverte par Dogman est aussi sensible que complexe. Le film, malgré sa résolution tragique, laisse, sur ce point, le spectateur à sa réflexion. C’est dire son ampleur et sa richesse.

Temps de lecture : 4 minutes
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