09-06-18, Troyes-Nogent-sur-Seine

Viviane, 25 ans, suit la Marche solidaire pour les migrants de Vintimille à Londres, organisée par l’Auberge des migrants. Au jour le jour, elle retrace son périple sur ce blog, illustré par des photographies du collectif Item.

Viviane  • 11 juin 2018
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09-06-18, Troyes-Nogent-sur-Seine
Photo : 24 mai 2018, étape Vienne-Lyon. Les Lyonnais rejoignent le cortège de marcheurs.es à l'épicerie solidaire de Saint-Fons et rejoignent le parc des berges de Gerland.
© Philippe Somnolet / item

L'auteure : Viviane J'ai 25 ans, je suis originaire de Bretagne, j'ai fait des études de psycho. J'ai fait six mois de bénévolat à Calais puis j'ai été intégrée dans l'organisation de la Marche des migrants. Je ne sais pas où je serai dans six mois mais mon prochain projet est un voyage humanitaire au Togo. Mon père est vidéaste. Il m'a prêté sa caméra pour que je documente ce que je vis avec les marcheurs, mais je préfère écrire... Les photographes Le Collectif item est une structure de production indépendante qui se donne le temps et les moyens nécessaires pour construire de véritables sujets, pensés comme des récits photographiques à part entière. Il rassemble aujourd’hui 12 photographes, un graphiste et une vidéaste, autour de l’impérieuse nécessité de raconter le monde, pour ne pas rester les yeux fermés. Leurs travaux peuvent être vus sur leur site ici.
Arrêt pause café de l’équipe logistique dans un hôtel restaurant bar-tabac PMU. Vu la fonction multitâches du bâtiment, je me suis dit que le village était sans aucun doute comme beaucoup d’autres en France : mort. On dépasse le seuil de la porte, et là, le choc. C’est une famille d’origine asiatique qui tient le lieu. – « Comment ont-ils pu arriver ici dans ce patelin paumé ?! » On commence à siroter nos boissons. Un client vient s’asseoir à côté de nous. Crise cardiaque. Je ne l’avais pas vu venir, pensant que nous serions forcément les seuls ici. Il s’avère que c’est son premier jour dans ce village où il vient habiter. Je suis restée conne. – « Les petits villages comme celui-ci ne sont-ils pas plutôt en train de se vider ? » Il nous explique que, suite au décès de sa mère et n’ayant pas les moyens de racheter les parts de sa maison, il a dû partir se trouver une nouvelle maison. Il a choisi cet endroit parce que c’est pas cher – « Ça, je veux bien le croire… » Il y a plus d’espace pour créer ses sculptures – « Ça aussi… » Et surtout, il est venu parce qu’il y a tout ce qu’il lui faut : une activité artistique en développement et un vrai centre commercial, ce qui est rare dans cette contrée d’après lui – « Et vlan, mange tes préjugés, cassés en 5 minutes. » J’ai quitté cet endroit changée et grandie.

L’équipe logistique incroyablement efficace aujourd’hui : deuxième bar dans autre village en attendant les marcheurs pour le pique-nique. Pastis pour les uns, jus de fruits pour les autres. Une grand-mère de plus de 85 ans, voutée, avec sur elle une vraie blouse fleurie de grand-mère et des Crocs, commence la discussion. Voilà qu’elle parle de ses enfants, qu’ils sont allés là, qu’ils ont fait ci. Elle nous parle d’un Jean-Louis, d’une Martine et encore plein d’autres personnes, sans que l’on sache qui sont ces gens par rapport à elle. Elle enchaîne en nous racontant ses problèmes de santé. Elle montre ses bas de contentios à notre membre de l’équipage étudiant en médecine. Jusque-là tout va bien. J’aime les personnes âgées, elles retournent dans une forme d’innocence qu’on a dans l’enfance je trouve. Elle explique qu’elle a du mal à mettre ses bas surtout après qu’elle soit passée dans son sauna privé. Elle n’oublie pas d’insister qu’elle y va nue, puis sans transition elle invite notre apprenti médecin à venir quand il veut. Mes préjugés ont été suffisamment secoués aujourd’hui, je me tais.

© Politis

Publié dans
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Temps de lecture : 2 minutes
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