La pédopsychiatrie au banc des accusés 2 : les griefs des familles

Docteur BB se penche sur les reproches adressés à la pédopsychiatrie par les associations de parents.

Docteur BB  • 3 juillet 2019
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La pédopsychiatrie au banc des accusés 2 : les griefs des familles
crédit photo : AMELIE-BENOIST / BSIP

Suite à notre billet précédant analysant le climat actuel de remise en cause de la pédopsychiatrie par les politiciens et les experts, il parait important de se pencher dorénavant sur les reproches qui lui sont adressés par les associations de parents – en se basant notamment sur les résultats d’enquêtes cité dans le récent rapport de l’IGAS concernant la pédopsychiatrie, suite à un recueil de témoignages réalisés par la Fédération Française des Dys, France Autisme, Sésame Autisme, l’UNAFAM ou l’UNAPEI.

Les rapporteurs soulignent déjà à plusieurs reprises que « les droits des familles ne sont pas toujours respectés », et que celles-ci revendiquent une participation active à la prise en charge, un accès à l’information et une liberté de choix de l’approche thérapeutique utilisée.

Le respect du droit est évidemment un élément essentiel, qui ne doit cependant pas occulter la priorité du soin. Encore faudrait-il s’entendre sur ce que peut signifier un tel impératif légaliste, aux contours parfois flous voire contestables dans la pratique clinique, tout du moins s’il consiste uniquement à poser les bases contractuelles d’un rapport consumériste, purement individualiste et sans aucune contrepartie, vis-à-vis de l’offre thérapeutique. Du point de vue déontologique, les médecins sont effectivement soumis à une obligation de moyens, c’est-à-dire qu’ils doivent mobiliser toutes les interventions thérapeutiques pertinentes afin d’améliorer la situation clinique d’un patient. Pour rappel, ces moyens ne sont quasiment plus disponibles pour les pédopsychiatres français, dont le nombre a d’ailleurs été divisé par deux en l’espace de dix ans, passant de 1235 en 2007 à 593 en 2017.

Cependant, on ne peut opposer à des praticiens une obligation de résultats, et j’ajouterais de satisfaction. Par exemple, il ne pourra être reproché à un chirurgien le décès d’un patient suite à une intervention très délicate, à partir du moment où tout avait été entrepris et exercé dans les règles de l’art, que les indications avaient été posées de façon pertinente et consensuelle, et que l’information concernant les risques avait été transmise explicitement. De fait, la médecine ne peut pas grand-chose face à notre condition de mortel…Par ailleurs, la finalité d’un médecin est de soigner, ce qui ne suppose pas prioritairement de faire plaisir, et de combler des attentes ou des désirs – ce qui serait l’apanage d’un marché, mais non d’un système sanitaire. Ainsi, notre devoir sera parfois d’annoncer qu’un enfant ne pourra peut-être pas se développer complètement « normalement », en dépit de tous les moyens mobilisés pour améliorer son pronostic. Nous ne vendons pas de faux espoirs, nous ne sommes pas là pour énoncer des promesses en l’air ou pour proposer des méthodes « infaillibles », garantissant des résultats assurés.

Certains médecins sont odieux, insensibles et irascibles. Du point de vue humain, c’est tout à fait contestable et on doit s’en indigner à juste titre. Mais cela ne remet pas en cause leur compétence médicale stricto sensu, bien qu’on puisse légitimement vouloir les souffleter, voire leur gerber à la face, et qu’en pratique cela ne contribue pas à leur efficacité soignante. Néanmoins, on pourra attaquer un médecin pour négligence ou insuffisance, pour non-respect du code de déontologie, et non pas parce que c’est un salopard qui manque d’empathie. Il y a donc un d’un côté un impératif clinique de vérité et de savoir-faire, et de l’autre une responsabilité humaine de tact.

Tout cela pour rappeler le fait que le devoir éthique prioritaire du médecin n’est pas de caresser ses « clients » dans le sens du poil, mais de leur proposer ce qui est adapté en termes d’indication thérapeutique – en espérant que cela soit réalisable en pratique. Parfois, cela peut effectivement heurter, ce n’est pas ce que l’on pourrait espérer…Malheureusement, on aborde régulièrement l’enjeu de la souffrance et on annonce souvent des mauvaises nouvelles quand on exerce ce métier….Et pourtant, il faut savoir ne pas transiger et avoir le courage d’énoncer la réalité, aussi blessante soit-elle, avec prévenance, sans chercher à séduire des usagers pour les satisfaire et les fidéliser…

En conséquence, il peut être non seulement démagogique de valider a priori l’ « expertise parentale » et la liberté complète de choix, mais même périlleux du point de vue clinique. Un médecin n’est pas un prestataire de service qui doit ratifier le vœu de tel ou tel diagnostic, et le désir de tel ou tel soin. D’autant plus quand il s’agit d’un enfant, qui doit être protégé des assignations ou des fantasmes éventuels le concernant, et pour lequel il convient d’éviter les prophéties auto-réalisatrices ou les « effets Golem ».

Il est également reproché à certaines approches cliniques de prendre en compte « l’influence possible de l’environnement dans la genèse ou le renforcement des troubles », c’est-à-dire en pratique de pouvoir questionner certaines modalités du cadre familial, de l’histoire et du parcours de l’enfant. En filigrane, c’est toujours l’éternel grief qui resurgit, à savoir la culpabilisation des parents. Je vais être clair sur ce point : d’une part, s’appesantir sur la trajectoire singulière d’un enfant ne revient absolument pas à vouloir démasquer une étiologie simpliste qui expliquerait de façon univoque son mal-être actuel en impliquant sa famille. Il s’agit au contraire d’élargir les points de vue, d’introduire de la complexité, et de laisser la possibilité pour un enfant et ses parents de se réapproprier leur souffrance ou leur désarroi en les inscrivant un processus dynamique, narratif, qui n’enclot pas mais reste ouvert sur un devenir. D’autre part, il faut être conscient d’une chose : la condition parentale suppose par essence un sentiment de responsabilité, voire de culpabilité, à l’égard de ce que va traverser son enfant, quand bien même il n’y aurait aucune raison objective de se sentir fautif. Si en plus on parle d’une situation dans laquelle l’enfant va mal, on peut imaginer qu’un parent soit susceptible de s’accabler voire de se mortifier, sans motif authentique ; simplement parce qu’il y a de la douleur, qu’on se sent impuissant, et qu’on ressent un terrible sentiment d’incompréhension et d’injustice. C’est justement ce qu’il convient de pouvoir aborder avec les parents, en faisant évidemment preuve de tact, d’empathie et d’ajustement. Certains seront prêts à aborder ces enjeux, d’autres non, ce qu’il faut pouvoir respecter…

D’après les enquêtes réalisées auprès des familles, celles-ci se plaignent de « l’absence ou inadéquations de prise en charge ressenties comme des injustices, voire des violences institutionnelles ». On en peut que les rejoindre sur ce constat affligeant… Quant à savoir qui doit être désigné comme responsable de ce calamiteux état de fait, je vous laisse à votre propre opinion. Je doute en tout cas que les praticiens qui essaient malgré tout d’exercer dans des conditions impossibles soient les plus appropriés pour recevoir l’ire des usagers, même s’ils sont de facto exposés comme des fusibles. J’inviterais en tout cas les associations de famille à alerter directement les pouvoir publics de cet état de délabrement organisé depuis des décennies, et d’exiger avec détermination des moyens adéquats pour éviter la maltraitance tant des usagers que des soignants.

Il est également reproché « la contrainte qui pèse sur des familles qui n’osent pas quitter des centres qui ne leur donnent pas satisfaction, de peur de ne pas trouver une autre solution, ou de faire l’objet d’un signalement ». Je peux vous assurer que, compte-tenu des listes d’attente hypertrophiées et des surcharges chroniques que subissent ces mêmes centres, ceux-ci ne cherchent pas à exercer de pression pour maintenir les suivis en dehors d’indications formelles. Cependant, il va de soi qu’il est de notre devoir éthique et clinique d’énoncer aux familles ce qui nous semble nécessaire, et d’expliquer la perte de chance voire le préjudice évident que pourrait constituer une discontinuité voire une rupture de prise en charge. Le soin n’est pas un supermarché… Quant aux signalements, il est parfois nécessaire de rédiger une « information préoccupante » lorsque nous nous trouvons confronter à une situation de maltraitance avérée – dans ce cas, l’Aide Sociale à l’Enfance évaluera la conduite à tenir, et donnera suite ou pas à notre démarche. Les situations de refus de soin sont complexes, et peuvent éventuellement justifier une demande d’évaluation socio-éducative si nous estimons que l’enfant ou l’adolescent sont mis en danger. Dans le cas contraire, il s’agirait d’authentiques négligences de notre part, légitimement condamnables. Quoiqu’il en soit, nous ne cherchons pas à prendre les parents en otage, mais à garantir le devenir d’un enfant, sans aucune possibilité d’exercer la moindre contrainte.

Autre grief adressé à la pédopsychiatrie : « des évaluations expéditives de professionnels, qui n’écoutent pas les parents et les renvoient à eux-mêmes ou à leurs modes d’éducation ». Le caractère trop diligent est parfois en rapport avec les conditions structurelles d’exercice dans un climat de pénurie et de saturation. En ce qui concerne le manque d’attention, c’est effectivement regrettable ; cependant, écouter quelqu’un, ne signifie pas forcément aller dans son sens… Parfois, on peut ne pas se sentir entendu ou compris simplement parce que son interlocuteur ne valide pas complètement le point de vue que nous revendiquons. Le pas de côté peut alors être ressenti avec une certaine violence, d’autant plus si la personne qui effectue ce décalage n’est pas en mesure de prendre du temps, d’accompagner progressivement, ou si tout simplement elle ne souhaite pas faire preuve de délicatesse…Par ailleurs, nous nous trouvons souvent amenés à assurer une forme de guidance éducative auprès des familles, sans pour autant considérer que le positionnement parental est responsable des troubles de l’enfant. En fonction des enjeux spécifiques, certains aménagements dans le positionnement au quotidien doivent effectivement être envisagés, certaines configurations réactionnelles peuvent être appréhendées, afin d’aider les parents à se réapproprier un rôle d’acteur vis-à-vis de leur enfant.

Les parents déploreraient également « des parcours de soins qui ne sont pas compris, faute d’être expliqué simplement » et des « prises en charge longues, et considérées comme opaques ». Certes, c’est là un point sensible sur lequel il faudra revenir, car il y a sans doute des progrès importants à envisager sur la question. Néanmoins, en dépit des meilleures intentions pédagogiques, il restera toujours une part d’inexplicable. D’un côté, on ne demandera pas à un chirurgien d’expliquer dans le détail son geste technique, mais simplement d’en saisir la logique ; toute proportion gardée, cela vaut aussi pour un processus psychothérapeutique. Et d’un autre côté, il convient aussi de faire preuve d’humilité : tout n’est pas objectivable, quantifiable et planifiable. Chaque suivi réserve son lot de surprise et d’imprévu. De surcroit, quand on vise un travail approfondi ciblant le remaniement de certains processus psycho-affectifs, relationnels et cognitifs, il va de soi que cela ne se fait pas en quelques séances… Affirmer le contraire serait une ineptie ou un mensonge de charlatan. On sait d’ailleurs que les méthodes qui promettent une extinction rapide des symptômes gênants négligent souvent le risque de récurrence sur du plus long terme. Les suivis prolongés ont aussi une dimension de prévention et d’évitement des rechutes…En tout cas, l’idée que tout pourrait être expliqué de manière transparente est un leurre, un mensonge, ou le signe d’une grande naïveté voire d’une illusion de toute-puissance. Nous travaillons dans un domaine tissé d’incertitudes, et le fantasme que la liberté de choix des parents serait nécessairement garantie par des éclaircissements précis devrait être quelque peu nuancé, d’autant plus que le sacro-saint respect de ce droit ne présage pas de la qualité du projet thérapeutique. Il faut voir ces suivis complètement discontinus, ces enfants trimballés à droite et à gauche, en faveur des modes du moment, des désillusions, exposés à des contradictions, à des conflits de loyauté, à des ruptures qui empêchent d’investir un véritable lien sécure. Il y a de quoi perdre la raison…

Les familles se plaignent également des « mots inappropriés et très maladroits à l’annonce d’un diagnostic, comme par exemple “vous devez faire votre deuil__”, qui suscitent des réactions de colère et d’abattement, et des professionnels qui semblent indifférents à la souffrance des familles »_. Au-delà de certaines attitudes qui peuvent effectivement être ressenties comme peu empreintes de sollicitude, du fait notamment du souci de maintenir une posture de neutralité affective parfois excessive, la douleur et le désarroi des familles peuvent régulièrement être imputés au professionnel amené à énoncer des réalités potentiellement traumatisantes. Humainement, on tend effectivement à ressentir de la rancune vis-à-vis de la personne qui énonce une mauvaise nouvelle, alors même qu’il semble nécessaire d’en passer par ce moment de désespoir et de refus parfois agressif. Par exemple, on est rarement très enthousiaste à l’idée d’aller voir son dentiste, aussi prévenant et humain soit-il, quand bien même il est susceptible de nous soulager rapidement –ce qui n’est pas le cas d’un « psy » ; et on est tout à fait conscient des motivations de cette réticence : sur le coup, c’est désagréable et algique… Alors, quand il s’agit d’entendre et d’accepter que son enfant va mal, c’est évidemment du registre de l’intolérable, et on a légitiment besoin de protester, et on se sent inévitablement incompris, avec un fort sentiment d’injustice et de solitude, indépendamment du positionnement ou des paroles du pédopsychiatre.

Enfin, il est également dénoncé « l’absence d’attention portée à la notion de rétablissement et à l’objectif d’inclusion dans le milieu ordinaire » et « des besoins d’aide ou de soutien humain qui n’ont pas été compris ». Ces dernières revendications traduisent sans doute des écueils importants susceptibles d’émerger au cours de nos prises en charge : l’idée d’une normalisation complète, qui n’aboutirait pas faute d’investissement des professionnels ou de moyens suffisants mis en œuvre. Il s’agit parfois d’un véritable retournement de la culpabilité que peuvent éprouver les parents ; si notre enfant va mal, c’est parce que les soignants ne font pas ce qu’il faut, ils sont fautifs, et nous éprouvons à leur égard un préjudice qui doit être réparé par la société. Parfois, le pédopsychiatre peut effectivement être appréhendé fantasmatiquement comme celui qui aurait des prérogatives quasi omnipotentes qu’il refuserait délibérément de mettre en œuvre : il suffirait pourtant qu’il le veuille pour faire surgir des aides nécessaires et suffisantes, des compensations magiques, de l’inclusion auto-thérapeutique, etc. Pourtant, non seulement ce n’est pas dans notre pouvoir, il faut le reconnaitre avec humilité, mais en plus ce n’est pas forcément souhaitable du point de vue thérapeutique. Les illusions et les mirages ne sont jamais de bon levier dans le soin, et les alimenter suppose de s’exposer au surgissement rétrospectif de la rancune.

Ce climat relativement hostile ne concerne vraisemblablement qu’une minorité de parents, mais ceux-ci ont sans doute la particularité d’être très prosélytes, revendicatifs, et capables d’organiser un relais médiatique assez actif de leurs plaintes (films, reportages, livres, etc.).

Ainsi, les familles deviennent de plus en plus hésitantes à l’idée de faire appel à un pédopsychiatre, de crainte de la stigmatisation mais aussi par peur d’être jugées, culpabilisées, maltraitées, etc. En conséquence, cela peut conduire non seulement à davantage d’errances, à un retard dans l’instauration des soins, mais aussi à la mainmise de groupes d’intérêts peu scrupuleux instrumentalisant le désarroi des familles pour faire du profit …

Malgré les réserves que l’on peut apporter à ces accusations à l’égard de la pédopsychiatrie, il faut néanmoins savoir se remettre en cause. Certaines pratiques restent effectivement inadmissibles, notamment sur des centres à mission de service publique : parents insuffisamment reçus et associés à la prise en charge, défaut de prise en compte de leurs ressentis, absence de compte-rendus réguliers, difficultés pour appréhender la réalité sociale des familles et les contraintes qui pèsent sur elles, refus de partager des hypothèses diagnostiques ou d’évoquer les perspectives thérapeutiques et pronostiques… Par exemple, toute complication dans l’organisation d’une prise en charge peut facilement être attribuée à des « résistances », sans parfois faire l’effort d’essayer vraiment de comprendre ce qui bloque pour y trouver des solutions –en essayant entre autres de proposer des créneaux plus compatibles avec les contraintes socio-professionnelles des familles…

Idéalement, il faudrait toujours pouvoir prendre le temps d’essayer de saisir les enjeux profonds qui motivent une consultation, de rencontrer véritablement l’enfant et ses parents, en tentant de se défaire de ses préjugés, de ses conceptions théoriques prêtes-à-penser, ou de ses routines pratiques. Prendre le temps d’analyser ses contre-attitudes, ses irritations, et ses tâches aveugles. Prendre le temps de s’immerger dans une réalité douloureuse, d’appréhender les ressentis partagés, sans se précipiter pour imposer un schème explicatif univoque, qu’il soit d’orientation psychanalytique, cognitiviste, ou autre. Prendre le temps d’errer, d’accepter les incertitudes et les complexités, d’être dérouté et affecté, sans avoir besoin d’ériger des jugements défensifs et expéditifs. Il faut aussi se connaitre : on n’est pas toujours complètement disponible, on a nos propres failles, nos soucis, nos zones de sensibilité. Parfois, on ressent de la colère, du désarroi, de l’abattement, de l’hostilité, etc. ; cela participe des éléments cliniques à intégrer. On a aussi nos ritournelles, nos paresses et nos stratégies inconscientes de fonctionnement. Certaines familles nous bousculent davantage, nous renvoient plus directement à nos propres ombres et au besoin de s’en protéger. La « neutralité affective », si tant est qu’elle soit souhaitable, n’est sans doute qu’un fantasme. Dès lors, il faudrait avant tout essayer de comprendre les dynamiques émotionnelles impliquées, de mobiliser ses dispositions empathiques plutôt que de se rigidifier, dans le silence ou le remplissage…Tout cela constitue évidemment un idéal, inatteignable en dépit des efforts mobilisés pour analyser son « contre-transfert », pour maintenir une posture d’ouverture et d’accueil, pour laisser immerger de la singularité et être à l’écoute d’un désarroi partagé. Cela se travaille, sans cesse ; c’est une exigence de chaque instant, parfois difficile à soutenir. Nous avançons aussi à tâtons, en commettant des erreurs, en déviant et en se réajustant. Ce qui suppose tout de même d’avoir un cap, d’énoncer des perspectives. On ne peut pas naviguer complètement à vue, les familles ont besoin de repères et de balises. C’est un impératif tant éthique que clinique. Ainsi, il convient non seulement de se laisser imprégner par ce qui se joue dans le contact avec un enfant singulier, mais aussi de faire émerger une mise en sens et en forme, une analyse des faits observés, des éléments rapportés, des éprouvés ressentis. Ceci suppose une véritable rigueur dans l’analyse sémiologique, dans le recueil anamnestique, ainsi que la mobilisation tant de son expérience de clinicien que des connaissances scientifiques les plus actualisées. L’objectif doit effectivement être d’aboutir à la formulation d’hypothèses diagnostiques, à l’indication d’évaluations complémentaires si besoin, à la définition de stratégies thérapeutiques ; qu’il est évidemment nécessaire de partager avec la famille, en adaptant ses explications pour les rendre aussi compréhensibles que possible.

J’entendais récemment évoquer le cas d’une enfant de 3 ans, suivi par une psychothérapeute psychanalyste en libéral depuis un an, car elle avait initialement des difficultés de sommeil. La mère, suivie par la même thérapeute –authentique ! -, s’interrogeait sur la poursuite du traitement de sa fille, n’étant jamais reçue pour faire véritablement le point, la seule réponse reçue étant « le travail doit se poursuivre, il n’est pas abouti ». Voilà une situation qui me semble tout à fait ambiguë au niveau du cadre, et proche d’une forme d’abus, n’ayons pas peur de l’affirmer. Cependant, en libéral non remboursé, cela reste une affaire privée. Par contre, cela serait absolument inadmissible sur un centre financé par la solidarité collective. Nous ne pouvons faire fi du sens et des finalités de nos interventions thérapeutiques : il faudrait donc que nous soyons plus vigilant pour définir des axes, pour évaluer nos pratiques, en nous contraignant à définir des critères cliniques pertinents, capables de rendre compte de la dynamique d’un processus singulier, mais aussi d’intégrer la qualité de vie de l’enfant dans son environnement global. Nous avons des comptes à rendre, tant aux familles, qu’aux instances de tutelles et à la société, nous ne pouvons nous autoriser que de nous-mêmes….

Par ailleurs, certains collègues peuvent se targuer d’une position revendiquée comme déconnectée de la réalité, afin de n’investir que le monde interne de l’enfant. Il ne faudrait donc surtout pas faire de lien avec les intervenants extérieurs, prendre position, organiser des projets et définir des perspectives, sinon, on trahirait le transfert et le cadre –lesquels peuvent parfois prendre une importance tellement fétichisée qu’on en viendrait presque à oublier que la priorité reste le devenir d’un enfant ; sur un dispensaire financé par la sécurité sociale, la finalité de l’amélioration symptomatique et de l’intégration sociale ne doit pas venir de surcroit…Ainsi, nous devons de plus en plus nous efforcer de quitter les murs de l’institution, de descendre de notre tour d’ivoire, d’aller à la rencontre, d’être créatif dans nos modalités d’intervention et de partenariat.

Nous devons également rester vigilants pour nous former, pour maintenir nos connaissances actualisées sur le plan scientifique (des sciences sociales aux neurosciences), quitte à rester critique vis-à-vis de certaines évolutions, mais de façon étayée et documentée. C’est une véritable nécessité déontologique, qui n’est pas toujours partagée, malheureusement…

Enfin, le refus de laisser des traces, des écrits, de tenir un dossier médical conforme ou de prendre en compte certaines exigences administratives, quitte à les subvertir, traduit parfois la difficulté à s’extraire d’une posture de surplomb ou d’extériorité. Nous devons pourtant être de plain-pied avec certaines évolutions sociales et avec les obligations légales qu’elles charrient, aussi rébarbatives soient-elles ; en effet, il s’agit de s’approprier ses contraintes pour leur donner un sens clinique, dans l’intérêt de nos patients, plutôt que de les vivre uniquement comme des entraves dénuées de sens et de se positionner uniquement dans la dénonciation. Par ailleurs, il faut savoir séparer le bon grain de l’ivraie : l’accès des familles aux éléments du dossier, leur association étroite à la prise en charge est une exigence tant éthique que clinique. Il y a encore à progresser sur ces points, c’est évident. Il faut savoir remettre nos pratiques en question, évoluer tout en préservant nos orientations et nos fondations, sur le plan du soin et de la déontologie, mais aussi rester critique et résister quand les possibilités mêmes de notre exercice paraissent menacées, et que le devenir de certains enfants se trouve sacrifié.

Pour cela, un minimum de considération, de vérité et de soutien ne parait pas luxueux…Courage compagnons !

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