Chronique jardin déconfinée: comment semer et planter sans se planter

Il y aura bientôt une cinquantaine d’années que j’ai commencé à bêcher mon jardin. Le jardin potager et fruitier, c’est une ascèse, un remède, un plaisir et une façon de se nourrir. Deux fois par semaine je raconterai ce que je fais, ce que cela m’inspire et à quoi cela sert.

Claude-Marie Vadrot  • 17 avril 2020
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Chronique jardin déconfinée: comment semer et planter sans se planter

Il y aura bientôt une cinquantaine d’années que j’ai commencé à bêcher mon jardin des environs de Gien, dans le Loiret. Je ne savais pas grand-chose de la terre, ayant oublié ce que j’avais vu et essayé dans la ferme morvandelle de mes grands-parents. J’ai vite compris que je me créais une addiction qui dure encore et qui m’a servi d’antidote à chaque retour de couverture journalistique d’un conflit armé lointain, de la guerre du Bangladesh aux Balkans en passant par la Tchétchénie ou le Rwanda. Le jardin potager et fruitier, c’est une ascèse, un remède, un plaisir et une façon de se nourrir. Deux fois par semaine je raconterai ce que je fais, ce que cela m’inspire et à quoi cela sert.

En ces premiers jours d’avril et en cette quatrième semaine de confinement, ce sont les cerisiers, les pommiers et les poiriers en fleurs qui m’accompagnent. Quant aux pêchers, ils me rappellent que le désordre climatique est une réalité quotidienne car après une apparition précoce des bourgeons, toutes leurs jolies fleurs roses ont gelée en une nuit trop froide succédant à la douceur. Le jardinage, tout comme l’agriculture d’ailleurs, n’est pas une science exacte, surtout quand le froid s’installe quelques jours et que les insectes pollinisateurs manquent à l’appel de la formation des fruits. Cet hiver qui vient, je devrais me contenter de ce qui me reste de pêches au sirop préparées l’année dernière.

Quant aux cerisiers aux fleurs passées tout prêt du zéro, ils ne sont pas encore sauvés. Il est vrai qu’à l’origine, l’Arménie d’où ils auraient été ramenés par un général romain, Lucullus, qui guerroya dans la région quelques années à la fin du premier siècle avant notre ère. Mais cette légende n’explique pas pourquoi il y avait alors déjà des merisiers dans les forêts gauloises et que cet arbre fruitier nait d’un noyau de cerise tombé en terre par le principe de la gravité ou apporté par les oiseaux. Lesquels adorent les merises, mini « cerises » noires au gout à la fois âcre et sucré.

Merisiers

En mon jardin comme dans les autres, si on n’y prend pas garde, ils deviennent envahissants et il faut les arracher pour n’en garder que quelques uns qui deviennent aussi imposants et aussi vieux que les cerisiers. L’année dernière l’un des miens s’est couché sous le poids de ces cerises et la force du vent. On dit dans les campagnes et les jardins que sentant la fin venir les arbres fruitiers produisent une dernière fois à profusion avant de mourir. Venues de très loin, certaines variétés surprennent par leur comportement : il y a de cela une trentaine d’année, je découvrais à la fin du repas, chez un ami cultivant son jardin au bord du Lac Baïkal, un fruit rond jaune à queue courte veiné de rouge. Délicieux. J’en ai rapporté quelques noyaux dont certains, enterrés dans un mélange de sable et de terre m’ont donné une tige fragile aussitôt replantée.

Miracle, dix ans plus tard il a donné ses premiers fruits identiques au « modèle ». Depuis cet arbre devenu imposant et vigoureux offre des « cerises de Sibérie » dont j’ai plus tard apporté un pot aux fruits conservés dans l’alcool. Mais nous n’avons pas expliqué, malgré les avis de multiples spécialistes, pourquoi cet arbre fleurit en mars alors qu’en Sibérie le sol est encore couvert de neige et la température largement négative. Pourtant ses fruits sont murs et sucrés seulement à la fin du mois de septembre, comme dans le jardin du lac Baïkal. Comme une imprégnation qui dure… Quant au partage des cerises et merises avec les oiseaux, nous avons conclu un accord : je cueille la partie basse et ils s’occupent des hautes branches.

À part cela les petits pois mesurent pour l’instant une dizaine de centimètres de hauteur et résistent à la sécheresse en cours, les pommes de terre primeur aussi et les radis restent une minuscule promesse comme la coriandre, que l’on nommait persil arable avant de l’acclimater en France, qui sera cueillable pendant le ramadan. Et je viens de remarquer qu’une orchidée abeille vient de surgir dans l’herbe…

(à suivre : planter le haricot)

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