Parmentier n’a pas inventé la pomme de terre venue des Andes

Claude-Marie Vadrot  • 24 avril 2020
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Il y aura bientôt une cinquantaine d’année quand j’ai commencé à bêcher mon jardin des environs de Gien, dans la Loiret, je ne savais pas grand-chose de la terre, ayant oublié ce que j’avais vu et essayé dans la ferme morvandelle de mes grands parents. J’ai vite compris que je me créais une addiction qui dure encore et qui m’a servi d’antidote à chaque retour de couverture journalistique d’un conflit armé lointain, de la guerre du Bangladesh aux Balkans en passant par la Tchétchénie ou le Rwanda. Le jardin potager et fruitier, c’est une ascèse, un remède, un plaisir et une façon de se nourrir. Deux fois par semaine je raconterais ce que je fais, ce que cela m’inspire et à quoi cela sert.

Après le haricot, voici la pomme de terre aux variétés encore plus abondantes car il s’en crée presque tous les ans. Après des années d’essais, pour le goût, la durée de croissance, la résistance aux maladies et la faculté de se conserver dans une cave jusqu’à la récolte suivante, je m’en tiens à la Mona Lisa, la Yona, la Kerpondy et la Bintje qui fut inventée aux Pays Bas au tout début du XX° siècle. Sans oublier Amandine originaire de l’Ile de Ré que je cultive en primeur en la plantant au mois de février en la protégeant sous une série de petits tunnels rigide qui la mettent à l’abri du gel. Ainsi, en moment (maintenant) où je plante tous les autres, les pieds d’Amandine ont une quinzaine de centimètres de hauteur et seront récoltées début juillet. Au moment où je fini les vieilles en purée.

© Politis

Pommes se terre primeur plantées à l’abri en janvier

Pour planter les autres, vers la fin avril, sauf s’il gèle, même procédé, quelle que soient les variétés. Quand on dispose d’un local aéré et lumineux on aligne les plants de pommes de terre dans un cageot sans les entasser. Opération à faire fin janvier- début février. Ce qui permet aux germes de sortir et de se former prêt pour la plantation d’avril. Mais on peut aussi les planter avant cette germination. Et se garder d’acheter des patates pré-germées (n’importe comment) dans une jardinerie. Il ne reste plus qu’à tracer les sillons à (au moins) une quarantaine de centimètres les uns des autres, de faire des trous espacés d’une quarantaine de centimètres et de dix centimètres de profondeur. La pomme de terre supporte assez bien la sécheresse mais apprécie d’être arrosée quand elle fleuri.

Comme d’autres légumes elle a été dérobée (puis mondialisée) aux Latino-américains par les conquistadores. Les débuts de sa culture remontent à au mois une dizaine de milliers d’années mais la patate sauvage n’a pas disparu des haut-plateaux andins qui dominent la ville de Lima et j’en ai trouvé il y a quelques années en montant au dessus de la ville de Cuzco, non loin du « Parc de la pomme de terre » créée par la communauté indienne Quechua à la fin des années 90. Sur une douzaine de milliers d’hectares s’étageant de 3000 à 4800 mètres, dans la Vallée Sacrée des Incas, les communautés villageoises ont pris en charge la conservation et la multiplication d’au moins 600 variétés dont certaines restent autochtones alors que d’autres, comme les terres à la chair bleuâtre, dites d’Artois a été (illégalement) exportée et plantée en France.

Ramenée par les Espagnols et autres pillards, la patate s’installa progressivement en Europe. Sauf en France dont les habitants, les scientifiques et les cultivateurs expliquaient qu’il s’agissait d’un poison. Fable colportée par l’Eglise catholique et les producteurs de céréales, ces derniers y voyant une « concurrence ». Il fallut l’action coordonnée d’Antoine Parmentier, pharmacien militaire qui en avait mangé avec plaisir quand il était prisonnier de guerre en Hollande, et Philippe-Victoire de Vilmorin (1) jeune naturaliste progressiste, pour vaincre la rumeur du tubercule empoisonneur. Ils organisèrent une campagne de relations publiques auprès de Louis XVI, de la Cour et des Parisiens. Bien que rivaux déclarés auprès d’un dame que le second épousa leur opération fut un grand succès et la pomme de terre entra rapidement dans les champs, les jardins et sur les tables des Français de toutes conditions. Car elle était plus simple à cultiver et plus nourrissante.

Mais on était encore loin de la frite surgelée…

(1) Pour en savoir beaucoup plus, lire « La saga des Vilmorin » (Claude-Marie Vadrot, Editions Delachaux et Niestlé)

(à suivre: découvrir et planter les tomates)

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