Mauvaises vibrations

Étienne Cendrier, porte-parole de l’association Robin des toits, passe
de nouveau en jugement contre Bouygues Telecom pour avoir dénoncé
les dangers des ondes électromagnétiques. Retour sur un âpre combat.

Christian Pruvot  • 8 mars 2007 abonné·es
Mauvaises vibrations
© Robin des toits, 55 rue Popincourt, 75011 Paris, 01 43 55 96 08,

Le secteur de la téléphonie mobile a une fâcheuse tendance à accumuler les casseroles. Ici sourd la révolte d’associations de consommateurs sur les marges indécentes des prix des SMS. Là, l’entente sur les prix entre les trois grands acteurs du marché est condamnée par une lourde amende. Ailleurs, ce sont les conditions de travail des conseillers techniques et commerciaux, ouvriers modernes de la téléphonie, qui sont décriées. Le tableau serait incomplet si l’on n’évoquait la minutie avec laquelle les opérateurs tentent d’étouffer le débat sur la nocivité des ondes magnétiques générées par les téléphones portables et leurs antennes relais. Car la foudre tombe sur quiconque ose parler de principe de précaution, de danger pour la santé ou de mesures falsifiées.

Illustration - Mauvaises vibrations

Etienne Cendrier, manifeste, le 28 septembre 2002 devant le siège de Vivendi Universal à Paris, contre l’installation d’antennes de radio-téléphone sur les écoles d’Ile-de-France. AFP/ Mehdi Fedouach

Étienne Cendrier, porte-parole de l’association Robin des toits (<www.robindestoits.org>) , en fait l’amère expérience. Engagé dans la lutte pour la sécurité sanitaire des populations « exposées aux nouvelles technologies de télécommunications sans fil », il bénéficie d’un traitement de faveur de la part des trois opérateurs. Une gageure pour un de ces rares Français à n’être pas équipé d’un mobile ! Début 2004, Bouygues Telecom, SFR et Orange le poursuivent en diffamation pour des propos rapportés dans un article du Journal du Dimanche en novembre 2003. Étienne Cendrier y mettait en cause les mesures de champs électromagnétiques relevés par des organismes payés par les opérateurs, ce qui laissait toute latitude à ces derniers pour baisser les intensités des antennes relais au moment des contrôles. Étienne Cendrier dénonçait également dans cet article le danger sanitaire de la téléphonie mobile dans ses conditions techniques actuelles. L’affaire est sérieuse : Bouygues Telecom réclame alors la bagatelle de 200 000 euros de dommages et intérêts à l’interviewé, en tant que personne physique et non comme porte-parole d’une association. L’attaque est franche, personnelle, destinée à détruire. En juin 2005, Bouygues Telecom gagne en première instance au civil, mais n’obtient que 8 000 euros de dommages et intérêts. Le militant décide de faire appel.

Le 14 mars 2006, à l’issue de l’audience au pénal qui oppose Étienne Cendrier à SFR et à Orange, le réquisitoire du procureur de la République demande cette fois la relaxe. Pour ce dernier, au vu des documents produits et à l’examen des témoignages, il est légitime de remettre en cause l’indépendance d’organismes de contrôle payés par les opérateurs. Deux mois plus tard, le verdict tombe : le porte-parole est relaxé. Le jugement précise qu’Étienne Cendrier disposait d’éléments probants pour mettre en cause la fiabilité des mesures, et déclare le membre des Robins des toits légitime dans son rôle de « lanceur d’alerte » pour dénoncer la dangerosité de la téléphonie mobile.

Fort de cette décision, Étienne Cendrier se présente le 11 janvier devant l’audience en appel au civil contre Bouygues Telecom. La filiale de la galaxie Bouygues n’apporte aucun élément nouveau. Mais un grain de sable vient enrayer cette dynamique favorable et inquiète les Robins des toits. Le délibéré de cette affaire, prévu le 15 février, a été repoussé sans raison apparente au 15 mars. « Est-ce que le jugement au civil du 15 mars sera conforme au jugement pénal ? » , s’inquiète Étienne Cendrier. Et le porte-parole de s’interroger sur la concordance des dates avec le rendu du jugement dans l’affaire des caricatures de Mahomet. « C’est une affaire qui fera beaucoup de bruit et qui risque de noyer la nôtre. » Car, s’il ne peut plus, désormais, être attaqué au pénal sur les thèmes évoqués plus haut, tout reste possible devant les tribunaux civils. « Si la décision rendue est boiteuse, cela va encore faire durer ce débat. Ce serait une nouvelle bulle d’oxygène octroyée aux opérateurs. »

La stratégie du secteur de la téléphonie mobile paraît limpide : tenter, dans un premier temps, de faire taire les voix discordantes, et, en cas d’échec, gagner du temps dans le débat essentiel sur la dangerosité des ondes électromagnétiques générées par les téléphones et les antennes relais. Dans l’intervalle, les antennes gagnent de plus en plus de toits d’immeubles, les offres multimédias de nouvelles générations sont toujours plus gourmandes en termes de trafic de données, donc de puissance de transmission et d’intensité des ondes émises. Alerter sur ce problème de santé publique majeur devrait permettre au tribunal de mesurer l’importance de la décision qu’il prendra. Taquin, Étienne Cendrier complète : « On espère aussi que cela permettra au tribunal de résister à d’autres pressions » .

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