Raoul Marc Jennar : « Prêts à refonder l’Europe ? »

Pour Raoul Marc Jennar, l’un des
porte-parole de la campagne Bové,
la répartition des pouvoirs entre l’État
et l’Union devrait être
une question centrale de la campagne présidentielle. Et l’avenir
de la France ne peut
se passer
d’un débat
sur l’avenir communau-
taire.

Michel Soudais  • 22 mars 2007 abonné·es

Dans la campagne électorale, l’Europe est-elle évoquée à son niveau d’importance ?

Raoul Marc Jennar : Pas du tout. L’Europe est un acteur puissant. Entre 60 % et 90 % des législations ayant des implications directes sur nos vies viennent de l’Europe. Et un très grand nombre de propositions des candidats sont irréalisables sans une remise en cause des traités existants. Pourtant, cet acteur est absent. La plupart des programmes n’y consacrent qu’un chapitre souvent lointain, centré sur une question : comment sort-on des problèmes posés par le rejet du traité constitutionnel européen (TCE) par la France et les Pays-Bas ?

Ce rejet est-il vraiment un « problème » ?

C’est un révélateur, pas un problème. La crise de la construction européenne date de la fin des années 1990 et se résume à deux aspects : il n’y a plus, dans la plupart des pays, de désir d’Europe, mais au contraire un sentiment d’impuissance par rapport aux décisions européennes, sur lesquelles les gens n’ont aucune prise. La faute des dirigeants politiques européens est de ne pas avoir procédé à l’approfondissement avant l’élargissement. Il aurait fallu démocratiser les institutions et avancer plus hardiment dans les domaines sociaux et environnementaux, afin de rééquilibrer une Europe qui est allée trop loin sur le plan commercial, économique et financier. Au regard de ces attentes, la signature du traité d’Amsterdam a été un échec. Depuis, le Parlement européen n’est même plus élu par la moitié des électeurs inscrits. La crise est donc profonde.

La participation à la présidentielle est plus forte, alors que le Président élu est ficelé par les décisions européennes et le droit communautaire. Ce paradoxe n’est-il pas le non-dit de la campagne ?

Incontestablement. Les marges de manoeuvre du président de la République et du Parlement sont aujourd’hui beaucoup plus limitées qu’on veut bien le reconnaître. Faut-il accepter cette situation qui, progressivement, a amputé la souveraineté populaire de son effectivité ? À quoi sert encore le suffrage universel quand ce qu’il produit est bien plus impuissant que ne veulent le reconnaître ceux qui le sollicitent ? La question centrale de cette campagne devrait être de savoir si l’on accepte cette répartition des pouvoirs entre les États et l’Union européenne ou s’il faut la remettre en question. Car cette question conditionne toutes les politiques sectorielles qu’on peut envisager. Un débat sur l’avenir de la France ne peut pas faire l’économie d’un débat sur l’avenir de l’Europe.

Le Président élu n’aura-t-il pas, néanmoins, un rôle à jouer dans une Europe qui reste très intergouvernementale ?

C’est vrai, mais il y a aussi « l’acquis communautaire » auquel les États membres sont tenus de se plier. Et il faut bien reconnaître que l’intergouvernemental n’a pas souvent contrarié les propositions venant de la Commission européenne. Les gouvernements ont rétabli dans la proposition Bolkestein, modifiée par le Parlement européen, des dispositions que les parlementaires avaient rejetées. Aujourd’hui, ils soutiennent la Commission sur la remise en cause du droit du travail ou la création d’une vaste zone de libre-échange euro-américaine. Cette connivence peut être due aux majorités dans chacun des États membres, mais le gouvernement Jospin ne s’est pas plus opposé à la stratégie de Lisbonne ni aux décisions de Barcelone, sans lesquelles Dominique de Villepin n’aurait jamais pu agir comme il l’a fait avec EDF-GDF. La question est donc de savoir si l’on veut un Président et une Assemblée nationale décidés à demander une remise à plat de la construction européenne pour mieux clarifier les compétences entre les États et l’Union, ou résolus à ne toucher à rien du droit communautaire applicable. Mais comment y répondre, quand la plupart des candidats ne disent pas clairement que, pour eux, la construction européenne actuelle est irréversible ? Or, ce que d’aucuns ont fait, d’autres peuvent le modifier. Refonder une Europe pour les citoyens et pas seulement pour les actionnaires est une question de volonté politique.

Cette refondation doit-elle passer par une constitution ?

Cela passe par une rupture du consensus mou intergouvernemental. Elle seule peut provoquer une renégociation des traités existants, éventuellement une constitution. Mais celle-ci n’est pas, pour moi, le préalable pour régler la crise de confiance.

On ne peut renégocier seul…

Une crise ouvre une période d’incertitude, de réflexion, et sa sortie se fait nécessairement à plusieurs. Le problème n’est plus de craindre la crise ou de faire des conjectures sur les termes de sa sortie. Le problème, c’est l’absence de volonté politique pour la provoquer et régler les problèmes. Les États qui ont ratifié le TCE voudraient faire comme si deux peuples n’avaient pas dit « non ». Il ne suffit pas que le droit dise que, pour être ratifié, ce traité doit l’être par toutes les parties. Il faut qu’émerge une volonté politique forte venant d’un pays important pour ouvrir des perspectives.

Dans l’hypothèse d’une renégociation des traités, la France aura la main avec la présidence de l’UE au second semestre 2008…

Il ne faut pas se faire d’illusions. Cette présidence est plus une gestion de l’agenda. Bien sûr, elle peut insister sur des priorités. Mais, dans le passé, on a surtout constaté une autocensure de la présidence. Si les petits pays s’en servent parfois pour avancer des propositions, les grands pays se sentent plus limités par les devoirs de neutralité de la charge. Maintenant, un président de la République qui aurait le courage de poser les termes du débat dans ceux que je viens d’indiquer pourrait se saisir de l’occasion. Mais, si l’on veut, comme le souhaitent un certain nombre de gouvernements, régler les problèmes avant l’élection du Parlement européen en 2009, c’est tout de suite que la France devrait prendre des initiatives. Et cela dépend quand même du résultat des élections qui sont devant nous.

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