La fierté d’une minorité, l’exploitation des autres

Lysiane Rolet récuse l’idée du « libre choix » de se prostituer, défendue par Maîtresse Nikita et Thierry Schaffauser dans « Fières d’être putes ».

Lysiane Rolet  • 24 mai 2007 abonné·es

Dans le n° 949 de Politis , Olivier Doubre nous présente le livre de Maîtresse Nikita et Thierry Schaffauser intitulé Fières d’être putes (éditions L’Altiplano). Cet ouvrage, censé apporter une contribution à « l’histoire des luttes contre les violences et les discriminations en France », bénéficie, selon nous, d’une présentation plus qu’inquiétante car extrêmement complaisante avec la vision réglementariste de la prostitution (en faire un métier comme un autre).

L’idée du libre choix de se prostituer est au coeur de cette vision. Or, qu’en est-il quand, pour plus de 80~% des personnes, l’entrée dans la prostitution se fait entre 13 et 15 ans~? Qu’en est-il quand près de 90~% des prostituées dépendent d’un proxénète~? Qu’en est-il quand près de 95~% des prostituées désirent sortir de la prostitution (celles qui réussissent se qualifient de «~survivantes~»~!)~? Qu’en est-il quand on sait que nombre de prostituées ont été victimes de sévices sexuels ou de viols lors de leur enfance~?

La prostitution n’est pas une question individuelle, mais une question sociale. Le concept de libre disposition de son corps avancé par le mouvement féministe dans les années 1970 est détourné. En effet, les femmes prostituées qui se disent indépendantes et revendiquent la «~liberté de se prostituer~» sont une très faible minorité. Défendre la liberté de ces femmes «~indépendantes~», c’est en réalité privilégier les intérêts de cette minorité de femmes, qui disent assumer pleinement leur situation, pour occulter l’exploitation, voire l’esclavage, de l’immense majorité d’entre elles.

Contrairement à ce qu’affirment les réglementaristes, la légalisation de la prostitution n’a en rien sorti cette activité de l’ornière du crime organisé, les proxénètes sont seulement devenus des hommes d’affaires «~respectables~», mais toute la violence inhérente à la prostitution demeure. La légalisation a, en outre, créé un appel d’air aboutissant à l’intensification du trafic des femmes, notamment celles issues des pays d’Europe de l’Est, afin de répondre à la demande croissante.

La prostitution est le stade suprême de la marchandisation du monde (le corps humain). Elle s’inscrit pleinement dans le cadre de la mondialisation néolibérale. En plus de cet aspect économique, elle constitue une des pires manifestations de la violence sociale contre les femmes et de la domination masculine.

La notion de «~libre choix~» a permis aux auteurs du courant post-moderne de présenter la prostitution comme une forme de résistance et d’émancipation, en rupture avec les normes existantes (le modèle conjugal, dominant et reproductif). Ainsi, la prostitution correspondrait à un choix individuel légitime. Judith Butler, une des figures les plus importantes de ce courant, reconnaît l’existence d’un système de domination masculine et la réalité masculine de la violence. Mais, pour ce courant (les post-modernes), nos sociétés ne peuvent plus être changées~: c’est la «~fin de l’histoire~», et l’horizon «~réaliste~» se limite à demander le contrôle des conditions de travail des prostituées par leur salarisation et leur syndicalisation. Il occulte ainsi tous les aspects dégradants de la prostitution.

Sans aucun parti pris d’ordre moral, la commission Genre, Femmes et Mondialisation d’Attac-France, de même qu’une très large majorité du mouvement féministe, opte clairement pour l’abolition de la prostitution. De la même manière que l’abolition de l’esclavage était une bataille pour les droits humains et pas seulement pour les droits des Noirs, l’abolition de la prostitution est une bataille pour la dignité humaine et pas seulement pour la dignité des femmes.

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