Plaidoyer contre le fichage

Cité comme témoin au procès des faucheurs de maïs OGM de Cahors, le 13 décembre, Claude-Marie Vadrot revient pour Politis.fr sur l’audience au cours de laquelle il a dénoncé une société de la surveillance et du fichage.

Claude-Marie Vadrot  et  Politis.fr  • 14 décembre 2007 abonné·es

Jeudi à Cahors, défendu avec talent et conviction par Maître François Roux qui n’a pas hésité à rappeler les heures sombres de la Résistance, soutenus par José Bové et 200 joyeux manifestants, huits habitants du Lot, agriculteurs et artisans, ont comparu devant le tribunal de grande instance de la ville, pour avoir refusé de se soumettre à un prélèvement de leurs empreintes génétiques après avoir été interrogés comme « faucheurs de maïs OGM ». Cité comme témoin pour leur défense, j’ai expliqué pourquoi, à mon sens, ils avaient opposés un refus ferme et définitif. D’abord parce qu’ils refusent instinctivement ce viol de leur intimité alors qu’ils n’ont commis aucun crime ; et ensuite parce qu’ils ne souhaitent pas figurer dans le grandissant et énorme fichier génétique que le ministère de l’Intérieur est en train de constituer, au mépris du droit de chacun à ne pas être répertorié dans l’un de ces fichiers qui visent, à terme, à répertorier, avec d’autres, toute la population française.

Me basant sur les enquêtes que je mène depuis une douzaine d’années sur le fichage des Français, j’ai rappelé au tribunal la dérive de ce fichage génétique : au départ, une loi de juin 1998 du gouvernement Jospin introduisant dans la loi cette répertoriation dans la Fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg) pour les auteurs de crimes sexuels et les pédophiles. A l’époque, quelques courageux qui ne craignaient pas de passer (faussement) pour des défenseurs de violeurs, avaient signalé qu’il s’agissait là d’un précédent dangereux pour les libertés individuelles dans la mesure où de simples, classiques et normales enquêtes de police permettaient de confondre les délinquants sexuels que nul ne songe à protéger. En décembre 2001, une nouvelle loi a ajouté les actes de barbarie et le terrorisme comme (bonnes ?) raisons de figurer dans ce Fnaeg.

Difficile, même en craignant toujours des abus, de s’élever contre cette extension que le législateur justifiait en expliquant que la majorité de Français n’avait rien à craindre puisqu’il ne s’agissait que de cerner une minorité de terroristes. Mais la voie était désormais tracée, malgré les réticences de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil), pour de nombreux abus, étant une nouvelle fois précisé que cela ne concernait « évidemment pas les honnêtes citoyens » : en 2003 et 2004, le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy a étendu la « possibilité » (jolie litote) de figurer dans ce grand fichier à toutes les personne « provoquant un trouble à la sécurité ou à la tranquillité publique ou une atteinte aux personnes, aux biens ou à l’autorité de l’Etat » . En tout, 140 infractions et délits qui visent finalement tout le monde, et en particulier les militants et les manifestants de toute sorte.

J’ai également rappelé au tribunal, et ensuite aux manifestants réunis à la bourse du travail, que cette société de la surveillance et du fichage nous transformait tous progressivement en « coupables » potentiels alors que chaque citoyen, même devant un tribunal et bien entendu avant, est présumé innocent. J’ai donné comme un exemple mon propre cas : j’ai en effet été –logiquement- entendu par deux officiers de police judiciaire après le vol, dans les circuits de la Poste, d’un carnet de chèques qui m’était destiné. Ce carnet de chèques ayant été utilisé ensuite par de petits escrocs, je suis désormais « fiché ». Conséquence de cette affaire dans laquelle je suis à peine témoin et surtout victime, je figure donc désormais dans le Stic, le fichier du ministère de l’Intérieur, comme « impliqué dans une affaire d’escroquerie » , les fichiers nourris par les policiers ne faisant pas le détail.

Des dizaines de milliers de personnes, témoins, gardés à vue, inculpés innocentés par une jugement, etc. se retrouvent dans cette situation qui peut déboucher sur une interdiction personnelle au moment où ils cherchent un emploi. Comme ce technicien postulant à La Hague et auquel sont employeur potentiel a expliqué qu’il ne pouvait pas avoir le poste parce qu’il était fiché dans le Stic comme « impliqué dans une affaire de vol » ; tout cela parce que, trois ans plus tôt, au moment d’un divorce tumultueux, il était venu prendre à l’ancien domicile conjugal un poste de télévision qu’il estimait lui appartenir. Sa femme, sous le coup du divorce, avait porté plainte à la gendarmerie. Ensuite, l’affaire s’était arrangée et avait été classés sans suite par les gendarmes. Mais cet épisode avait laissé une trace dans un fichier, Judex, l’équivalent du Stic pour la gendarmerie. Il avait fallu des semaines pour que la victime obtienne que cette mention soit effacée et qu’il puisse finalement être embauché. Il n’est pas le seul, loin s’en faut, à avoir été frappé de cette interdiction professionnelle dont il a été heureusement prévenu par un syndicaliste qui la trouvait étrange. Mais combien d’autres n’ont pas les moyens de se défendre contre cette stigmatisation qui permet au ministère de l’Intérieur et aux syndicats de policiers d’expliquer que des individus sont « bien connus des service de police » , phrase que l’on retrouve ensuite sans explications dans les médias.

Le président du tribunal, qui a interrogé sans aucun parti pris les « objecteurs du fichage », m’a écouté avec attention et sans objection. La surprise est venue du procureur de la République. Il aurait pu, dans la logique de son rôle, réclamer la simple et ferme application de la loi. Il s’est, en fait, lancé dans un interminable et fumeux réquisitoire qui ressemblait plus à une minable conversation de bistrot qu’à une intervention de défenseur de la loi. Preuve qu’il n’était pas vraiment certain d’avoir raison, il a même reproché aux inculpés et à moi-même de brandir la menace d’un « Etat totalitaire » auquel nous n’avions pas fait la moindre allusion. Elucubrations visant, il l’a dit, à dénier à l’avance au tribunal le droit d’interpréter la loi et ce en des termes aussi ridicules qu’offensant, y compris pour le président du tribunal. Une argumentation mise magistralement en pièces par Maître François Roux qui a rappelé les réticences de la Cnil et les prises de position du Comité national de l’éthique ou de la Cour européenne des droits de l’Homme. L’avocat a également souligné que la loi française avait prévu « l’état de nécessité » qui permet aux citoyens de contester des textes de loi attentatoires à leurs libertés.

En marge de ce procès, José Bové a signalé qu’il allait lancer une pétition pour inciter la population à refuser systématiquement le fichage génétique, fichage qui préfigure une société au sein de laquelle un recours systématique à la génétique allait introduire une sorte de médecine prédictive qui permettrait à des employeurs de refuser des embauches au nom d’une soi-disant prédisposition génétique à des maladies. José Bové a également rappelé qu’à partir du 3 janvier, en compagnie d’une dizaine de personnes, il entamerait une grève de la faim devant le ministère de l’environnement pour protester contre le revirement et le reniement du gouvernement au sujet de l’interdiction des OGM de plein champ. Un retour en arrière qui a motivé hier le retrait de la Confédération paysanne des discussions de l’ « après Grenelle », une grand-messe dont il ne reste plus grand chose après le départ de la plupart des associations qui y ont participé.

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