Travailler plus pour gagner moins : témoignage

Dans le prolongement de notre dossier de cette semaine sur « la vraie fracture sociale », Politis.fr vous propose le témoignage de Gildas Stenfort, 44 ans. Cet habitant de Xonrupt, dans les Vosges, nous raconte l’inexorable érosion de son pouvoir d’achat au fil des années.

Xavier Frison  et  Politis.fr  • 7 février 2008 abonné·es

«J’ai commencé à travailler à 14 ans, comme apprenti électricien. Mon premier Smic, je m’en rappelle bien, était de 3 000 francs et je m’étais offert une mobylette (une Peugeot 103 pour 2 630 francs, un casque et l’assurance pour un an). Il y a 20 ans, je travaillais 39 heures par semaine, j’avais mes week-end, je partais même en vacances et je vivais bien sans être riche ou aisé, mais bien.

Petit à petit, le travail s‘est raréfié et a été de moins en moins rémunéré. Oh, au début, on ne s’en rends pas vraiment compte et on
prend des missions le temps d’un week-end. Puis les week-ends travaillés s’enchaînent pour conserver sa rémunération, puis on travaille à la place de ses vacances et un jour, cela ne suffit plus.

Voilà 10 ans que je ne suis plus parti en vacances, 10 ans que je ne
mets plus les pieds chez un boucher, poissonnier, boulanger, 10 ans que les restaurants, sorties ou autres activités je ne sais plus ce que c’est. Pire, je cherche de plus en plus du travail au noir pour être certain de passer le mois prochain.

Ma dernière expérience professionnelle est des plus représentative de l’écart entre le discours du politique et de celui qui le subit. L’éternel opposition entre le spéculatif et l’opératif. Bondissant sur l’appât de monsieur Nicolas Sarkozy, j’ai pris en mai dernier un contrat CDD d’ouvrier dans une scierie. La scierie SAS Jean Mathieu de Xonrupt me proposait alors 9,10 euros de l’heure plus les fameuses heures supplémentaires, à savoir 20 minimum par mois. Soit :
10 heures de travail par jours, 180 heures de travail au mois, 20 heures supplémentaires. Salaires ? 1040 euros net ou 90 % du Smic seulement, et ce en toute légalité, grâce à une certaine loi d’aménagement des 35 heures.

Aménagement pour qui ? Par pour moi qui pensait qu’en travaillant plus je gagnerais plus. Je n’ai gagné qu’un séjour à l’hôpital pour m’être cassé le genou en portant chaque jour 20 à 30 tonnes de bois
pour ne payer que mon loyer et l’EDF. Alors, oui, je pense qu’il est
déjà possible en France de travailler plus pour gagner moins.

Hier encore je pensais être l’idiot solitaire du village mais, depuis que j’ouvre mes oreilles au monde du travail, je m’aperçois que l’on est des
dizaines et des dizaines, peut-être même plus, à vivre la même
diminution régulière du pouvoir d’achat.»

Temps de lecture : 2 minutes