Éthanol ? Et ta sœur !

À Marnay-sur-Seine, les opposants à l’usine d’éthanol ont obtenu l’arrêt du chantier. Récit d’une bataille juridique sur fond de polémique, l’efficacité des agrocarburants étant aujourd’hui sérieusement contestée.

Christine Tréguier  • 6 mars 2008 abonné·es
Éthanol ? Et ta sœur !

Le chantier de la SMBE (Société mériotaine de bioéthanol) est au point mort, et aucun bâtiment de la future usine n’est encore sorti de terre. L’association de protection de l’environnement Seine libre peut savourer une victoire qui paraissait, il y a dix-huit mois, bien incertaine. Les agrocarburants faisaient alors figure de solution miracle pour réduire la dépendance des états aux énergies fossiles ainsi que les émissions de CO2. Le ministre des Finances de l’époque, Thierry Breton, lançait en fanfare son « plan biocarburants » et promettait l’installation de 500 pompes E 85 (85 % d’éthanol, 15 % d’essence) avant 2007.

Illustration - Éthanol ? Et ta sœur !


Certains préfets bloquent l’ouverture des pompes E 85 promises par Thierry Breton. NASCIMBENI/AFP

Parmi les sept usines de production d’éthanol en cours de construction ou en projet, celle que le groupe céréalier nogentais Soufflet avait prévu d’implanter entre Pont-sur-Seine et Marnay-sur-Seine, dans le département de l’Aube. Une usine Seveso 2 dont les Marnois ne veulent pas : trop proche des habitations (moins de 500 mètres) et de la nationale 19, et incompatible avec les trois Zones nationales d’intérêt écologique faunistique et floristique (Znieff), la zone Natura 2000 et l’écosystème fragile de la vallée de la Bassée (voir « Un écolo plutôt louche », Politis n° 825).

« Nous devions gagner du temps », explique Cyril Elbaz, conseiller municipal à Marnay. Et les ancêtres de la Bassée lui donnent alors un sacré coup de main. Le site se révélant riche en vestiges archéologiques allant de l’âge du bronze au Moyen Âge, les fouilles de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) se prolongent jusqu’au mois d’août 2007. Un mois de plus pour déménager les vestiges au musée de Châlons-en-Champagne (Marne) et, début octobre, le terrassement commence. Mais les permis de construire ne sont pas officiellement accordés. Le maire de Marnay, Christian Guillard, s’engouffre dans la brèche et attaque au pénal. De son côté, l’association dépose par deux fois un recours contre la révision du plan local d’urbanisme (PLU) de Pont-sur-Seine, une étape indispensable pour convertir des terres agricoles en terres industrielles. Deux fois, le PLU est annulé. « Il s’agit d’une révision simplifiée. Pour trouver le moyen de se planter deux fois, il faut vraiment agir par précipitation », ironise l’avocat de Seine libre, MeGuézennec.

Fin octobre, les deux permis sont affichés. Celui de Marnay (qui n’a pas de PLU) est accordé par le préfet, contre l’avis négatif du maire. Deux recours sont déposés devant le tribunal administratif, assortis de deux référés pour suspendre l’exécution des travaux. Le 23 janvier 2008, le juge des référés, constatant que le maire de Pont a annulé son permis cinq jours avant (faute de PLU valide) et que celui délivré par le préfet est irrégulier, ordonne l’arrêt immédiat du chantier jusqu’au jugement sur le fond… dans 18 mois.

«Nous restons vigilants, prévient Sarah Tenot, présidente de Seine libre, mais nous avons bon espoir car le contexte a chang é. » Plusieurs rapports récents mettent en doute la capacité des agrocarburants (en particulier des éthanols de maïs et de blé) à réduire les émissions de gaz à effet de serre, et soulignent les risques qu’ils font peser sur l’environnement et la sécurité alimentaire. « La filière éthanol ne peut fonctionner que sous perfusion publique, alors que son bilan énergétique est peu probant » , confirme Jean-Stéphane Devisse, du WWF. L’ONG souhaite que les aides soient conditionnées à des règles de protection de l’environnement et à l’efficacité énergétique (EE) réelle des agrocarburants. Leur évaluation, confiée à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), risque toutefois de prendre du temps. Le premier rapport, prévu courant mars, ne portera que sur la méthodologie de calcul.

Pour Patrick Sadones, agriculteur, ingénieur et membre du Réseau action climat, « ces projets éthanol sont une calamité, et à court terme ils ne seront plus rentables ». L’éthanol de blé est gourmand en eau et en engrais. Son EE n’est que de 1,3. Le prix d’achat du blé est plafonné pour cinq ans à 80 euros la tonne, alors que le cours est aujourd’hui à 220 euros. Et la défiscalisation coûte cher à l’État. Cette subvention déguisée consiste à reverser aux producteurs une part de la TIC (taxe sur la consommation intérieure) prélevée sur chaque litre d’éthanol. « L’argent public pourrait financer des projets plus efficace contre les émissions de CO2 », estime Patrick Sadones. La récente baisse de cette défiscalisation ­ de 0,33 euro à 0,27 euro le litre~­ est pour lui le signe d’un changement de politique. Tout comme le malus imposé aux véhicules roulant à l’E 85 ou le fait que les préfets préfèrent bloquer l’ouverture des pompes E85, promises par Thierry Breton. Chez Soufflet, on se dit bien décidé à poursuivre. Et le site de la SMBE se contente d’attribuer le retard du chantier aux mauvaises conditions météorologiques.

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