Festival BD engagée de Cholet : La plume et le pinceau

Du 9 au 11 mai, le 2e festival de la BD engagée réunit des bédéistes qui manient leur art comme un outil de combat. Une édition ancrée cette année en plein monde ouvrier.

Marion Dumand  et  Politis.fr  • 5 mai 2008 abonné·es

Illustration - Festival BD engagée de Cholet : La plume et le pinceau

Cholet, 56 000 habitants et deuxième bassin d’emplois pour le Pays de Loire. Cholet donc, c’était le royaume de la chaussure et du textile, « l’usine à la campagne » , rappelle Dominique Poupard, membre de l’association Bandes à Part et organisatrice de ce second festival sur la BD engagée. « En terme de syndicalisme, une terre bien plate… » , complète son comparse Michel Humbert. Bénie pour son catholicisme et ses patrons. Maudite en ces temps de mondialisation.

L’endroit le suggérait, l’actualité locale et éditoriale [^2] l’a confirmé : le monde ouvrier sera au coeur de ce festival. Qui ne perdra pas de vue son but premier. Il s’agit avant tout de faire sortir le débat culturel des seuls cercles initiés. Quoi de mieux alors d’ancrer sa réflexion dans un conflit local, d’en faire oeuvre de création? En 2007, Bandes à part avait donné naissance à « Sans papiers, une histoire choletaise ». Cette année, « Matin Rouge » retrace la lutte inégale qu’ont mené les salariés de Dorel-Ampafrance contre leur grand patron en mal de délocalisation.

Illustration - Festival BD engagée de Cholet : La plume et le pinceau

« J’enseignais dans le collège jouxtant l’usine originelle, créée en 1914, point de départ de cette aventure, raconte Michel qui a écrit le texte. Elle fut d’abord familiale et plutôt paternaliste, puis fusionnée, et enfin rachetée par un grand groupe canadien. » Un milliard de chiffre d’affaire? Qu’importe. La production doit se faire maintenant au Portugal et en Chine. En mars 2007, les salariés occupent le site et négocient leurs conditions de départ. Tous se montrent enthousiastes à l’idée de voir leur histoire et celle de leurs prédécesseurs narrée et illustrée, à tel point que le Comité d’entreprise participe financièrement à l’aventure.

Illustration - Festival BD engagée de Cholet : La plume et le pinceau

Pendant trois jours, le dessinateur Damien Roudeau les croque, recueille des bribes de dialogues. « Ce récit local décortique également les mécanismes de la mondialisation. Un exemple m’a particulièrement marqué: en 2004, Christophe s’est rendu au Portugal pour mettre en place le flux tendu. Trois ans après, il était licencié, avec d’autres, du site de Cholet. » Mais, attention, précise Damien, « ce carnet est un espace de paroles, pas un ouvrage militant « poing levé » » .

Il frappe là en plein épicentre du festival. Art, engagement, militantisme, refus de la propagande sont autant de débats inhérents à Bandes à part. Aux auteurs d’apporter leurs nuances, de dialoguer. « Parler de BD militante sous-estime la dimension artistique » , précise ainsi Philippe Squarzoni, notamment auteur de Garduno en temps de paix et parrain du festival [^3]. « On n’écrit pas des tracts de trois cent pages! » Engagé alors? « A la rigueur, mais par qui ? », s’interroge Etienne Davodeau, un enfant de la région et d’ouvriers, comme en témoigne Les mauvaises gens . « Je ne le suis par personne. J’use seulement de mon tout petit pouvoir : toucher quelques dizaines de milliers de personnes pour faire parfois résonner une parole trop peu entendue, une parole collective. » Et tous de revendiquer la distance du créateur. Qui travaille la forme, cherche l’image juste ou la cueille là où elle est. Lorsque Jacques et Bruno évoquent devant Damien les derniers jours de leur usine, ce sont les métaphores que retient le dessinateur. Le klaxon du pont roulant sonne alors « comme pour saluer une disparition » , et les cartons préparent « comme un grand déménagement pour nulle part… » . Si, selon Philippe, « ce festival permet d’affirmer sans complexe que l’art peut être politique et que la politique n’est pas sale » , il rappelle aussi que la bande dessinée sait être poétique.

[^2]: Notamment et présents au festival, Efix et Levaray (Putain d’usine), Bernard Reglat (Toulouse septembre noir). Pour en savoir plus sur le festival et les autres invités : http://bandesapart.org

[^3]: A paraître fin mai, la 3ème édition de DOL, avec une postface (encore) remaniée

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