La crise alimentaire affame aussi les associations

L’explosion du prix des denrées de base et l’augmentation de la pauvreté inquiètent les organisations d’aide alimentaire, qui éprouvent de grandes difficultés à assurer leurs missions en France.

Xavier Frison  • 15 mai 2008 abonné·es
La crise alimentaire affame aussi les associations
© Fédération française des Banques alimentaires, 01~49~08~04~70, Restos du cœur, 01~53~32~23~23, Croix-Rouge, 01~44~43~11~00, Secours populaire, 01~53~41~39~39,

Thaïlande, Sénégal, Inde, Haïti et… France. La crise alimentaire mondiale touche tout le monde, de Bamako à Paris. Si l’explosion des prix des denrées alimentaires de base est amortie avec plus ou moins de douleur par les Français, les plus démunis sont les premières victimes du phénomène. Ceux qui pouvaient encore payer leur nourriture en grande surface ont tendance à se fournir auprès des associations de solidarité, augmentant ainsi la «clientèle» de ces dernières. Or, ces associations doivent affronter une diminution sensible de leurs approvisionnements, entre autres avaries.

Illustration - La crise alimentaire affame aussi les associations


L’augmentation du prix des produits privera les Restos du cœur de 5,5 millions de repas en 2008-2009. Daniau/AFP

Tout en haut de la chaîne de la solidarité alimentaire trône le Programme européen d’aide aux plus démunis (PEAD), créé en 1987. Le dispositif devait mettre à disposition des États membres demandeurs les excédants agricoles communautaires, aujourd’hui réduits à peau de chagrin pour cause de réforme de la politique agricole commune (PAC). En parallèle, les États membres sont passés de 15 à 27, augmentant de facto le nombre de pays demandeurs. Ils sont aujourd’hui 19, dont la France, représentée par quatre organisations : la Fédération française des banques alimentaires, le Secours populaire, les Restos du cœur et la Croix-Rouge. Depuis 2006, la ligne budgétaire allouée par le PEAD sert à acheter directement les produits sur le marché, les stocks étant trop justes. Et c’est là que le bât blesse désormais : «Pour 2007, l’enveloppe du PEAD a augmenté de 4~%, mais le prix des denrées a connu une hausse moyenne de 10~%. Donc, nous aurons moins» , calcule Catherine Lasry-Belin, responsable de la communication à la Fédération française des banques alimentaires.

«Nous aurons 20~% de produits en moins à acheter, confirme Christophe Auxerre, secrétaire national du Secours populaire. Pour le riz, c’est 38~% de moins ; les céréales, -~23~%, les produits laitiers, -~5~%.» Soit 4,5~millions de repas qui ne seront plus distribués par le Secours populaire. Même problème aux Restos du cœur, où il manquera 5,5 millions de repas pour la campagne 2008-2009 par rapport à la précédente : «Les hausses de prix nous pénalisent gravement» , résume Paul Derveaux, responsable des approvisionnements.

Autre motif d’inquiétude, la tirelire des Français susceptibles de contribuer aux diverses campagnes de collecte sonne creux :~ «Comme les gens ont moins d’argent, les collectes chutent de façon drastique, explique Christophe Auxerre. Depuis janvier, les campagnes effectuées tous les quinze jours à Paris apportent moitié moins de dons que l’an dernier.» En outre, «la hausse des prix entraîne une réaction en chaîne sur la qualité et la diversité des produits collectés, plus difficiles à fournir» , se plaint la Croix-Rouge. L’organisation prévoit un déficit de « 5 à 6~millions de repas» par rapport à 2007, et prépare sa quête annuelle des 17 et 18~mai dans l’anxiété. Difficile, dans ce contexte, de proposer, en sus des denrées de base du PEAD, fruits, légumes, voire conserves de viande et de poisson, à des populations qui en ont dramatiquement besoin.

Devant l’ampleur de la crise et la persistance des nécessités sur le terrain, il faut tenter de trouver des solutions. Bien malin qui sortira la parade miracle de son chapeau : «À notre niveau, nous pouvons alerter l’opinion et interpeller les pouvoirs publics sur la gravité de la situation, lance Christophe Auxerre. Et militer pour le maintien et l’augmentation du PEAD.» Bientôt rediscuté à Bruxelles dans le cadre de la prochaine réforme de la PAC, l’avenir du PEAD est également lié à la future présidence française de l’Union européenne, à partir de juillet. Une fenêtre de tir que les quatre associations ne veulent pas laisser passer. Depuis fin avril, «un groupe de travail mis en place par le Premier ministre avec les associations prépare un argumentaire fort pour la présidence française à Bruxelles. Il nous faut une politique alimentaire à long terme et ambitieuse» , clame Didier Piard, responsable de l’action sociale à la Croix-Rouge. En attendant, «on va chercher les denrées manquantes chez nos autres fournisseurs : grandes surfaces, entreprises agroalimentaires et, bien sûr, les collectes auprès du public» , égrène Catherine Lasry-Belin. «Cela va être difficile de compenser la perte, prévoit Paul Derveaux. Si on achète coûte que coûte pour combler le déficit de repas, on va pomper sur nos quelques réserves. Et on ne pourra pas le faire deux années d’affilée.» La Croix-Rouge, qui «ne peut donner que ce qu’on lui donne» et mise sur la générosité des Français, évalue l’impact de la hausse des prix à 7~millions d’euros pour 2008.

Des compensations à trouver avec d’autant plus d’urgence que les besoins du public ne faiblissent pas : entre 2007 et 2008, la Croix-Rouge estime «l’augmentation de la demande entre 5 et 10~%». Pour faire face à ces nouvelles demandes, l’association devrait offrir «entre 2 et 3~millions de repas supplémentaires en 2008» . Constat similaire pour les Restos : «Le nombre de repas est passé de 60 à 80~millions en cinq ans, et l’affluence ne faiblit pas, note Paul Derveaux. Il ne faut pas non plus oublier tous ceux qui vivent autour du seuil de pauvreté» , susceptibles de «décrocher» un jour ou l’autre. Pour Catherine Lasry-Belin, les rangs des bénéficiaires de l’aide alimentaire n’ont pas forcément grossi cette année, mais le type de public évolue : «On constate une hausse des femmes seules avec enfants, ainsi que des seniors. Parmi ceux-ci, il y a beaucoup de femmes qui n’ont jamais travaillé et dont le mari est décédé ou parti. On voit aussi débarquer plus de jeunes et de travailleurs pauvres.» Dans les locaux du Secours populaire, où les bénéficiaires viennent s’approvisionner, «les gens nous confient trois choses, révèle Christophe Auxerre. D’abord, ils nous confirment que leur situation personnelle et la misère s’aggravent. Ensuite, les mots “mort” et “suicide” reviennent dans les conversations. Enfin, ils nous disent : “On finira par aller se servir.”» Sous d’autres latitudes, on appelle cela les émeutes de la faim.

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