Fraude fiscale : une lutte sans moyens

Vincent Drezet, secrétaire national du Syndicat national unifié des impôts (Snui), propose des pistes pour réduire efficacement l’évasion, la fraude et la concurrence fiscales.

Vincent Drezet  • 12 juin 2008 abonné·es

La fraude fiscale a récemment connu une riche actualité. Le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) de mars~2007, la polémique sur les dénonciations lancée par le président de la République en septembre~2007, le scandale de la fraude fiscale internationale impliquant le Liechtenstein début 2008 et la création, en avril, d’une délégation à la lutte contre la fraude ont alimenté le débat sur la place et le rôle du contrôle fiscal. À quoi sert-il ? Comment mieux lutter contre la fraude fiscale ? Telles sont, en substance, les principales questions posées.

En France, le contribuable (entreprise, particulier) déclare ses revenus, ses bénéfices, le patrimoine qu’il détient ou qu’il reçoit, la TVA qu’il doit reverser s’il est commerçant, etc. La contrepartie de ce système déclaratif est le contrôle fiscal. L’administration vérifie ainsi l’exactitude des éléments déclarés et rappelle, le cas échéant, l’impôt dû lorsque les montants déclarés sont inférieurs aux montants réels. En théorie, le contrôle doit donc permettre de s’assurer que le droit est respecté.

Les approches de la fraude varient, et avec elles son évaluation. Néanmoins, des méthodes existent et donnent des fourchettes instructives. Le CPO estime la fraude fiscale et sociale entre 29 et 40~milliards d’euros (dont 70~% de fraude fiscale), mais précise qu’il s’agit d’un montant «plancher» qui n’intègre ni les irrégularités ni l’évasion fiscale internationale. La Commission européenne évalue la fraude fiscale entre 2 et 2,5~% du produit intérieur brut, soit 37 à 47~milliards d’euros. Le Snui l’évalue entre 42 et 51~milliards d’euros. Quel que soit le montant de l’évaluation, et l’approche sur laquelle il repose, il est colossal.

La fraude a certes toujours existé, mais la mondialisation, assise sur la rapidité des échanges, la liberté de circulation (des capitaux, des biens, des services, des personnes) et l’utilisation des nouvelles technologies, notamment, favorise son développement. Elle gagne en rapidité, se diversifie, se complexifie et s’internationalise. Or, le contrôle n’évolue pas à la même vitesse. En clair, les moyens de frauder s’accroissent tandis que la lutte contre la fraude demeure nationale et peu évolutive. C’est ce risque de décrochage qui constitue le principal défi. Alors que l’ouverture internationale de l’activité économique s’accompagne d’une évasion et d’une fraude fiscales importantes, que la récente affaire impliquant le Liechtenstein a bien montrées, il est par exemple frappant de voir que la part des contrôles fiscaux ayant donné lieu à rappels en fiscalité internationale est passée de 10,3~% en 2000 à 8,8~% en 2007.

Comment adapter le contrôle aux enjeux ? La présidence française de l’Union européenne sera-t-elle l’occasion d’ouvrir certains chantiers qui n’attendent qu’une décision politique pour être appliqués ? Il en va ainsi de l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés et du régime de TVA, de la mise en place d’un (ou de plusieurs) impôt(s) européen(s), de l’élargissement de la directive concernant la taxation des revenus de l’épargne (qui a déjà montré ses limites) et du dispositif général de lutte contre la fraude fiscale. De telles mesures permettraient de limiter la concurrence fiscale, de revaloriser le budget européen et, concernant la fraude, de réduire les transferts de bénéfices, la fraude à la TVA dite «carrousel» et plus globalement les différentes formes d’évasion fiscale.

Pour l’heure, au plan national, le gouvernement promeut la nouvelle procédure de flagrance fiscale. Son principe est intéressant : il s’agit en théorie d’être plus réactif et de prendre dans certains cas des mesures conservatoires dans le but d’éviter que le fraudeur organise son insolvabilité. Mais son application paraît déjà complexe et longue à mettre en œuvre. Au final, le risque qu’elle s’avère peu efficace est réel. Quant au plan européen, le gouvernement a annoncé vouloir mieux lutter contre la fraude «carrousel» et annonce la création d’Eurofisc, une structure à l’image d’Eurojust, sans toutefois préciser clairement quels seraient son action et ses pouvoirs.

Vu les enjeux, tout cela paraît un peu «court». En effet, de telles mesures, à supposer qu’elles soient vraiment prises, d’une part, et mises en œuvre efficacement, d’autre part, ne constitueraient que de timides avancées. Elles n’empêcheraient pas les transferts de bénéfices, ne toucheraient pas au secret bancaire, ne mettraient pas sur pied un corps européen de règles en matière de contrôle, ne limiteraient pas la concurrence fiscale, bref, ne répondraient pas véritablement aux enjeux. La question de l’avenir du contrôle fiscal reste donc posée, et ce d’autant plus que l’on assiste à un repli de l’action publique.

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