Ça se passe en France, aujourd’hui…

Avril 2007, à 2 heures du matin dans une petite ville de la région Midi-Pyrénées, quatre personnes sont interpellées par des policiers. Histoire d’une bavure.

Abel Zirtrech  • 28 août 2008 abonné·es

Nous sommes le 21 avril 2007, dans une petite ville du sud de la France. Quatre personnes sortent d’un restaurant. Trois d’entre elles sont membres d’un club de spéléologie. Hors de l’établissement, pour rigoler un peu, l’un des deux jeunes porte sur ses épaules le plus âgé ; les deux autres les devancent tranquillement de quelques mètres en regardant les vitrines ; des rires fusent. Une voiture de police s’arrête et les interpelle ; tranquille et souriant, le jeune, qui porte son aîné, répond : « Ne vous inquiétez pas, on s’amuse… » Et l’altercation commence : « Nous, on ne s’amuse pas… » Projection sur le mur de l’un des jeunes, qui, plaqué ensuite au sol, entraîne dans sa chute un policier ; il est tabassé et menotté. L’autre jeune tente de s’interposer : il est, lui aussi, frappé et menotté. Ils sont embarqués dans la voiture de police. Les arcades sourcilières, le nez et la lèvre ouverte du premier « pissent le sang », et un côté du visage de l’autre est tout enflé.

Transportés au commissariat sous une pluie d’insultes, ils sont forcés de se déshabiller ! Par nécessité, ils sont conduits à l’hôpital. Puis retour au commissariat pour une garde à vue de huit heures ; ils ne connaissent pas les procédures de sortie, et les policiers les accusent de « tentative de rébellion contre des forces de l’ordre ». Vers 10 h 30 du matin, ils peuvent rencontrer un avocat, commis d’office. Ils apprennent le risque des peines encourues pour un acte qu’ils n’ont pas commis : la prison, une grosse amende, l’inscription au « casier judiciaire ». À leur sortie, ils portent plainte : trois lettres recommandées avec accusé de réception partent, l’une vers le ministère de l’Intérieur, l’autre vers le Procureur de la République, la troisième vers le comité de déontologie de la police. Ils trouvent quatre témoins qui ont assisté à la scène et qui acceptent de les soutenir.

Puis silence radio pendant de longs mois. Mais, peu à peu, les informations fusent : l’Inspection générale des services de police a interrogé des témoins, mais pas tous : la compagne de l’un des jeunes n’a pas été entendue. Des langues se délient : ce n’est pas la première fois qu’une telle bavure se produit dans cette ville, mais, avant, les victimes se sont tues et certaines ont connu la prison. Confiants en la Justice, les deux jeunes gens s’interrogent, mais restent sereins : ils ont des témoins, ils ont choisi un bon avocat, ils ont été entendus par le Comité de déontologie de la police et ils ont le sentiment d’avoir été compris.
Et le dénouement arrive : un an après les faits, le Procureur de la République classe leur plainte sans suite pour insuffisance de preuves, mais maintient celle des policiers, un mystérieux témoin, invisible dans la rue au moment des faits, confortant leurs dires. C’est le tribunal et une peine assurés. Les jeunes ne comprennent pas mais, depuis le passage de l’IGS, les témoignages ont été modifiés : « C’est cela que vous vouliez dire ? Réfléchissez : ça s’est vraiment passé comme cela ? On ne serait pas plus proche de la réalité si vous écriviez ceci : […] ? » ; et ils deviennent sans substance ou à charge. Et le rapport du comité de déontologie n’est d’aucun secours.

Nos deux innocents passeront au tribunal le 17 septembre. Deux journalistes de la presse régionale les ont contactés, Amnesty International a lancé une procédure de soutien et de défense, et des soutiens locaux se sont manifestés. Mais quel poids ont-ils ? Ce ne sont pas des témoignages ! Parce que deux jeunes gens ont ri sur un trottoir, une nuit de printemps, dans moins d’un mois, peut-être, ils seront condamnés à la prison ou aux travaux d’intérêt général… L’un d’eux s’installe comme ébéniste d’art, l’autre est menuisier. Le premier aide sa compagne à monter son entreprise de maraîchage, qui exige une main-d’œuvre importante ; leur vie de couple naissante et leur gagne-pain sont menacés par cette atteinte sans fondement à leurs divers engagements. Comment ces jeunes gens peuvent-ils faire valoir leur simple droit ?

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