Fichez-nous… la paix !

Les recours et déclarations contre les fichiers de renseignement Edvige et Cristina affluent. Le Président tente de désamorcer la crise mais la mobilisation derrière le collectif « Non à Edvige » ne faiblit pas.

Christine Tréguier  • 18 septembre 2008
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Fichez-nous… la paix !

«On n’avait pas vu depuis longtemps un sujet sécuritaire qui mobilise autant », a déclaré Hélène Franco, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature (SM), en sortant de la conférence de presse organisée le 9 septembre à la Bourse du travail, à Paris, par le collectif « Non à Edvige ».
Devant les 200 personnes et médias réunis dans le vieil amphithéâtre, les intervenants se sont succédé pour expliquer en quoi les deux fichiers de renseignements Edvige et Cristina leur paraissaient inacceptables, et sur quoi se fondaient les deux recours déposés devant le Conseil d’État (voir Politis n° 1017). Pour le SM et la Ligue des droits de l’homme (LDH), c’est l’inclusion des mineurs, contraire à l’article 16 de la Convention des droits de l’enfant, et l’absence de garanties de contrôle, prescrites par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Pour le Syndicat des avocats de France (SAF), c’est la question des droits de la défense face à des fichiers non contrôlés (ou, comme Cristina, secrets), ou encore le respect des principes de finalité légitime et non excessive, et de proportionnalité, prévus par la loi Informatique et libertés.
Rédigé par Me Masse-Dessen, l’avocate des douze associations initiatrices, le recours contre Edvige pointe, entre ­autres, l’illégalité des finalités multiples : un même fichier pour ceux qui exercent des responsabilités publiques, ceux qui « portent atteinte à l’ordre public » et pour les besoins des enquêtes administratives sur les demandeurs d’emploi public.

Illustration - Fichez-nous... la paix !

Le siège de la Direction centrale de la sécurité intérieure. Combien de « fiches » entre ces murs ? Guay/AFP

L’absence de décret spécifique pour Cristina est qualifiée, dans le recours concernant ce fichier, de procédure irrégulière. Le seul ­décret, datant du 15 mai 2007, et dans lequel un alinéa sur Cristina a été ajouté début juillet, ne stipule ni objet, ni contenu, ni conditions d’accès ou de contrôle. Sa mise en cause est d’autant plus nécessaire que les données supprimées dans Edvige risquent fort d’atterrir dans Cristina à l’insu de tous. Et l’argument « il faut bien assurer la sûreté du territoire » ne saurait être un blanc-seing pour outrepasser les règles du débat démocratique, affirme un membre des Big Brother Awards. La méthode employée pour l’un comme pour l’autre fichier pose de façon très crue la question de l’habilitation légale. Le gouvernement peut-il, sur un sujet aussi sensible et touchant autant de personnes, occulter l’étape parlementaire, et légiférer par décret pour éviter de voir les parlementaires retailler ses projets en appliquant les lois en vigueur ? Peut-il escamoter jusqu’à ces décrets eux-mêmes, et les avis du Conseil d’État (non publics eux non plus) ? Quel recours juridique reste-t-il lorsque tout devient secret ?

Ces questions sont d’importance, et il est vain de vouloir les balayer, comme a maladroitement tenté de le faire François Fillon. Répondant aux interrogations, pourtant modérées, d’Hervé Morin, mi­nistre de la Défense, sur « ce curieux mélange des genres » , le Premier ministre lui a reproché de « créer des suspicions là où elles n’existent pas » . Ce type de réponse nie les questions posées par des dizaines de militants et d’élus depuis un mois et demi. C’est un motif de mécontentement de plus pour les politiques, de droite comme de ­gauche, et les syndicats, qui se sont exprimés sur le sujet toute la semaine dernière. Michèle Alliot-Marie, quant à elle, accumule les déclarations empêtrées ou intempestives. Heureusement, Nicolas Sarkozy a eu le temps de potasser le dossier dans l’avion le ramenant d’Ukraine, pour tenter de mettre un peu d’ordre dans ce chaos. Il lâche du lest, mais ne cède en rien : Edvige ou Cristina sont maintenus, et les mineurs y seront fichés – tout en ordonnant à la ministre de l’Intérieur de procéder à une concertation rapide « suivie de décisions pour protéger les libertés » . Ce qui induit qu’elles étaient bien en danger.
Concertation avec qui, sur quel espect ? Michèle Alliot-Marie a déclaré au Figaro que, « dans les tout prochains jours, une quinzaine ou une vingtaine de personnalités » , parmi lesquelles les présidents de la Cnil et du Medef ou encore le grand maître du Grand Orient de France, seront consultées mais priées de se restreindre à ce « sur quoi ­portent leurs inquiétudes » . Pas question d’inviter les « ultras » du collectif Non à Edvige, ­a-t-elle dit mercredi, « ces gens, de toute façon, sont des opposants systématiques ».
Pour Hélène Franco, « la stratégie du gouvernement, c’est une vente à la découpe d’Edvige ; on enlève les personnes publiques et on garde les mineurs (assimilés délinquants) et les enquêtes administratives » . Pour les magistrats, pas question, comme le suggèrent les politiques du PS, d’amender des fichiers occultes qui ne figureraient pas au code pénal, et sur lesquels aucun recours ou rectification ne serait possible. Et que d’imminents accords européens rendraient, qui plus est, accessibles aux services américains. Lesquels, comme soixante autres pays, refusent l’accès à leur territoire aux malades du sida non états-uniens, ou encore à tout individu ayant appartenu à la mouvance anarcho-communisto-gauchiste.
Le collectif, sans qui la mobilisation n’existerait pas, est unanime : il faut un retrait pur et simple. Il a adressé une demande de rendez-vous aux groupes parlementaires et au Premier ministre. Avec une condition : que les douze associations membres plus un représentant du collectif soient reçus. Tous ou rien.

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