Un parti balkanisé

Les socialistes ont rarement eu à trancher entre autant de motions. L’éclatement de la majorité dirigeante augure un congrès tendu, à l’issue duquel les jeux d’appareil pourraient bien avoir le dernier mot.

Michel Soudais  • 25 septembre 2008 abonné·es

Les socialistes ne sont pas passés loin d’un record historique. Avec six motions ­d’orientation en concurrence, le congrès de Reims verra s’affronter autant de courants qu’au congrès d’Épinay. Un de moins qu’au congrès de Rennes, de funeste mémoire. Le pire est-il pour autant écarté ?
Jusqu’au conseil national de synthèse, mardi en fin d’après-midi, les socialistes auront multiplié les rencontres discrètes, les tractations confidentielles et les tentatives de conciliation. À ce petit jeu, où chaque auteur de contribution – on en comptait vingt-et-une début juillet – cherche avec qui il va pouvoir s’entendre pour rédiger une motion susceptible de compter à défaut d’être majoritaire seule, les portables et les SMS ont supplanté les conciliabules intempestifs de couloir. De ses approches en coulisse, l’adhérent de base n’aura perçu que l’écume : une déclaration de Ségolène Royal sur TF 1, appelant à mettre « au frigidaire les questions de candidature » , un jour ; un meeting commun Bertrand Delanoë-François Hollande, le lendemain…
Cette agitation n’a toutefois pas permis que « se rassemblent tous ceux qui pensent la même chose » , comme François Hollande le réclamait, il est vrai sans grande conviction. Les mises en garde des vigies de la majorité sortante criant « casse-cou » ont été tout aussi vaines. La « décantation » – terme prisé rue de Solferino – reste inachevée. Et le PS apparaît plus morcelé que jamais.

Illustration - Un parti balkanisé

François Hollande et Bertrand Delanoë, lors d’un meeting commun à Cergy, mardi 18 septembre. Michel Soudais

Quatre grandes motions sont sur la table, émanant du maire de Paris, Bertrand Delanoë, soutenu par le premier secrétaire sortant ; de l’ex-candidate à la présidentielle, Ségolène Royal, appuyée notamment par le maire de Lyon, Gérard Collomb ; de Martine Aubry, avec les fabiusiens et des strauss-kahniens ; et enfin du tandem Benoît Hamon-Henri Emmanuelli, fédérant l’aile gauche du parti pour la première fois depuis longtemps (voir ci-contre).
Deux petites motions complètent le tableau. Utopia, le courant du PS – 1,26 % au congrès du Mans – qui milite pour « une gauche d’avant-garde fondée sur une identité écologiste et altermondialiste » , en avait formulé le projet dès le dépôt de sa contribution, le 2 juillet. Sa motion, intitulée « Socialistes, altermondialistes, écologistes » , appelle « à un vote sanction, un vote de résistance, un vote de conviction offensif lors du ­prochain congrès, sur la base d’idées radicalement nouvelles ».
La dernière était moins attendue. Elle émane du « pôle écologiste », créé en janvier dernier par des parlementaires et élus regroupés autour de Géraud Guibert, le spécialiste des questions d’environnement au PS. Cette motion, qui n’avait encore, lundi, qu’un titre provisoire, « Pour un socialisme résolument écologique » , propose « une double transformation : la prise en compte de l’urgence écologique au même titre que l’urgence sociale » et « la réforme profonde de l’organisation, des processus de travail et du fonctionnement du Parti ». Présentée comme une « motion de conviction » , elle est essentiellement portée par des élus (la sénatrice Nicole Bricq, les députés Christophe Caresche, Patrice ­Deguilhem, Geneviève Gaillard, Jean Launay, Philippe Plisson, Philippe Tourtelier…) qui ont trouvé ainsi un biais habile pour se tenir à l’écart de l’affrontement Royal-Delanoë-Aubry, qui fracture en trois blocs la majorité sortante, à laquelle ils appartenaient. Au point de rendre incertaine l’issue du congrès de Reims.

Bien malin celui qui pourrait dire qui l’emportera. D’abord, parce que depuis l’arrivée massive des nouveaux adhérents à 20 euros, personne ne connaît vraiment le corps électoral du PS. Lundi, un décompte de Solferino évoquait le chiffre de 232 781 « votants potentiels », dont une grande proportion n’ont pas été vus en section depuis 2006. Ensuite, parce qu’aucune de ces trois motions ne paraissait, lundi, en mesure de se prévaloir d’un plus grand nombre de soutiens que ses concurrentes.
Ségolène Royal, dont la contribution a été signée par 7 000 militants, peut se prévaloir d’une bonne cote de popularité auprès des adhérents de base. Soutenue par quelques maires de grandes villes, notamment Gérard Collomb (Lyon) et François Rebsamen (Dijon), et des présidents de conseils généraux (Alpes-de-Haute-Provence, Ardèche, Finistère…), dont Jean-Noël Guérini, le patron des Bouches-du-Rhône, une fédération aux pratiques peu compatible avec la « révolution démocratique » que prône sa motion, la « dame en blanc » a perdu beaucoup de ceux qui lui avaient assuré sa désignation présidentielle en 2006.
Les élus locaux sont au moins aussi nombreux à soutenir Bertrand Delanoë. Favori dans les sondages, le maire de Paris bénéficie en effet du soutien des maires de Toulouse, Strasbourg, Rennes, Grenoble, Montpellier, Le Mans, Clermont-Ferrand, Tours, Villeurbanne, Metz, Saint-Nazaire, Dunkerque, Saint-Étienne, entre autres. Quant à Martine Aubry, elle conduit un rassemblement inédit où se retrouvent ses propres partisans, des responsables strauss-kahniens et fabiusiens, Arnaud Montebourg et ses amis, les socialistes nordistes enfin, qui pèsent lourd dans les congrès du PS.

Dans cet éclatement de la majorité qui gouverne le PS, au moins depuis le congrès de Brest (1997), les désaccords politiques entre les trois prétendants les plus en vue à la succession de François Hollande sont avant tout d’ordre stratégique. « Nous ne sommes pas d’accord sur la primaire, nous ne sommes pas d’accord sur la question des alliances ou pas avec le MoDem, nous ne sommes pas d’accord sur la question de la gouvernance du parti, nous ne sommes pas d’accord sur la question de savoir comment on remet en marche ce parti qui est divisé depuis le congrès de Rennes » , résume Jean-Christophe Cambadélis, rallié à Martine Aubry. Autant de questions certes importantes, mais assez secondaires au regard des préoccupations des citoyens.
Sur les grands marqueurs politiques, les trois présentent moins des différences que des nuances. Tous se revendiquent d’un « réformisme assumé » et assurent que la ligne du PS est gravée dans le marbre de la déclaration de principes adoptée en juin. Ils n’imaginent, par exemple, pas d’autre salut à la crise sociale que la croissance, et sont unanimes à prétendre qu’ « avant de redistribuer il faut produire ». Un credo à la base du « travailler plus pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy. Aucun ne conteste la poursuite de la ratification du traité de Lisbonne malgré le vote négatif du peuple irlandais, venant après celui des Français et des Hollandais en 2005. « Nous voulons tous la même Europe, une Europe politique, une Europe sociale, une Europe de défense » , assure Martine Aubry en réponse à ceux, partisans de Bertrand Delanoë, qui lui reprochent d’avoir fait « l’alliance des contraires » , en s’unissant aux fabiusiens qui n’ont « pas respecté la décision des militants » lors du référendum européen de 2005 [^2].

La réactivation de cette vieille querelle n’a d’autre fonction que d’empêcher la constitution d’une majorité nouvelle qui, profitant de la guerre fratricide au sein de la coalition constituée ces dix dernières années autour de François Hollande, pourrait remettre en cause l’alignement du PS sur les orientations plus démocrates que sociales du Parti socialiste européen (PSE). Pour éviter tout risque de voir ainsi ­désavouée une ligne politique dont la faillite sociale et électorale n’est pourtant plus à démontrer – les ­partis sociaux démocrates ont perdu treize des quinze ­dernières élections nationales en Europe –, les « gardiens du temple » s’activent déjà en prévision d’autres combinaisons susceptibles de reconduire un pôle majoritaire inchangé.

D’ici au congrès de Reims, où se décideront dans la commission des résolutions, à huis clos, les contours de ce pôle, bien des rebondissements sont possibles. Le scénario rêvé des proches de François Hollande consisterait à proposer la médiation de Jean-Marc Ayrault. Le très consensuel président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale s’y emploie déjà. Dans un entretien accordé samedi dernier à Libération , le député maire de Nantes annonçait son ralliement au maire de Paris, tout en assortissant ce soutien d’un vœu en forme d’injonction : « Je souhaite que Bertrand Delanoë tende la main à Ségolène Royal et à ses amis. Je pense également à Pierre Moscovici, avec qui je partage l’essentiel, à Jean-Noël Guérini, à Gérard Collomb, à Vincent Feltesse. Là, on aurait une majorité solide pour conduire la rénovation du PS. » Un tel regroupement ne pouvant se faire sans que Delanoë renonce à briguer le poste de premier secrétaire, qui serait plus qualifié pour le job que celui qui aura permis ce rassemblement ? Installé à Solferino, Jean-Marc Ayrault aurait ­l’avantage de libérer la présidence du groupe à l’Assemblée nationale. Une fonction en vue que ni les maires de Paris et de Lille, ni la présidente de ­Poitou-Charentes ne peuvent convoiter faute ­d’être parlementaire. François Hollande, en revanche…

[^2]: Mardi dernier, en meeting à Cergy avec Bertrand Delanoë, François Hollande a, involontairement, levé le voile sur ce qui avait permis au « oui » de l’emporter lors du référendum interne. Remerciant ceux qui l’avaient « soutenu à chacune [des] consultations militantes » de son mandat à la tête du PS, il a eu cette phrase : « Merci même à ceux qui n’ont pas voté pour moi dans les congrès, pour le référendum » (sic). Ce n’est pas sur la Constitution européenne que les militants s’étaient prononcés, ils avaient voté pour ou contre leur premier secrétaire.

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