Marchés de dupes

Des organisations civiles internationales se mobilisent contre
les accords de partenariat économique visant à ouvrir les marchés
des pays pauvres aux intérêts privés européens.

Xavier Frison  • 2 octobre 2008 abonné·es
Marchés de dupes
© [Oxfam France-Agir ici](www.oxfamfrance.org) [France Amérique latine](www.franceameriquelatine.org) [Confédération internationale des syndicats](www.icftu.org)

Qui voudrait d’une politique économique responsable d’inégalités accrues, de produits alimentaires plus chers, d’emplois plus précaires, de services plus onéreux et d’une planète plus polluée ? Personne ? Si, l’Union européenne, qui, depuis 2006, a révélé sa nouvelle stratégie en matière de commerce et d’investissement, baptisée Global Europe. Peter Mandelson, le commissaire européen au Commerce, l’écrit lui-même sur le site Internet de la Commission européenne : « Nous avons besoin d’ouvrir les marchés et de créer de nouvelles opportunités pour le commerce, en s’assurant que les e ntreprises européennes puissent opérer de façon équitable sur ces marchés. » Pour cela, il faut montrer l’exemple : « Nous devons ouvrir nos marchés pour pouvoir insister sur l’ouverture nécessaire des marchés des autres pays. » C’est dans ce contexte de libéralisation totale, à l’intérieur de l’Europe et dans les pays « partenaires », que se négocient actuellement les Accords de partenariat économique (APE), dénoncés par de nombreuses ONG et organisations civiles, au Nord comme au Sud.

Illustration - Marchés de dupes


Le commissaire européen au Commerce, Peter Mendelson, en 2005.
Garzone/AFP

Ces accords, en cours de négociation depuis 2006, impliquent l’Union européenne et 77 pays dits ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique) regroupés en six zones. Sans oublier la participation active, « très en amont du processus », selon un bon connaisseur du dossier, des entreprises multinationales européennes, qui souhaitent un accès plus aisé aux marchés et aux matières premières des pays ACP. Or, pour ces nations pauvres ou en développement, aux économies fragiles, il est impossible de rivaliser avec l’Europe. Une logique « inacceptable » pour Frédéric Viale, d’Attac France : « Des intérêts privés interviennent dans un processus de moins en moins démocratique, avec une vision à courte vue et exclusivement mercantile. »
Face à la grogne des sociétés civiles et des organisations de solidarité internationale, qui ont en partie empêché la conclusion des premiers accords définitifs prévue au 1er janvier 2008, l’Europe hausse le ton. « Tout l’agenda de coopération entre l’Europe et l’Amérique latine est subordonné aux échanges commerciaux. Cela crée un parallélisme dangereux pour les pays les plus pauvres », estime Carlos Aguilar, représentant d’une organisation civile du Costa Rica. La tactique de Bruxelles est claire : « Je continue mon aide au développement en échange du libre accès total à tes marchés. » En cas de refus, l’aide sera considérablement revue à la baisse, voire arrêtée.
Autre mécanisme pervers développé par l’UE, l’isolement des récalcitrants : « L’Union européenne ne négocie plus seulement avec des blocs de pays. Elle s’octroie désormais le droit d’exclure un pays de ce bloc qui serait en désaccord avec les négociations en cours » , explique Alfonso Moro, économiste mexicain membre de l’association France-Amérique latine. Avec le risque d’isoler économiquement un pays dans sa propre région. « Désormais, la seule façon d’établir des relations avec d’autres pays, c’est le commerce » , fulmine Christiane Taubira, auteur d’un rapport très critique sur les APE. « Le président français aurait les moyens pour agir s’il le souhaitait, ajoute la députée de Guyane. Manifestement, rien n’a été fait jusqu’ici. » Pour Mamounata Cissé, secrétaire générale adjointe de la Confédération internationale des syndicats, « Nicolas Sarkozy est d’une grande hypocrisie. Il parle beaucoup mais n’agit pas. » À la société civile de mener, seule, le combat : « Nous devons faire pression sur l’Union européenne pour faire participer les acteurs de la société civile et les parlementaires nationaux des pays ACP. Nous devons avoir notre mot à dire. »

En attendant d’être invités à la table des négociations, organisations non gouvernementales, syndicats et parlementaires occupent le terrain. Et proposent des alternatives. Christiane Taubira présente ainsi treize recommandations, parmi lesquelles la construction d’un « Droit international resserré sur le droit à l’alimentation » . Oxfam international préconise de son côté « une évaluation indépendante et exhaustive des accords initiés » , « la révision de toutes les clauses controversées » ou encore de « laisser le temps aux pays ACP de faire le bilan ».
La Confédération internationale des syndicats édite des guides pédagogiques, pour expliquer le principe des APE et la meilleure façon de lutter contre ces derniers. « Nous organisons aussi des séminaires dans les régions concernées pour expliquer de quoi il s’agit » , complète Mamounata Cissé. Côté sensibilisation, la coalition des organisations internationales mobilisées a choisi cette année deux temps forts, en sus d’une journée d’information à l’Assemblée nationale française. Le premier a eu lieu le 23 septembre, avec un rassemblement militant devant le Parlement européen à Bruxelles. Sept jours plus tard, 10 000 contestataires étaient attendus à Accra, la capitale du Ghana, à l’occasion du sommet des chefs d’État des pays ACP. Le temps presse : la signature d’un premier accord final d’APE entre l’Europe et la zone Caraïbes est prévue le 15 octobre.

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