AC/DC et la crise, un couple d’enfer

Le politologue Eddy Fougier souligne la corrélation entre les succès du groupe de hard rock AC/DC et les crises économiques depuis les années 1970.

Eddy Fougier  • 2 avril 2009 abonné·es
AC/DC et la crise, un couple d’enfer

(En partenariat avec www.globosphere.fr )

Illustration - AC/DC et la crise, un couple d'enfer

Un album « numéro un » des ventes aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, des places de concerts que l’on s’arrache… Après plus de 35 années de carrière, le succès mondial d’AC/DC ne se dément pas. Mais le groupe de hard rock australien, qui s’est fait connaître du grand public en interprétant « Sur la route de l’enfer » ( Highway to Hell ) en 1979 puis « Les cloches de l’enfer » ( Hell’s Bells ) en 1980, serait-il une sorte de chat noir dont les succès annonceraient un « enfer économique » ?

L’une des grosses surprises dans l’industrie du disque en 2008 a été le retour fracassant d’AC/DC avec l’album Black Ice , listé en tête des ventes dans 29 pays. En France, le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) pointe le dernier opus d’AC/DC à la dixième place des meilleures ventes de l’année. Même si le groupe continue de bénéficier d’une notoriété certaine – il a vendu au total plus de 180 millions d’albums–, personne ne s’attendait vraiment à un tel succès. Son style musical ne semblait plus vraiment à la mode, et d’autres « poids lourds » de ce genre musical (Metallica et Guns N’ Roses) ont eux aussi sorti un album en 2008, sans rencontrer pareille réussite.

Au-delà de l’attente des fans du groupe après huit ans de silence et de la qualité intrinsèque de l’album, on peut s’interroger sur les raisons de ce retour gagnant. C’est ce qui a amené le quotidien britannique The Guardian à formuler une hypothèse originale dans un article paru le 27 octobre 2008. L’auteur, Alexis Petridis, note une coïncidence assez troublante entre les succès des albums d’AC/DC et la récession en Grande-Bretagne.

Le groupe se forme en 1973, au moment du premier choc pétrolier. Le premier album d’AC/DC classé numéro un dans le pays, Back in Black , l’est en 1980, au plus fort de la récession qui suit le second choc pétrolier. Le premier grand « comeback » du groupe dans les charts se produit en 1990 avec l’album The Razor’s Edge , dans une période de pré-récession. Enfin, Black Ice rencontre un immense succès alors que la récession s’annonçait en Grande-Bretagne. Il n’en fallait pas plus pour que le journaliste voie dans le succès du groupe australien une sorte de symptôme de la crise économique : « La nuit dernière vint la preuve finale et irrévocable que le pays est entré dans une période de difficultés économiques sans précédent depuis les années 1980 : AC/DC est revenu en tête des ventes d’albums pour la première fois en 28 ans » . La tendance a été la même aux Etats-Unis, pays en récession en 1981, au moment où un album du groupe était classé « numéro un » des ventes.

Au-delà de la coïncidence, on peut se demander s’il existe un lien quelconque entre le succès de certains courants de la musique populaire et la situation économique, voire entre le style musical et cette situation. Il est bien entendu extrêmement difficile de vérifier cette hypothèse. L’explication donnée par Alexis Petridis est que, durant des périodes d’incertitudes, le public aspire à « quelque chose qui n’est pas compliqué et qui est solide » . Or, selon lui, la « rock music n’a jamais produit de groupe aussi simple et solide qu’AC/DC » , en faisant remarquer à juste titre que le groupe produit quasiment la même musique depuis 35 ans. Son succès apparaît donc lié à l’évolution des attentes du public plus qu’à l’évolution même de son style musical. Le succès d’AC/DC serait donc d’autant plus net lors des périodes de troubles que le public a besoin de se rassurer en revenant à un « rock’n roll » basique, sans fioritures. On pourrait dire que le son d’AC/DC serait à la musique ce que la Renault Logan est à l’automobile, à savoir une volonté de retourner à l’essentiel, sans le superflu des années de croissance et d’opulence.

Même si, bien évidemment, cela n’a aucune valeur scientifique, on doit également noter la coïncidence entre l’évolution du style musical et la situation économique générale. L’entrée véritable dans la crise économique au milieu des années 1970 correspond à une rupture musicale avec l’émergence du mouvement punk-rock, en particulier autour des Sex Pistols ou des Clash. Or, ce courant musical apparaît comme une sorte de symptôme de la crise et d’une vision assez noire de la société et de l’avenir (« No future ») et va progressivement contribuer à « ringardiser » le disco, mouvement qui va disparaître après le second choc pétrolier et la récession qui s’ensuit.

De même, durant les années de reprise aux Etats-Unis, à partir de 1983, va se distinguer un courant musical alors appelé « glam metal » (ou « hard FM » en France), autour de groupes tels que Bon Jovi, Mötley Crüe ou Van Halen. Ce style musical va brusquement décliner au début des années 1990 avec l’émergence du courant grunge et des groupes tels que Nirvana et Pearl Jam, dont la musique apparaît beaucoup plus sombre, en lien avec les interrogations de ce qui a été appelé la « Génération X », popularisée par le roman éponyme de Douglas Coupland. Or, cette émergence correspond aussi à la période de récession économique du début des années 1990.

Il peut paraître hasardeux d’établir un tel lien entre l’évolution de la musique populaire et l’évolution de la situation économique, mais il est certain que les courants musicaux reflètent l’évolution de la société et ont une incidence sur celle-ci. L’interaction entre la musique noire aux Etats-Unis et la situation des Africains-américains dans le pays en est certainement le symbole le plus connu, comme a pu le montrer le documentaire diffusé par Arte le 14 octobre 2008, « Black music », une histoire de la musique noire américaine.

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