Hind Khoury : « C’est un discours de respect »

Selon Hind Khoury, déléguée générale de Palestine en France, le discours d’Obama au Caire trace les contours d’une politique ambitieuse. Mais comment va-t-il se traduire dans les actes ?

Denis Sieffert  • 11 juin 2009 abonné·es

Politis / Quel est votre sentiment après le discours de Barack Obama au Caire ?

Hind Khoury / Ma réaction a évidemment été très positive. Obama a employé un langage de réconciliation. Le fossé était tellement profond après ces huit dernières années entre le monde occidental et le monde arabo-musulman que ces propos constituent une belle promesse. Le Président a parlé de dignité, il a reconnu la souffrance du peuple palestinien. J’ai également apprécié qu’il n’utilise jamais le mot « terroriste » ; il a parlé, d’une part, de « résistance » et, d’autre part, d’ « extrémisme » au sein du monde arabo-musulman. Ce qui n’est évidemment pas la même chose. Il a aussi parlé « d’occupation » . Et il a fait référence à une souffrance « qui dure depuis soixante ans [^2] » . La date n’est pas indifférente, même s’il a également évoqué la « légitimité » d’Israël.

Si vous aviez des critiques à exprimer sur ce discours, quelles seraient-elles ?

L’aspect négatif, c’est que le président américain est resté ambigu à propos de Jérusalem. Il n’a pas parlé de partage de Jérusalem. Mais, surtout, il ne s’est jamais référé au droit international. Il n’a pas mentionné les frontières de 1967, qui sont celles que nous revendiquons pour un futur État palestinien. Il n’a pas non plus fixé de calendrier, ni présenté de plan d’action. Il est vrai que nous espérons beaucoup après seize ans de négociations qui n’ont jamais abouti. Aujourd’hui, nous voulons savoir exactement quand finira l’occupation. Il faut obtenir ­d’Israël qu’il accepte explicitement le droit international.

Il y a tout de même là un ton nouveau…

Le ton est certainement nouveau, mais les mots ne le sont pas. Je n’oublie pas qu’en avril 2002 George Bush avait lui aussi parlé de deux États ; et que lui aussi avait demandé le gel de la colonisation. Deux mois plus tard, Bush changeait de politique. Quelles pressions s’étaient exercées sur lui entre-temps ? Ces pressions ne vont-elles pas s’exercer sur Obama ? Nous avons appris à être très prudents. Pour l’instant, il trace les contours d’une politique ambitieuse, mais comment va-t-il la traduire dans les actes ? Ne va-t-on pas de nouveau entendre qu’il n’y a pas de partenaire du côté palestinien, ou que la coalition israélienne ne tiendra pas et qu’il faut attendre ? Les prétextes ne manquent jamais quand on ne veut pas agir. Beaucoup de questions restent en suspens. Les pressions peuvent s’exercer à l’intérieur des États-Unis. Quelle politique sera celle des pays arabes ? Quel rôle va jouer l’Europe ? L’Europe va-t-elle en rester à une politique déclarative et à une aide économique ? Ou bien va-t-elle s’engager dans une politique concrète ? Va-t-on enfin remettre en cause l’Accord d’association entre l’Union européenne et Israël, dont l’article 2 sur les droits humains ? Va-t-on exiger que les accords commerciaux ne profitent pas aux colonies ?

En dehors de la question palestinienne, et d’un point de vue plus général, comment jugez-vous le discours du président américain au monde musulman ?

Avec l’administration précédente, il y avait du racisme. Du moins, on le ressentait ainsi. Il n’y a plus de racisme avec Obama. C’est un changement très important. Il semble inaugurer une diplomatie qui écoute l’autre, prend en considération les intérêts de l’autre. Le discours du Caire est un discours apaisant. Un discours de respect. Même le Hamas l’a reconnu à sa façon. Obama renforce la cause de la paix. Mais, en même temps, il fait naître un tel espoir qu’il se doit de le traduire concrètement. Sinon, nous aurons un retour à la violence.

Le président américain s’est adressé aux musulmans. Que pensez-vous de ce choix ?

Il a prononcé un discours pour les peuples, pas pour les gouvernements ou les chefs d’État. Et c’est un geste très fort. Il a parlé à toutes les oppositions. Il y avait dans la salle de l’université du Caire des représentants des Frères musulmans. Il a semblé comprendre la psychologie de ce monde. Peut-être parce que sa propre histoire représente la diversité du monde. Il a su être convaincant. Il a su donner confiance. Avec ce discours, le climat a changé. À partir d’aujourd’hui, on ne devrait plus entendre ce qu’on entend trop souvent dans les capitales européennes : « On ne peut rien faire, parce que les États-Unis ne veulent pas ! »

[^2]: Ce qui constitue une référence quasi explicite à ce que les Arabes appellent la Nakba (« la Catastrophe »), c’est-à-dire l’expulsion de 800 000 Palestiniens en 1947 et 1948.

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