Un capitalisme vert… puis un krach vert ?

Dominique Plihon  • 8 octobre 2009 abonné·es

Selon certains, tel Immanuel Wallerstein, le capitalisme est entré dans sa phase terminale car sa logique de croissance infinie bute sur les limites de la planète. L’idée selon laquelle le mode de développement productiviste contemporain est en voie d’épuisement doit être prise au sérieux. Cela signifie-t-il pour autant la disparition prochaine du capitalisme en tant que système fondé sur l’appropriation privée des moyens de production et sur le marché ? Rien n’est moins sûr. Il convient de ne pas confondre crise et dépassement du capitalisme. L’expérience historique suggère que, tel le Phénix, le capitalisme est capable de renaître de ses cendres. À la suite des crises qui l’ont frappé, le capitalisme n’a cessé de se transformer pour s’adapter. La grande dépression des années 1930 a donné lieu à d’ambitieuses réformes – c’est le New Deal de Roosevelt – qui ont abouti au capitalisme fordiste et à la période des Trente Glorieuses d’après-guerre.

On peut imaginer un scénario comparable pour la sortie de la crise actuelle. Dans cette quête d’une refondation du capitalisme, les classes dominantes vont mobiliser deux facteurs clés : les nouvelles technologies et la finance. Le « New Deal vert » de l’administration Obama va dans ce sens. Des programmes de recherche de grande envergure, financés sur ressources publiques, ont été lancés pour créer de nouvelles formes d’énergies et de nouveaux matériaux. L’objectif de ces programmes est double : relancer la croissance par les dépenses publiques (keynésianisme vert), et tenter de dépasser les limites de la biosphère en accumulant un capital technique qui serait un substitut au capital naturel. Évidemment, c’est une illusion dangereuse de croire que l’homme pourrait se passer de la nature en lui créant des substituts. Cette vision fétichiste des nouvelles technologies est partagée par certains courants de pensée réputés progressistes. Selon Michael Hardt et Antonio Negri, les nouvelles technologies de l’information et de la communication devraient conduire à une société postcapitaliste en permettant le remplacement du système actuel, caractérisé par une forte concentration des forces productives dans les usines et les villes, par le réseau comme modèle organisationnel décentralisé, fondé sur la coopération et non plus sur la concurrence.

La finance constitue le deuxième levier utilisé par les pays du Nord pour traiter la crise globale du capitalisme mondialisé. L’un des enjeux de sommet de Copenhague sur le climat en décembre 2009 est de faire de la « finance carbone » l’un des principaux instruments de lutte contre le réchauffement climatique. L’objectif étant d’étendre le marché du carbone initialement développé par les accords de Kyoto de 1997. Ce recours à la finance peut paraître paradoxal car les crises financières récentes ont démontré que la finance libéralisée était le talon d’Achille du capitalisme. Et il est aujourd’hui patent que les marchés du carbone n’ont pas permis la réduction globale des émissions de CO2. Ce choix de la finance comme levier d’action a plusieurs causes. Il y a d’abord l’illusion néolibérale selon laquelle les marchés sont en mesure de réguler la planète et son climat. Ensuite, ces marchés du carbone permettent aux pays riches, grands pollueurs, d’atteindre leurs objectifs de réduction grâce aux droits à polluer achetés dans les pays du Sud, et donc d’éviter la nécessaire reconversion vers de nouvelles manières de produire et de consommer. Enfin, la finance carbone constitue un nouveau champ d’activité très prometteur pour les acteurs financiers. C’est ainsi que le premier fonds spéculatif carbone a vu le jour à Londres en 2009, et qu’ont été ouverts des marchés dérivés de carbone avec des contrats « bad carbon » ou encore « junk carbon ». La prochaine crise pourrait bien être un krach de la finance carbone !

En fin de compte, la manière dont le capitalisme s’adapte à la crise démontre que la question des limites de la planète n’est pas prise en compte. C’est au mouvement social international, et notamment à sa composante altermondialiste, d’en alerter l’opinion et de proposer des alternatives fondées sur l’institution collective de limites.

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