Crise écologique et crise globale

Jean Gadrey  • 10 décembre 2009 abonné·es

Le rôle des questions sociales et des inégalités dans la crise de 2008-2009, qui est loin d’être terminée, est souvent sous-estimé alors qu’il est central, mais le rôle de la crise écologique est encore plus rarement évoqué, ce qui est une erreur. Certes, la crise écologique a sa propre temporalité. Elle a débuté depuis longtemps et elle est en partie indépendante des crises économique et financière liées. Mais en partie seulement. La jonction entre ces crises a eu lieu pour la première fois, de deux façons : le capitalisme financier et boursier a exacerbé les dommages infligés à l’environnement ; et, à leur tour, les dommages écologiques ont renforcé les tensions et dommages économiques, financiers et sociaux depuis 2003.

Les raisons pour lesquelles le capitalisme financier mondial aggrave la crise écologique sont évidentes. L’incroyable pression au profit maximal des institutions financières a conduit les grandes entreprises à jouer la carte du productivisme et du dumping tous azimuts : fiscal, social, mais aussi environnemental. La surexploitation des ressources naturelles des pays à faibles normes écologiques, forme de colonialisme économique, s’est accélérée (elle existait évidemment depuis des siècles), tout comme ont explosé les transports routiers, aériens et maritimes de longue distance. Pour réduire sans cesse les coûts, on a multiplié les « externalités », ou dommages collatéraux écologiques, on a déversé des déchets toxiques dans les pays pauvres, etc. S’est ajouté l’effet des politiques néolibérales des années 1980 et 1990, incitant les pays pauvres à orienter leur agriculture vers l’exportation en détruisant leur agriculture vivrière, leur biodiversité, leurs forêts, etc.

Comment la crise écologique a-t-elle, à l’inverse, renforcé la crise sociale, économique et financière ? On oublie que la période 2003-2008 a aussi été aussi marquée par l’envolée du cours du pétrole et, à partir de 2006, de nombreuses matières premières et de produits agricoles. Cela a provoqué à l’époque (2007 et surtout printemps 2008) de graves pénuries alimentaires dans le monde. Il est vrai que la spéculation financière, à nouveau, porte une lourde responsabilité dans cette envolée des cours, car on ne spécule plus seulement sur les matières elles-mêmes, mais sur des produits financiers dérivés, des paris sur l’évolution des cours, comme pour les titres financiers issus de l’immobilier (les subprimes).

Mais cela s’est produit aussi sur une vague de fond de raréfaction de ressources naturelles (la rareté créant l’appétit spéculatif), dont le pétrole et certaines matières premières, de diminution des terres arables dédiées à l’alimentation, d’érosion des sols sous l’effet du productivisme, de désertification et de réduction des ressources en eau dans de nombreux pays, et de début de réchauffement climatique renforçant tout cela dans plusieurs régions du monde. Selon le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), le réchauffement climatique est en train de devenir le principal frein au développement humain. S’y est ajoutée la montée en puissance des agrocarburants, réduisant les terres destinées à l’alimentation au bénéfice de celles destinées aux pompes à essence, le tout sur fond de crise du pétrole, qui est bien une dimension de la crise écologique.

De 2003 à 2008, les difficultés financières des ménages pauvres et endettés se sont fortement accrues en lien avec ce double phénomène de raréfaction objective et de spéculation sur la nature. Cela a amplifié la crise de l’immobilier et des subprimes aux États-Unis, ainsi que la pauvreté dans le monde. Il devenait de plus en plus cher de se nourrir, de rouler en voiture et de se chauffer, entre autres. On assiste à la première crise socio-écologique du capitalisme financier et boursier, la première où la raréfaction des ressources et les dégâts écologiques ont eu une influence sur le grand plongeon, même si cette influence n’a pas été la plus importante. Comment faire pour que d’autres, plus graves, ne surviennent pas, où cette fois les facteurs écologiques seraient plus décisifs encore ? Cela se joue en partie à Copenhague.

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