Les forêts en coupe réglée

L’État restreint les subventions et diminue les effectifs de l’Office national des forêts, mais le pousse à augmenter sa production de bois. Au détriment de la protection de la biodiversité.

Clémence Glon  • 22 juillet 2010 abonné·es
Les forêts en coupe réglée
© PHOTO : ESTRADE/AFP

Produire plus pour préserver mieux. Voilà le slogan qui pourrait résumer l’objectif édicté par le Grenelle de l’environnement en matière de gestion des forêts. Utilisé pour l’isolation, la construction et l’énergie, le bois est un matériau durable. En augmentant la production dans les forêts publiques, le Grenelle cherche ainsi à diminuer son importation. Un projet louable, donc, mais difficilement réalisable pour l’Office national des forêts (ONF), qui voit ses moyens de plus en plus réduits. L’ONF, outil de l’État, se retrouve face à un paradoxe qui le fait peu à peu entrer dans le jeu de la compétitivité.

La gestion forestière publique est définie par un contrat État-ONF, en vigueur depuis 2006 et qui s’achèvera en 2011. Rédigé par le ministère de l’Agriculture et du Développement durable, ce contrat met en place les missions d’intérêt général de l’ONF, qui vont de la lutte contre les incendies à la protection des dunes du littoral. Mais ce contrat inscrit également noir sur blanc la diminution des subventions du ministère pour réaliser lesdites missions. Dès l’année prochaine, l’ONF devra couvrir autrement 50 % de ses dépenses.

L’ONF est également soumis depuis 2007 à la Révision générale des politiques publiques (RGPP), qui prévoit le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Au fil des suppressions de postes, les effectifs de l’office sont passés de 15 000 personnes en 1986 à 9 754 en 2009. La surface à protéger et à gérer reste pourtant la même. Alors, comment améliorer la productivité de l’office tout en diminuant ses effectifs ? Le Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l’espace naturel (Snupfen, majoritaire) déplore la radicalisation de la gestion, qui fait la part belle à la rentabilité. « L’avantage de l’ONF est de disposer d’un maillage territorial dense avec un personnel aux connaissances pointues. La réduction des emplois engendre une segmentation des tâches » , constate Philippe Berger, secrétaire général du Snupfen. Convaincu de la nécessité d’une telle restructuration, Joseph Behaghel, chef du département de la communication à l’ONF, voit la situation d’un autre œil : « Le Grenelle nous fait sortir d’une posture manichéenne qui oppose protection et production. L’organisation interne de l’ONF prend en compte des outils plus performants qui permettent d’éviter les redondances dans la production du bois. » L’ONF crée de la valeur ajoutée grâce aux trois secteurs d’activités que sont la vente de bois, la chasse et la prestation de services aux collectivités locales. Or, seule la vente du bois s’avère une variable modulable.

Pour Daniel Vallauri, chargé du programme national de protection des forêts au sein du WWF, « le Grenelle a permis de légitimer ce que disaient les producteurs. L’objectif fixé par le Grenelle de produire plus tout en protégeant la biodiversité n’est pas clair. Les acteurs forestiers retiennent souvent le “produire plus” et oublient ce qu’il y a derrière ». La course à la valeur ajoutée engendre une « concurrence entre les usages et les produits forestiers : les forêts ne sont pas uniquement dédiées à la production. Pour éviter les dérapages, il faut poser des garde-fous. Ce que le Grenelle ne fait pas » , regrette Daniel Vallauri. Et puis la logique industrielle d’exploitations de plus en plus en vastes met à mal le bilan carbone des activités de l’Office. « Pour conserver un bilan carbone négatif, l’usage des forêts doit rester multifonctionnel et sur un territoire réduit. » D’autant qu’il ­semble illusoire de vouloir exploiter à 100 % la forêt française. « La moitié de la forêt n’existait pas il y a un siècle et demi, rappelle Daniel Vallauri. Cette partie est donc extrêmement jeune et peu équilibrée en termes de biodiversité. Il est donc impossible d’y toucher pour le moment. »

François Lefèvre, responsable forêt à France Nature Environnement, pointe du doigt un autre problème, de nature structurelle. La biodiversité, source de symbiose au sein des écosystèmes, diffère entre les forêts. Or, « la vision jacobine de l’ONF va dans la direction opposée d’une approche territoriale » . Les problèmes rencontrés en forêt méditerranéenne, généralement orientée vers les activités sociales, ne correspondent en rien aux problèmes des forêts de Lorraine, davantage tournées vers la production. « L’ONF, qui reçoit ses ordres de l’État, évolue en fonction des contraintes qu’on lui impose. Mais, aujourd’hui, il n’existe plus de véritable projet. Le personnel lui-même est perdu parce que personne n’est en mesure de dire quels sont les objectifs premiers de l’ONF », continue François Lefèvre. Des assises de la forêt se sont tenues en janvier 2008 pour mettre en œuvre des mesures concrètes censées répondre à l’objectif du Grenelle. Les acteurs n’ont cependant pas eu leur mot à dire. Pour François ­Lefèvre, « ces assises étaient en fait le Grenelle du ministère de l’Agriculture ». « On était dans des assises de dignitaires et non d’usagers », juge quant à lui Philippe Berger.

Le Snupfen réclame de nouvelles assises, de régions cette fois-ci, pour réfléchir à la question « Quelle forêt voulons-nous au long terme ? » En Lorraine, elles auront lieu les 7 et 8 octobre 2010. Car les assises du gouvernement ont fait l’impasse sur des sujets prioritaires comme la nécessité de déclinaisons locales des objectifs de gestion. L’aspect surveillance des domaines a également été oublié. Les fonctions de police de la nature ou d’agent patrimonial sont délaissées car trop peu rentables ; elles sont pourtant partie intégrante de l’ONF. Selon Philippe Berger, le gouvernement pose le problème à l’envers. « La politique ne dirige pas ce qui se fait en forêt. Ce sont les besoins en gestion forestière qui ­doivent diriger la politique. »

Si le calendrier des assises régionales n’est pas encore établi, les premières devraient se tenir en Lorraine et en Franche-Comté. Nouvelles mines vertes, les forêts deviennent un secteur industriel prometteur. Le gouvernement l’a bien compris, et Nicolas Sarkozy rappelait lors de son discours à Urmatt (Alsace), en mai 2009, que la forêt représente « un outil considérable pour l’économie de nos territoires. Pourtant, chose étrange, cet atout demeure sous-exploité » . Pas un mot sur la notion de protection de la biodiversité… Et, pour mener à bien ce projet, le président de la République nomme à la tête du conseil d’administration de l’ONF Hervé Gaymard, ancien ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie.

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