Gardés à vue pour un jet de tomate

À l’issue d’une manifestation contre la réforme des retraites organisée mardi 12 octobre à Fontainebleau, six lycéens âgés de 15 à 16 ans ont été arrêtés et retenus en cellule pendant deux jours. Une mère témoigne.

Meriem Laribi  • 19 octobre 2010 abonné·es
Gardés à vue pour un jet de tomate
© Photo : manifestation de lycéens contre la réforme des retraites, le 12 octobre, à Draguignan / [citizenside.com](www.citizenside.com)

«  Mon fils et cinq de ses camarades viennent de vivre un cauchemar. Mardi dernier, les lycéens de Fontainebleau en Seine-et-Marne avaient décidé d’organiser une manifestation. Celle-ci était autorisée et encadrée par la police. Mon fils, âgé de 15 ans y a participé, comme la majorité de ses camarades. La manif’ se déroulait de façon festive quand vers midi, les CRS sont arrivés face au cortège. Mon fils et ses amis, craignant que les choses ne tournent mal, ont quitté la manifestation et sont allés manger dans une pizzeria. Ils se sont ensuite dirigés vers leur lycée et c’est là qu’ils ont été arrêtés les uns après les autres, de façon violente (capuche sur la tête, menottes, propos humiliants de la part des policiers). Ils ont été emmenés en garde à vue. Nous (les parents) avons ensuite été prévenus par téléphone que nos enfants étaient retenus pour « violence contre les forces de l’ordre, jets de bouteilles, jets de cailloux ». 

Une fois arrivés sur les lieux, on nous explique que les faits sont graves, qu’ils étaient recherchés depuis la fin de la manif (ils ont été arrêtés deux heures après la fin de l’escarmouche) et qu’ils ne savaient pas encore ce qui allait se passer. Nous n’avions pas la permission de voir nos enfants. Le père de mon fils a pu lire les déclarations que notre fils avait faites : il reconnaissait un jet de débris de tomate. Il expliquait qu’il n’avait rien lancé contre la police et qu’il avait juste repoussé un bout de grenade lacrymogène qui étouffait un bébé coincé comme lui avec sa mère à l’intérieur du cordon formé par les CRS. Il concluait en disant qu’il était allé manger pour s’éloigner de tout ce bazar. Ensuite, l’inspecteur nous annonce que les six gamins seront gardés la nuit au poste et qu’ils passeraient en comparution immédiate devant le procureur au tribunal de Melun le lendemain matin. Stupéfaits, nous demandons le motif. La réponse de l’inspecteur est floue. Il nous dit que les mômes ne voulaient rien avouer !

Nous décidons de faire le pied de grue au commissariat dans l’espoir de voir notre fils. Un peu plus tard, un policier nous demande de façon agressive de quoi souffre notre fils. Nous lui répondons qu’il lui arrive d’avoir de l’asthme. Il nous répond : « Ah ! Il fait une bonne crise de cinéma. On est obligés d’appeler les pompiers mais vous ne pouvez pas le voir. De toute façon, c’est du cinoche. »

Les pompiers arrivent, auscultent notre gamin que nous pouvons voir à travers une vitre. Il semble respirer difficilement, il est très pâle et pleure en disant qu’il veut nous voir, qu’il n’a rien fait. Les pompiers l’emmènent à l’hôpital. J’ai juste le temps de le serrer dans mes bras. J’ai l’impression qu’il tient à peine sur ses jambes.

Le policier de garde nous suit jusqu’au camion de pompiers, me repousse et dit à mon fils : « Allons ! Tu fais du cinéma. C’est normal, tu viens de comprendre que demain, tu dormiras en maison de redressement » . A l’hôpital, le médecin diagnostique une crise de spasmophilie et le renvoie en cellule avec un sac en plastique contre l’angoisse, et du papier essuie-tout. Ces deux objets lui sont retirés immédiatement à l’arrivée au poste de police. Notre enfant n’a pas pu obtenir à manger car, nous a-t-on expliqué, « les repas ont été distribués pendant qu’il faisait sa crise » . Nous avons réussi à lui faire parvenir un sandwich vers minuit.

Les enfants ont donc passé la nuit au commissariat. Le lendemain, au tribunal de Melun, nous apprenons que ce ne serait pas une comparution immédiate devant le procureur mais un déferrement. À 16 heures, nous n’étions pas plus avancés. Nos enfants étaient en cellule, au dépôt. Un éducateur m’apprend que mon fils allait très mal, qu’il était en pleine crise de claustrophobie mais qu’on ne pouvait rien faire.

Les audiences ont finalement eu lieu entre 17h30 et 20 heures. Mon fils a eu une mise en examen et un procès est prévu dans quelques mois pour des actes qu’il n’a pas commis. Il a pu sortir mercredi soir. Je tiens à dire qu’il n’a aucun casier judiciaire. C’est un enfant poli, respectueux et tout cela ne lui ressemble pas du tout. Nous avons pu lire la déclaration de la police et y avons noté des discordances. Notamment, la description des vêtements ne correspond pas à ceux que portait mon fils ce jour-là.

Depuis cette histoire, mon fils est choqué. Il ne veut plus aller seul au lycée, dort mal et est très angoissé. Les autres enfants interpellés sont également dans un état psychologique préoccupant. Sur les six jeune, un seul avait un casier judiciaire, les autres étaient inconnus des services de police. J’ai pris un avocat et je ferai tout pour que nos enfants soient reconnus victimes et non coupables dans cette affaire. Par ailleurs, tous les enfants racontent des choses terribles sur cette garde à vue. Ils affirment avoir été frappés et humiliés verbalement. C’est une honte ! Je suis révoltée par ces pratiques policières. Que cherche-t-on ? A détruire notre jeunesse ? A lui détruire sa conscience politique naissante ?  »

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