«L’irresponsabilité» des banquiers provoque une nouvelle dégringolade de la finance

Lundi, les banques européennes ont entrainé les bourses dans une énième chute. Une journée noire de plus pour la finance, au cœur d’une crise systémique qui annonce une récession lourde de conséquence pour les citoyens européens. Explications.

Erwan Manac'h  • 6 septembre 2011
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«L’irresponsabilité» des banquiers provoque une nouvelle dégringolade de la finance

« Les marchés » ne vont pas mieux : ce lundi 5 septembre, le Cac 40 perdait 4,73%, le titre de la Société générale dégringolait à – 8,64 % alors que BNP Paribas perdait 6,34%… La panique s’est déportée sur les banques avec une contagion sur l’ensemble des Bourses mondiales.

  • Pourquoi les banques françaises sont-elles fragiles ?

Elles payent le prix d’une crise systémique dont elles sont les premières responsables. D’une part, elles détiennent encore massivement des subprime, des crédits hypothécaires à hauts risques qui avaient provoqué la crise financière en 2008. À cela s’ajoute le fait qu’elles détiennent aussi un stock important de dettes souveraines des États en difficulté. Autrefois considérées comme des valeurs sûres, ces obligations sont devenues des produits financiers à risque. « Les bilans des banques contiennent des produits toxiques, qui sont les prêts qu’elles ont accordés aux pays européens dit « périphériques », comme la Grèce ou le Portugal. Des pays qui ne sont pas très solvables », explique Dominique Plihon, économiste à Paris XIII, président du conseil scientifique d’Attac et Économiste atterré. Ce week-end, la polémique a grandi sur les retards pris par la Grèce dans la mise en place de son plan d’austérité et Jean-Claude Trichet exhortait lundi les dirigeants européens à « mettre en œuvre de la manière la plus complète et la plus rigoureuse possible, de manière incontestable, les décisions qui viennent d’être prises ».

De quoi fragiliser les banques françaises, fortement exposées à la dette grecque, espagnole et italienne… Et créer une spirale infernale, les marchés financiers accentuant ainsi la crise de la dette.

« Les fonds monétaires américains ont divisé par deux leurs prêts aux banques françaises d’après les chiffres dont nous disposons », explique Dominique Plihon. Le « marché interbancaire » qui désigne les échanges de fonds entre les établissements, s’est donc rétracté, obligeant les banques à se tourner vers la Banque centrale européenne pour emprunter.

Ajoutons que le 29 août Christine Lagarde, nouvelle directrice du Fonds monétaire international appelait à une « recapitalisation d’urgence » des banques européennes. Une rupture de ton spectaculaire pour l’ancienne ministre de l’économie française qui, sous son ancienne casquette, assurait que les banques françaises étaient en bonne santé. « Les banques ont évidemment besoin d’être recapitalisées, estime Jacques Cossart, économiste et Secrétaire général du Conseil scientifique d’Attac. Les banques sont fragiles parce qu’elles ont poussé leur prise de risque depuis trop longtemps bien au-delà du raisonnable en se disant qu’en cas de problème, elles seraient récupérés par la puissance publique. »

  • Quel est le risque pour l’économie ?

Les plans d’austérité et le maillon faible des banques conjugués à la crise de la dette dans la zone euro contribuent au ralentissement de l’activité. « Nous allons entrer dans une période de récession durable, explique Dominique Plihon. Toutes les prévisions tablent sur une croissance ralentie, voire une récession qui fragilisera à son tour l’économie et les banques. » Pressés pas le poids de leur dette et sous la pression des marchés financiers, les grands États de la zone euro, comme l’Italie et la France, ont annoncé des plans d’austérité qui alimentent à leur tour une possible récession. « Il faudrait mettre en place des véritables politiques à l’échelle européenne, avec une relance soutenue par les pays qui vont le mieux, comme l’Allemagne, estime Dominique Plihon. Pour le moment ce n’est pas imaginable. » ** La publication des chiffres du chômage américain au mois d’août et les prévisions de croissance n’ont fait qu’accentuer cette perspective à l’origine de panique sur les marchés ce lundi.

  • La réponse politique as-t-elle été suffisante après la crise de 2008 ?

Au lendemain de la crise financière, de nouvelles règles de régulation du système bancaire ont été adoptées  : les accords « Bâle III » augmenteront à compter de 2018 le « ratio de solvabilité », c’est-à-dire la quantité d’argent dont les banques doivent disposer pour prêter. « Cela à d’importants effets pervers, regrette pourtant Dominique Plihon, car cela oblige les banques à aller chercher des fonds sur les marchés financiers. Les établissements seront encore plus dépendants des marchés et devront perpétuer les politiques de recherche de rentabilité qui sont à l’origine de la crise. Il faudrait favoriser le financement hors marché. Cela sera impossible tant que nous n’aurons pas abattu ou affaibli le lobby bancaire. »

Il n’est donc pas surprenant que l’agence fédérale américaine de supervision des prêts hypothécaires (FHFA) ait déposé une plainte, vendredi 2 septembre, contre 17 institutions financières, dont la Société générale, pour fraude sur des crédits immobiliers à risque, en cause dans la crise des subprimes. Le ton se durcit donc envers les banquiers qui n’ont pas modifié leurs pratiques après la crise de 2008. « C’est une bonne nouvelle, estime Dominique Plihon. C’est un message positif envoyé contre les financiers qui font strictement ce qu’ils veulent, de façon irresponsable. »

Va-t-on vers un second plan de sauvetage des banques, au prix d’un nouveau plan d’austérité ?

« C’est ce qui se passe dans tout système financier depuis le milieu des années 1980, analyse Jacques Cossart, les financiers prennent des risques totalement irraisonnés en se disant que la puissance publique les secourra en cas de problème. »**

« Il faut aussi dire que la crise de la dette est une entourloupe fantastique , peste-t-il. Parce qu’elle résulte d’une baisse des impôts et que les États sont contraints d’aller emprunter sur les marchés financiers à des coûts très importants. Il est tout à fait aberrant que les pays ne puissent pas faire appel aux banques centrales pour se financer. Il n’y a que la BCE qui mène cette politique. »**

Graphique lesechos.fr :
Cotation du Cac 40 depuis 10 ans.

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