Ainsi fond, fond, fond la banquise

À un mois tout juste de l’ouverture de la conférence sur le climat de Durban, plusieurs études montrent que les glaces de l’océan Arctique fondent à vitesse grand V. Une évolution inquiétante qui aiguise les appétits des pétroliers dans une zone en passe de devenir « exploitable ».

Claude-Marie Vadrot  • 28 octobre 2011
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Ainsi fond, fond, fond la banquise
© Photo : BILDAGENTUR RM / TIPS / PHOTONONSTOP

Au cours de l’hiver 2010-2011 , explique un récent article paru dans Nature en se référant à plusieurs études scientifiques canadiennes et américaines, l’océan Arctique qui baigne les limites nord du Canada a connu un nouveau record de « chaleur ». Au mois de janvier, la cité de Coral Harbour a enregistré pour la première fois depuis la création des relevés météorologiques des températures supérieures à zéro en plein mois de janvier. Les mêmes observations ont été faites au large de la Russie.

Dans cette mer qui couvre environ 5 % de la planète, l’augmentation de la température évolue à un rythme deux fois supérieur à l’accroissement mondial observé (et annoncé) par les différents rapports du Giec, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Ce qui entraîne, d’après les observations satellites menées depuis 1979, une réduction moyenne de 12 % par décennie de la surface de la banquise et des glaces relevée chaque mois de septembre. Avec une accélération constatée au cours des cinq dernières années.

Plus de glaces arctiques dès 2016 ?

Les modèles établis par les équipes de recherche envisageaient jusqu’à maintenant que la couverture estivale de glaces et de banquises qui subsiste en été sur cet océan pourrait disparaître à l’approche du milieu du XXIe siècle. Mais les dernières analyses de l’Université de Cambridge envisagent désormais une disparition pratiquement totale, pendant quelques jours, des glaces arctiques dés l’été 2016, si le mouvement actuel continue à s’emballer. Cette accélération étant due à la moindre résistance de la couverture glacée qui, lorsqu’elle ne disparaît pas, perd régulièrement son épaisseur sans que l’hiver ne réussisse à combler ce déficit.

L’étendue du changement, en partie perçue par les satellites, a été confirmée au début du mois d’octobre par deux brise-glaces américains, le Louis-Saint-Laurent et le Healy  ; elle a été corroborée à la même époque par le Marcus Langseth , un navire appartenant à la Fondation nationale pour la science, une organisation américaine à but non lucratif. Ce bateau qui n’est pas équipé pour affronter les glaces a pu s’approcher du pôle Nord sans aucune difficulté.

Les pétroliers à l’affût

Les scientifiques ne sont évidemment pas les seuls à se ruer pour explorer l’océan Arctique : il sont accompagnés par les bateaux de recherche géologique de nombreux pays. Les Russes, les Américains, les Canadiens et les Norvégiens sont de plus en plus nombreux à profiter de l’été pour procéder à des explorations qui n’ont rien de scientifique. Ils cherchent les gisements d’hydrocarbures dans une région dont le service américain pour les recherches géologiques a annoncé récemment qu’elle pourrait abriter jusqu’à 13 % des réserves mondiales de pétrole et 30 % des réserves de gaz naturel. Ce qui pose au moins deux problèmes.

D’abord, se déroule dans cette région une véritable « guerre froide » entre les pays qui se réclament de la Convention des Nations unies des droits de la mer pour revendiquer le contrôle et l’exploitation de la prolongation de 200 milles nautiques (370 kilomètres) sur la zone économique exclusive « prolongeant » leurs territoires sur le fond de la mer. Tout dépend évidemment du point de mesure choisi par des Etats qui disposent souvent de la souveraineté sur des îles qui permettent de pousser très loin la revendication. Comme pour la Russie qui a planté un drapeau national sur le fond de la mer au Pôle Nord en 2007. Exxon, par exemple, a signé l’été dernier un contrat de plusieurs milliards de dollars avec le géant russe Rosneft pour des forages dans la mer de Kara, au nord de l’archipel de la Nouvelle-Zemble où la Russie a installé récemment deux brigades militaires. Et les Anglais s’apprêtent à forer des puits au large de la côte Ouest du Groenland tandis que Shell envisage de commencer en 2012 à installer ses plates-formes d’exploration au large et à l’ouest de l’Alaska dans la mer des Tchouktches, c’est à dire très près de la Russie.

De quoi occuper le Conseil de l’Arctique, une organisation intergouvernementale chargée de réguler l’exploitation de la région, y compris pour l’utilisation du « passage du Nord-Ouest ». Dans quelques années, celui-ci devrait permettre de raccourcir, au moins l’été, le trafic des marchandises vers l’Asie. Les Américains et les Russes ont déjà fait savoir qu’ils pourraient restreindre les droits de circulation des chercheurs scientifiques… pour des raisons de sécurité.

Un risque nouveau : la pollution

Second problème lié à la recherche d’hydrocarbures, les risques de pollution. Car dans les eaux très froides, les perspectives de dilution et d’évaporation du pétrole provenant des fuites de puits ou des marée noires sont faibles. Il suffit de se souvenir, pour s’en convaincre, des dégâts provoqués en 1989 par les 40 000 tonnes de brut relâchés par l’échouage de l’Exxon Valdez  : des centaines de phoques, des milliers de loutres de mer et 300 000 oiseaux tués immédiatement par le pétrole répandu. Sans compter tous les animaux morts par la suite. Un désastre écologique de longue durée puisque des scientifiques ont pu constater au cours de l’été que subsistaient d’énormes poches d’or noir le long des 2100 kilomètres souillés et que les populations d’oiseaux et de mammifères de mer n’étaient toujours pas reconstituées, tant la nature est fragile dans ces régions froides.

Mais cette perspective ne paraît pas arrêter les compagnies pétrolières. Pas plus que l’évolution inquiétante des températures dans cette immense région ne fera réfléchir les pays qui s’apprêtent à ne rien décider lors du prochain sommet sur le climat qui débute le 28 novembre, à Durban.

Écologie
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