Le salon de l’agriculture du faux-semblant

Comme chaque année, le salon de l’agriculture réunit le fine fleur de l’agriculture industrielle et intensive, tout en faisant miroiter l’image du terroir éternel.

Claude-Marie Vadrot  • 28 février 2012
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Le salon de l’agriculture du faux-semblant
Seule allusion à une autre agriculture dans les 58 pages du dossier de presse remis aux journalistes : « Le secteur Bio est un des secteurs en forte croissance au sein du salon cette année. De nombreux acteurs et exposants, tels que le distributeur Monoprix, AgriConfiance, l’Agence Bio, la Drôme et bien d’autres, déclineront cette thématique pour la plus grandejoie des visiteurs ».*
© ANTOINE ANTONIOL / GETTY IMAGES EUROPE / GETTY IMAGES/AFP

Le salon de l’agriculture de Paris, ouvert jusqu’au 4 mars, se visite comme une vitrine  dans laquelle on aurait oublié d’afficher les prix et les recettes : avec des vaches, des moutons et des chèvres bien peignés, des cochons bien lavés ; « coachés » par des paysans bien propres sur eux qui jouent dans le cadre du Pavillon 1 comme sur la scène du Châtelet dans les années 1960. Encore plus que l’année dernière, l’impression de participer à un Opéra-bouffe mis en scène par les céréaliers de la FNSEA qui voudraient faire croire au bon peuple que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes agricoles et que grâce à lui, le Français mange bien, bon et sain. Plus que jamais, «  la plus grande ferme de France  » offre aux Franciliens qui s’y pressent l’illusion d’un monde rural figé dans une félicité éternelle.

Toujours plus

Avec des larmes dans les mots, les adeptes de l’intensif chimiquement dopé, parlent terroir au détour de chaque stand, savoir-faire, tradition, Indication géographique protégée, traçabilité, Appellation d’origine contrôlée et labels fermier, rose, vert ou rouge, en nous faisant manger n’importe quoi. Les paysans d’opérette qui organisent le salon -on ne parle pas ici des malheureux et valeureux figurants- entretiennent soigneusement la confusion entre une bouffe issue de l’agriculture intensive assaisonnée par les industriels et l’alimentation saine proposée par les petits paysans en déclin. Des produits que les consommateurs recherchent avec de plus en plus d’obstination parce qu’ils font de moins en moins confiance aux aliments industrialisés dès leurs semis. Cependant que les « fabricants » élaborent des fromages du Père machin ou ornés de religieux inconnus… Sans oublier ces charcuteries aux marques déguisées sous de noms de terroir et de tradition. Le tout appuyé par des publicités fleurant bon les origines de pacotille.

Les industriels de la nourriture deviennent depuis quelques années les champions de l’écologie du faux-semblant, celle qui est censée faire vendre. L’astuce consiste à reprendre à leur compte le vocabulaire et les arguments des écologistes pour communiquer sur les mêmes thèmes : ce qui revient à terme à les priver de sens et à les décrédibiliser. Tout en laissant les maîtres de l’agriculture chimique coloniser et financer le salon destiné à persuader la population que le terroir vanté se retrouve dans les rayons des supermarchés. Ce qui ne les empêche pas d’expliquer que le Salon est « c omme le prélude à une escapade gourmande dans les campagnes françaises ». Ce parcours « vous emmène à la découverte du goût authentique des produits fermiers. Champêtre et savoureux ! »

Un remake de ce qu’expliquait l’année dernière le vice-président de la manifestation, Jean-Luc Poulain. Un agriculteur intensif de l’Oise, vice président de la FNSEA et collectionneur de postes d’administrateurs et de présidences agricoles, dont la force de conviction s’appuie sur un éloignement de la terre où poussent fruits et légumes. En quelques phrases, ce président hors sol s’offrait le vocabulaire des consommateurs à la recherche d’une autre nourriture et s’efforçait de manipuler l’opinion en présentent une « agriculture rêvée ». Celle qui n’a aucun rapport avec la réalité que défendent le salon, son président et le principal syndicat agricole :

«  L’édition 2011 du Salon international de l’agriculture se place sous le signe d’une thématique appartenant à la fois à l’actualité et à l’histoire… Depuis moins de deux mois, en effet, le repas gastronomique français est entré sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. La distinction est de taille ! Symboliquement, elle consacre une certaine idée de l’excellence à la française. Plus concrètement, elle récompense le travail d’un nombre infini d’acteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire hexagonal. À commencer par les agriculteurs. Car sans eux… pas d’alimentation (…). _ “La destinée des nations dépend de la manière dont elle se nourrissent” écrivait, hier, Anthelme Brillat-Savarin. Seul peut-être un Français pouvait oser une telle affirmation. Ce que signifie profondément cette phrase doit nous pousser à nous interroger sur ce qui fait la spécificité du modèle alimentaire français. De fait, s’interroger sur le modèle alimentaire français n’a rien d’une occupation à temps perdu. Car le questionner, c’est aussi le définir… pour mieux le comprendre, mieux le protéger… et, à terme, mieux le transmettre, mieux le partager ».

Une prose aussi goûteuse qu’un fromage télé, un camembert moulé à la louche d’une usine ou qu’un faux jambon de Bayonne simplement salé au Pays Basque après avoir été « fabriqué » dans les élevages hors sol breton. Le salon se résume à des mots insipides. On cherche en vain dans cet univers propret et idyllique la trace des centaines de paysans qui se sont suicidés ces dernières années dans le monde, une quelconque allusion aux milliers de paysans en faillite en France, aux milliers d’autres qui gagnent à peine le Smic ou à ceux qui en sont réduits à survivre avec le RSA. Le salon de l’agriculture n’est pas celui des paysans pauvres. Il n’est pas celui des paysans conduits au désespoir par l’augmentation des importations ou par les exigences des centrales de distribution qui refusent de payer leurs produits à leur juste prix en essayant de persuader les consommateurs que c’est le monde rural et ses paysans qui sont responsables du prix de la bonne bouffe et de la malbouffe. Ce salon est devenu le salon de la FNSEA qui concède quelques strapontins aux autres ; le salon de l’agro-chimie présenté comme le produit d’un nouveau terroir.

Nicolas Sarkozy en goguette

Et puis soudain, derrière les vaches, les veaux et les cochons, derrière la forêt des micros et des caméras, le visiteur aperçoit la dernière curiosité de cette mise en scène agricole, un petit homme qui esquive du mieux qu’il peut les offres de goûter, de manger et de boire. Les seules originalités de cette visite : le président-candidat Nicolas Sarkozy est venu bien avant l’heure annoncée aux journalistes, accompagné de son dernier trophée, Frédéric Nihous, le candidat à 0,5 % d’intentions de vote de Chasse, pêche, nature et tradition qu’il vient juste d’accrocher à son tableau de chasse.

L’arrivée matinale du président n’avait pas pour objet d’être présent aux chants des coqs mais d’expliquer en petit comité à une vingtaine responsables agricoles discrètement réunis que, s’il était élu, il ne laisserait pas les écologistes et autres protecteurs de la nature leur gâcher la vie avec l’application des normes environnementales et la diminution du recours aux produits phytosanitaires dont les marques sont omniprésentes dans tous les pavillons. Trois heures plus tard et pour toujours peut-être, se terminait le martyr du président de la République contraint, dès potron-minet, de faire semblant de goûter un morceau de reblochon et de décocher des sourires à des vaches à qui il ne manquait que la parole pour lui lancer un «  casse toi pov’con  » en tentant désespérément, sous l’oeil inquiet des officiers de sécurité de balancer de grands coups de queue.

Écologie
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