À quand la fin des haricots ?

Chronique « jardins » du week-end. Fruits et légumes peuvent-ils aussi être un objet historique et politique ? Retour, pour ce premier épisode du quinquennat, sur l’histoire du haricot, autrefois connu dans les casernes et les cantines scolaires sous le nom de « fayot ».

Claude-Marie Vadrot  • 19 mai 2012
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Le haricot que le jardinier doit semer en ce moment , quand la température de la terre se maintient au moins à une douzaine de degrés, fait partie des légumes « volés » par les conquistadors espagnols à ce Nouveau Monde qu’ils avaient commencé à explorer et à détruire à la fin du XVe siècle.

Fait longtemps ignoré ou occulté en France, puisque dans son livre, Origines des plantes cultivées publié en 1883, Alphonse de Candolle affirme que de nombreux botanistes et jardiniers de son époque pensent qu’il nous est arrivé de l’Inde. Il ne tranche pas vraiment, d’ailleurs, tout en remarquant qu’au XIXe siècle, dans les campagnes et les épiceries, fèves et pois sont indistinctement, en tant que Phaseolus vulgaris , regroupés sous le vocable de « haricots ». En quelques pages emberlificotées, qui le mènent en Grèce, à Rome et dans l’Égypte ancienne, ce très sérieux botaniste suisse, membre d’une dizaine d’Académies, rétablit la vérité : ce légume nous est bien venu d’Amérique latine, et plus précisément d’Amérique centrale. Il était déjà cultivé il y a environ 12 000 ans au Mexique et au Guatemala et fort probablement au Pérou, où il était déjà le légume à tout faire, très utile notamment en cas de famine.

Cette plante, dont on consommait déjà les gousses, les jeunes pousses et les grains il y a des millénaires, est donc arrivée en Europe au cours du XVIe siècle. Comme beaucoup d’autres plantes pillées aux Amériques, elle est passée par l’Italie, a gagné la Grèce et enfin la France. Tardivement, car les paysans et les consommateurs français ne voulaient pas abandonner la fève venue, au temps des Romains, des rives de la mer Caspienne. Ils oubliaient que les Grecs anciens s’en méfiaient et que Pythagore interdisait à ses disciples d’en consommer, la considérant comme dangereuse pour la santé.

La fin des haricots

Curieusement donc, l’Occident voulu oublier les origines du haricot qui représentait pourtant une aubaine alimentaire pour les peuples premiers américains et pour les Européens qui l’adoptèrent, sous sa forme la plus courante de grains séchés, car il restait un des légumes qui pouvaient se conserver le plus longtemps. Il fut une bouée de sauvetage pour les navigateurs qui en embarquaient des tonneaux entiers. Ce qui donna, paraît-il, naissance à un dicton, devenu proverbial :« la fin des haricots ». Tout simplement parce que les marins n’en mangeaient qu’après avoir épuisé toutes les autres provisions. Ils commençaient vraiment à s’inquiéter sur leur sort quand les tonneaux de haricots secs ne contenaient plus rien : pour ces voyageurs au long cours, la fin des haricots signifiait que la famine était proche à bord…

En découvrant le haricot, qu’ils pillaient auprès des populations des Amériques, les navigateurs se procuraient un légume d’une rare richesse énergétique et vitaminique, qui leur permit d’allonger le temps de leurs périples. Ils comprirent rapidement qu’ils devaient le faire pousser en Europe du Sud pour repartir en expédition.

L’expression connut un renouveau en France au début du XXe siècle, quand les joueurs de cartes désargentés commencèrent à utiliser les haricots, désormais banalisés, à la place de pièces de monnaie. Un joueur abandonnait la partie « à la fin de (ses) haricots »…

Les vaillants fayots en route vers de nouveaux rivages

C’est également des marins qui sont à l’origine d’un autre nom des haricots. Le mot «fayot » est apparu dans l’argot de la marine nationale française dans les années trente du XIXe siècle. Il s’agit d’une version déformée de son appellation latine phaseolus , sous laquelle il était encore désigné sous la Révolution. Et « fayoter » ? Cela s’appliqua rapidement aux marins qui acceptaient de signer un nouvel engagement, et donc de manger à nouveau des fayots pendant des années… Ce qui leur permettait de se constituer un plus gros pécule pour leur retour à la vie civile où les attendaient de nouvelles conquêtes.

Donc, après dix années de règne sans partage, ce n’est pas vraiment la fin des haricots pour les vaillants marins de l’ex-majorité que l’on regarde ramer avec un certain plaisir, et même un plaisir certain. Plus ils auront fayoté envers le Commandant Copé et l’Amiral Sarkozy, plus leurs pécules, financier et politique, leur permettront d’atteindre de nouveaux rivages, après le plus long séjour possible dans les jardins d’Eden qu’ils se sont tous préparés depuis des mois, sinon des années, sachant que la Roche tarpéienne est toujours proche du Capitole…

Mes haricots, semés il y a une quinzaine de jours et dopés par la chaleur puis par la même pluie bienfaisante que celle qui a baptisé le règne de François II, ont percé mardi la terre sablonneuse du jardin, en dressant fièrement leurs deux premières feuilles à la fois tendres et fragiles. Sous de tels auspices, en grains, en filets et comme mange-tout, la récolte promet d’être superbe. Leur culture est des plus faciles. Dans deux mois, les premiers seront dans mon assiette. En espérant qu’au terme de ce délai, on n’apercevra pas encore la fin des haricots pour cette nouvelle gauche bigarrée, et que le temps des cerises reviendra dès l’année prochaine.

Écologie
Temps de lecture : 5 minutes
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