Syrie : sept questions sur une guerre civile

La situation est d’une extraordinaire complexité : la crise risque, hélas, de se régler sur le terrain militaire.

Denis Sieffert  • 26 juillet 2012 abonné·es

Alors que la répression s’intensifie contre cette révolte essentiellement sociale, il ne reste comme solution que le renforcement des pressions économiques contre le régime ou un retour de la diplomatie.

D’où vient l’insurrection ?

Elle prolonge directement les révolutions du monde arabe, en Tunisie, en Égypte, à Bahrein, en Libye, notamment. Elle n’est pas d’une autre nature. Ce n’est pas un hasard si le mouvement a pris naissance à Deraa, dans le sud du pays, où la misère d’une grande partie de la population côtoie des élites locales autoritaires et corrompues. Pas plus que dans les autres pays la révolte n’est communautaire. Elle est d’abord et essentiellement sociale. Et elle s’est heurtée d’emblée à l’autoritarisme du régime et à la répression.

Quelles sont les particularités de la crise syrienne ?

Contrairement à la Tunisie et à l’Égypte, la dictature n’est pas soutenue ouvertement par les États-Unis ou les Européens. Bachar al-Assad a d’ailleurs pu penser, au début du soulèvement, que son statut à part dans le monde arabe, sa résistance, au moins diplomatique, à Israël, l’immuniseraient contre l’insurrection. Le mouvement social et l’exigence démocratique n’ont d’ailleurs pas tout de suite ciblé le Président. Une partie des manifestants ont même pu croire que celui-ci serait un allié. Avant que la répression ne se déchaîne contre eux.

En quoi la Syrie est-elle un enjeu stratégique international ?

Les données sont contradictoires. Car si le régime est un allié stratégique de l’Iran et du Hezbollah libanais, il est aussi, aux yeux des Occidentaux, et même d’Israël, le gage d’une certaine stabilité. Du moins, il l’était. Israël, notamment, a été très prudent depuis le début du soulèvement. Benyamin Netanyahou n’a condamné la répression en Syrie que fin juillet. Le gouvernement israélien redoute beaucoup plus d’être entouré de pays dominés par les Frères musulmans, alliés idéologiques du Hamas, quand Assad n’est qu’un allié tactique de celui-ci. Et Israël sait que le régime qui suivrait la chute d’Assad, quel qu’il soit, lui serait hostile. Et instable. Sans compter qu’Israël redoute que des armes lourdes ou des armes chimiques ne tombent aux mains de groupes incontrôlables. Ce qui explique que le ministre de la Défense, Ehoud Barak, ait décrété l’état d’alerte aux frontières nord du pays et sur le plateau du Golan.

Le soulèvement a-t-il changé de nature au fil du temps ?

Oui et non. La matrice sociale et démocratique à l’intérieur du pays continue d’être essentielle. Mais la durée du conflit et la violence de la répression ont conduit à la militarisation d’une partie de l’opposition, au travers de l’Armée syrienne libre (ASL), créée en juillet 2011. Et deux puissances régionales, le Qatar et l’Arabie Saoudite, tentent d’instrumentaliser cette partie de l’opposition, notamment par l’envoi d’armes. De plus, l’ASL bénéficie du ralliement de nombreux cadres de l’armée régulière. L’ASL a récemment unifié son commandement à partir des forces de l’intérieur, au détriment des officiers en exil basés en Turquie. Mais la répression, elle aussi, a changé de nature. Elle s’est bien sûr intensifiée avec le recours à des chars et des hélicoptères de combat, et surtout l’instrumentalisation des milices, les tristement célèbres Chabiha, sur des bases confessionnelles, qui viennent semer la terreur dans des villages surtout sunnites. Ce qui n’est pas sans rappeler la guerre civile libanaise (1975-1988).

Que se passe-t-il au niveau diplomatique ?

Il est bien possible que les veto russe et chinois soient utiles aux États-Unis et aux Européens. Il n’est pas du tout évident que Barack Obama ait envie de s’engluer dans un deuxième Irak à trois mois de la présidentielle américaine. Quant aux Russes et aux Chinois, ils agissent en bons gestionnaires de leurs intérêts économiques et stratégiques dans la région, où Assad est un allié. Ils agissent aussi en vertu d’un principe pour eux sacré : tout régime autoritaire a le droit à la répression contre son peuple ou des peuples colonisés, les Tchétchènes, les Ouighours ou les Tibétains, par exemple. Et c’est une mauvaise chose pour eux que la « communauté internationale » se mêle des affaires intérieures d’un pays souverain. L’exemple libyen n’a fait que renforcer cette méfiance. À partir d’une résolution qui prévoyait une intervention pour sauver Benghazi du massacre et anéantir l’aviation de Kadhafi, les Occidentaux ont détourné leur mandat pour aller jusqu’à la chute du régime.

Que peut-on faire ?

Une intervention militaire directe serait évidemment une très mauvaise solution. Il ne reste donc que le renforcement des pressions économiques contre le régime. Fin juillet, l’Union européenne a encore placé 26 noms sur  « la liste noire » des personæ non gratæ, et devait interdire à la compagnie aérienne syrienne d’atterrir en Europe. On peut aussi assister à un retour de la diplomatie. L’ambassadeur de Russie à Paris a ébauché le 20 juillet l’hypothèse d’un « départ civilisé » de Bachar al-Assad. Moscou serait peut-être prêt à sacrifier Assad pour sauver le clan alaouite au pouvoir. Cette déclaration est survenue au lendemain de l’offensive de l’ASL sur Damas, et deux jours après l’attentat qui a décapité l’état-major de l’appareil sécuritaire. Tout cela dépend beaucoup du rapport de force sur le terrain. Au demeurant, il n’est pas certain, après quinze mille morts, que l’opposition se satisfasse d’une simple substitution à la tête du régime.

Que serait l’après-Assad ?

Nous n’en sommes pas là. Il est peu probable cependant que l’on ait à Damas un pouvoir des Frères musulmans. Il pourrait donc s’agir soit d’un avatar du régime actuel, soit d’une alliance entre les opposants. C’est évidemment une grande inconnue. Mais on ne peut évidemment pas marchander son soutien, au moins moral, à la révolution syrienne, au prétexte que l’avenir est incertain. L’histoire ne finit jamais, et nous n’avons pas regretté la Révolution française parce qu’elle a été suivie de l’Empire et de la Restauration…

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