La France renonce à la taxe sur les transactions financières

François Hollande se voulait volontariste sur ce projet emblématique. Son ministre de l’Économie engage une volte-face radicale.

Erwan Manac'h  • 12 juillet 2013
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La France renonce à la taxe sur les transactions financières
© Photo : LIONEL BONAVENTURE / AFP

C’est une revendication historique du mouvement altermondialiste, timidement réactivée par la droite, que le PS s’apprête à enterrer. Le projet de taxe sur les transactions financières (TTF) en cours de négociation avec 10 pays européens a subi, jeudi 11 juillet, un sérieux coup de canif, par la voix du ministre de l’Économie, Pierre Moscovici.

« Il faut être pragmatique et réaliste » , a lancé le ministre français devant un parterre de banquiers réunis par le lobbyiste « Europlace », « l a proposition de la Commission ( …) m’apparaît excessive et risque d’aboutir au résultat inverse si nous ne remettons pas les choses dans les rails. La taxe sur les transactions financières suscite des inquiétudes quant à l’avenir industriel de la place de Paris et quant au financement de l’économie française. »

La TTF constituait « l’engagement nº 7 » du programme du candidat Hollande. Aux détours de ses célèbres tirades contre «  [s] on véritable ennemi, la finance » , le 22 janvier 2012 au Bourget, il s’était clairement prononcé en faveur d’une « véritable taxe ». Cette taxe, « nous ne pouvons plus en parler » uniquement, clamait-il encore en juin 2012, à peine élu. « Il faut la faire. »

« Un pas décisif »

Devant le blocage de certains ténors européens (Grande-Bretagne, la Suède et le Luxembourg ), le projet a donc été relancé il y a un an par 11 pays, dont l’Allemagne et la France[^2]. C’est ainsi qu’en janvier 2013, 70 organisations franco-allemandes saluaient un « pas décisif [qui] n’aurait pu se faire en l’absence du couple franco-allemand ».  

Le projet esquissé par la Commission européenne tablait sur une recette de 7 milliards par an pour la France et 35 milliards pour les 11 pays engagés, à raison de 0,1% [^3] d’impôt sur les actions et obligations et 0,01% sur les produits dérivés. 

Mais les négociations ont débuté en février sous la pression des banquiers. En avril, 6 associations professionnelles, dont le Médef, « mettaient en garde » publiquement le ministre de l’Économie contre un projet « qui affaiblira gravement la compétitivité des entreprises » . Il aurait « pour effet immédiat (…) de détruire des compartiments de marché », lançait aussi le 28 mai le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer.

Lire > Taxe Tobin : les banquiers veulent sa peau           

Sans feindre la « guerre à la finance », Bercy – qui reprenait les commandes des négociations après la démission de Jérôme Cahuzac – a aussitôt amorcé le revirement. Le 22 mai, lors d’une réunion du groupe de travail des onze pays engagés dans le processus de « coopération renforcée », le ministère de l’Économie a proposé, selon les informations de l’association Attac, des modifications substantielles du projet.

Voir le détail des modifications :

-Modifier le calcul de la taxe sur les produits dérivés, ce qui réduirait de 95% le montant attendu des recettes selon l’association (prise en compte de leur prix et non plus de la valeur nominale du titre que ces dérivés couvrent).

-Exonérer les transactions au sein d’un même groupe et des « repos » (prêts à court terme entre banques).

-Circonscrire la taxe sur les acheteurs seulement (et non plus des vendeurs), ce qui diviserait encore par deux les recettes espérées.

-Lever l’impôt une seule fois par jour, à la fermeture des marchés seulement, et non plus sur chaque opération, ce qui exempte le « trading à haute fréquence », pratique de spéculation assistée par des algorithmes informatiques.

-Supprimer le principe « d’origine » de la banque, qui prévoyait la taxation des établissements financiers même pour les transactions effectuées en dehors de l’Union européenne, pour lutter contre l’évasion fiscale.

Bercy milite en somme pour réduire drastiquement « l’assiette » de la taxe. « Ce sont des fuites que nous tenons de sources allemandes. Elles sont scandaleuses et n’ont jamais été démenties » , dénonce Dominique Plihon, président du conseil scientifique d’Attac.

La sortie musclée du ministre jeudi confirme donc ces craintes. « Ce sont des propos inacceptables venant d’un ministre des Finances. Selon lui, si la taxation dérange les industriels, c’est qu’elle est mauvaise. Il se couche devant la pression des grandes banques », réagit Khalil Elouardighi, chargé de plaidoyer à Coalition Plus[^4].  

Cette volte-face française devrait nettement refroidir le processus dans lequel Paris, avec l’Allemagne, faisait figure de leader. « Nous sommes déçus, mais pas surpris, reprend Dominique Plihon. Depuis un certain temps – et déjà avec la loi bancaire – nous avons constaté que le gouvernement agissait sous la pression des lobbies pour rendre les lois inefficaces. »  

La future taxe ressemblerait finalement au texte opportunément défendu en pleine campagne présidentielle par Nicolas Sarkozy, qui se disait pourtant jusqu’alors farouchement opposé au principe. Cette mesure indolore, entrée en vigueur il y a un an, convient parfaitement aux milieux financiers. « Entre août 2012 et janvier 2013, elle a rapporté 350 millions d’euros, une somme ridicule face aux 3,4 milliards de recettes que la TTF génère en Grande-Bretagne » , détaille d’Alexandre Naulot, chargé de plaidoyer pour Oxfam France.  

Lire > Taxe Tobin, l’arme des fables 

 «  On se moque de nous en nous faisant croire qu’on vote des lois, mais celles-ci sont finalement très limitées », s’indigne Dominique Plihon, professeur d’économie financière à Paris XIII. 

Les associations qui surveillent ces débats en appellent désormais à « une reprise en main » du dossier par le président Hollande, qui doit recevoir vendredi 19 juillet la Fédération française bancaire. Au moment où la majorité boucle une réforme bancaire en trompe-l’œil, ce scénario est peu probable.

Voir la vidéo de François Hollande, le 17 août 2011, alors candidat à la primaire socialiste.

[^2]: France, Allemagne, Belgique, Portugal, Autriche, Slovénie, Grèce, Espagne, Italie, Estonie et Slovaquie.

[^3]: pour les sociétés françaises dont la capitalisation boursière dépasse 1 milliard d’euros

[^4]: L’association de lutte contre le Sida observe de près la TTF pour les recettes qu’elle pourrait dégager au service la lutte contre la maladie

Économie
Temps de lecture : 5 minutes
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