Pas d’accord au Comité d’éthique sur l’euthanasie

Le Comité consultatif national d’éthique publie aujourd’hui son nouvel avis sur la fin de vie. Toujours défavorable à une loi autorisant le suicide assisté ou l’euthanasie, il se prononce pour une évolution de la loi actuelle. Entretien avec Vincent Morel.

Ingrid Merckx  • 1 juillet 2013
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Pas d’accord au Comité d’éthique sur l’euthanasie
© Photo : AMS / SCIENCE PHOTO LIBRARY

Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) vient de rendre son avis n°121 sur les questions éthiques liées à la fin de vie. Il avait été saisi par le président de la République qui doit décider prochainement s’il faut faire évoluer la loi Leonetti de 2005 sur la fin de vie. C’est le quatrième avis du CCNE sur le sujet. En 1991, il « désapprouvait qu’un texte législatif ou réglementaire légitime l’acte de donner la mort à un malade » (avis N°26). En 1998, il se déclarait « favorable à une discussion publique sereine sur le problème de l’accompagnement des fins de vies comprenant notamment la question de l’euthanasie » (avis N°58). En 2000, il proposait la notion « d’engagement solidaire et d’exception d’euthanasie. » (avis N°63). Aujourd’hui, il déclare n’avoir pas abouti à un consensus concernant une dépénalisation du suicide assisté et de l’euthanasie mais énumère une série de propositions pour faire évoluer la loi de 2005. Les explications du docteur Vincent Morel, président de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP).

**Politis : Les différents membres du CCNE ne sont pas parvenus à un consensus sur le suicide assisté ou l’euthanasie. Etait-ce prévisible ?

Vincent Morel** : Le fait qu’ils ne soient pas parvenus à un consensus ou un accord n’est pas un échec. Il y a toujours des tensions quand un groupe de quarante ou cinquante personnes discute de ce sujet. C’est la raison pour laquelle sept d’entre eux publient une motion divergente. Le dernier texte qui fait consensus sur la fin de vie, c’est la loi Leonetti de 2005. C’est bien la preuve que cette loi est bonne. Aujourd’hui, il y a des points de divergences qui s’expriment au sein du CCNE, mais émerge quand même un avis majoritaire demandant à ce que les soins palliatifs soient développés et qu’on mette une place une véritable politique de la fin de vie en France.
Sur le suicide assisté et l’euthanasie, cet avis majoritaire rejoint ce qui avait été écrit dans le rapport Sicard, soit une opposition à la dépénalisation à cause des risques de dérives possibles et d’absence de contrôles. Ces deux documents parviennent aux mêmes conclusions.

L’avis du CCNE s’aligne sur les positions de la SFAP disant que la loi Leonetti permet déjà le recours à la sédation en phase terminale. En même temps, cet avis signale qu’il faudrait « définir un droit à obtenir une sédation ». N’y a-t-il pas là une contradiction ?

Sur les questions liées à la sédation, l’avis 121 du CCNE présente en effet des contradictions. A un moment donné, il s’appuie fortement sur les recommandations de bonnes pratiques qui existent actuellement sur la sédation. Celles-ci disent que la sédation doit être là pour venir soulager un malade qui présente un symptôme qu’il juge insupportable. Il peut ainsi dormir avant de mourir. C’est la position de la SFAP et de la Haute autorité de santé. Il faut néanmoins rester vigilant et que la sédation ne devienne pas systématique en dehors de tous symptômes au risque de d’induire des sédation très prolongées.

**Est-ce là que vous situez la différence entre « laisser mourir » et « faire mourir » ?
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Je préfère dire « mourir accompagné » que « laisser mourir ». Le soin relève de l’accompagnement et consiste à accompagner un malade jusqu’au bout et non à provoquer la mort…

**Jean Leonetti lui-même propose de faire évoluer sa loi. Il n’est donc pas question d’en rester strictement au texte de 2005 ?
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Non. Et le CCNE propose une évolution concernant deux points fondamentaux : les directives anticipées et la procédure collégiale. Il faut repenser le recueil des directives anticipées, soit les dispositions qu’une personne malade prend par écrit, comme choisir une personne de confiance en mesure de s’exprimer à sa place. Il faut les généraliser et accompagner les malades dans leur rédaction. Qu’elles deviennent la règle en somme. D’après le CCNE, elles seraient également contraignantes pour le personnel médical, c’est-à-dire que ce ne serait plus lui qui déciderait mais le patient lui-même. Par ailleurs, le processus de délibération collective (qui prélude à la décision concernant la fin de vie d’une personne en luttant contre l’acharnement thérapeutique) doit s’élargir des experts à tous les professionnels du soin, dont les infirmières. En outre, tous ceux qui voudront s’exprimer sur la fin de vie d’un proche devraient pouvoir le faire.

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Que faire dans des situations de désaccord entre différents membres de la famille ?**

Le médecin est dans une position d’écoute. Il y a des situations de tension énorme. Mais il faut laisser le temps au temps, permettre que les tensions s’apaisent. Certaines affaires, comme celle de Vincent Lambert, vont se porter devant les tribunaux. Mais dans ce cas précis, le patient n’avait pas rédigé de directrices anticipées…

Selon le CCNE, ces évolutions devraient permettre d’apporter une réponse « à l’immense majorité des demandes des personnes en fin de vie. » Que dire à celles qui échappent à la loi ?

La loi doit répondre le mieux possible au plus grand nombre. Il y a toujours des situations limites mais la loi peut constituer un vrai repère. Quand on demande leur motivation aux personnes favorables au suicide assisté, elles répondent généralement qu’elles sont contre l’acharnement thérapeutique. Or, la loi de 2005 met fin à l’acharnement thérapeutique. D’où l’intérêt d’améliorer l’information à propos de cette loi et la formation des soignants.

Les membres du CCNE se disent très réservés « sur les indications de l’assistance au suicide et/ou de l’euthanasie dans les pays qui les ont dépénalisées ou autorisées et manifestant une inquiétude concernant l’élargissement de ces indications dans certains de ces pays. » Ils font probablement référence au débat en Belgique sur l’élargissement de l’euthanasie aux mineurs. Va-t-on vers une exception française en matière de fin de vie ?

Le CCNE s’inspire du rapport Sicard qui s’inquiétait de l’absence d’instance de contrôle en Belgique, et d’études parues dans des revues scientifiques disant qu’une demande d’euthanasie sur deux n’était pas déclarée. Ce qui voudrait dire que dans 20 à 40 % des cas, on y prendrait le risque que l’euthanasie n’ait pas vraiment été désirée par la personne euthanasiée. Pour une exception française, c’est trop tôt pour le dire : cela va dépendre de ce que les pouvoirs publics vont décider en matière de développement des soins palliatifs, sachant qu’un Français sur deux n’en bénéficie pas, et de la mise en oeuvre d’une politique de la fin de vie.

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Développer les soins palliatifs pour les personnes en fin de vie coute probablement plus cher que les euthanasier… Est-ce un argument dans des sociétés ultralibérales ?**

Nos conduites ne peuvent pas être dictées par l’économie. On peut se poser la question du coût de la santé mais, dans ce cas, il faudrait mesurer le coût de l’acharnement thérapeutique et l’intérêt d’une redistribution. Par exemple, il y a des traitements chirurgicaux chez des personnes très âgées qui coûtent 40 000 à 50 000 euros et dont on finit par dire qu’ils étaient probablement inutiles. Cette somme représente le budget nécessaire à l’embauche d’une infirmière dans une unité de soins palliatifs…

Société Santé
Temps de lecture : 6 minutes
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