Bientôt un tribunal pour migrants au bout des pistes de Roissy

Le 17 septembre, un collectif d’associations de défense des droits et des migrants organisait une visite de deux nouvelles salles d’audience délocalisées près de Roissy. Objectif : bloquer l’ouverture prochaine de ces tribunaux d’exception pour les étrangers.

Ingrid Merckx  • 19 septembre 2013 abonné·es
Bientôt un tribunal pour migrants au bout des pistes de Roissy

Le car vient de passer le Roissypole. Sur la gauche, une dizaine d’avions d’Air France. Sur la droite, bientôt, l’ancien centre de rétention du Mesnil-Amelot. Puis le village, tristement célèbre puisqu’il abrite le plus grand centre de rétention de France, 240 places.

Affrété par les associations de défense des droits et des migrants (ADDE, Anafe, Gisti, la Cimade, LDH, Syndicat des avocats de France, RESF, Syndicat de la magistrature, Usma, Observatoire rétention 77), le car a dû mettre quarante minutes pour venir de Paris. En transports en commun, c’est une heure et demie minimum depuis Paris, et 20 euros en moyenne. Arrêt : Roissypole. « Puis il faut prendre un bus et descendre là, avant le deuxième feu » , indique Clémence Richard, de la Cimade, qui s’improvise guide pour l’occasion. Toujours aucun panneau. Rien sur l’abribus non plus. Il faut encore marcher dix minutes avant d’arriver au centre de rétention (CRA), le long de cette départementale très fréquentée.

Quand le bâtiment se dessine, les appareils photo et caméras se collent aux vitres. Des murs, des grillages. Une campagne grise, derrière, avec des avions qui décollent au fond. Le Mesnil-Amelot se situe au bout des pistes de Roissy-Charles-de-Gaulle.

La toute nouvelle annexe du tribunal de Meaux, qui doit ouvrir le 30 septembre, se trouve juste derrière le CRA et le bâtiment de cantonnement de CRS. « On se demande comment les personnes retenues vont se rendre aux audiences, vont-elle sortir sur la route sous escorte ou passer par l’intérieur ?» , interroge Clémence Richard. C’est dire si la zone a l’air homogène, depuis le CRA jusqu’à l’annexe… C’est comme plusieurs bâtiments dans un même ensemble.

Le car fait demi-tour et revient se garer devant la porte. Pour la première fois, un panneau indique de quoi il s’agit.

Illustration - Bientôt un tribunal pour migrants au bout des pistes de Roissy

Devant la grille se tient un rassemblement qui scande : « Non à la justice rendue derrière les barbelés » .

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Des avocats des barreaux de Bobigny et de Paris protestent contre l’ouverture de tribunaux d’exception pour les étrangers. Beaucoup de jeunes, beaucoup de femmes, dont certaines expliquent que 80 % des affaires qu’elles traitent relèvent de la défense du droit des étrangers. « Mais je ne suis pas véhiculée , glisse l’une, je ne vais pas pouvoir venir jusqu’ici, je vais devoir arrêter…»

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Les grilles s’ouvrent et tout le monde s’engouffre. Les visiteurs pénètrent dans des locaux neufs. Un couloir dessert plusieurs salles dont deux aménagées pour des audiences. On compte une quinzaine de strapontins, tout au plus, dans chaque salle. « Ça, c’est pour la presse, les familles, le public… » , ricane un militant. Pour les défenseurs des droits et des migrants, les audiences délocalisées remettent en cause le principe de publicité des débats et, donc, la possibilité d’un contrôle citoyen sur la justice rendue à l’encontre des étrangers. Cette salle a en effet vocation à accueillir les audiences du juge des libertés du tribunal de grande instance (TGI) de Meaux, chargé de décider du maintien ou de l’expulsion des personnes retenues dans le CRA.

Illustration - Bientôt un tribunal pour migrants au bout des pistes de Roissy

Dans la salle d’audience, les fenêtres sont opaques, mais dans la salle voisine, on réalise à quel point le bâtiment des CRS et le centre de rétention sont voisins. « À proximité » , autorise la Cour de cassation dans un amendement qui fait date.

Illustration - Bientôt un tribunal pour migrants au bout des pistes de Roissy

Autre principe qui bascule : l’impartialité du juge, isolé dans un univers piloté par le ministère de l’Intérieur, et même « l’apparence d’impartialité ». L’expression donne lieu à un débat, un peu plus tard, non plus devant l’annexe du tribunal de Meaux mais devant celle du tribunal de grande instance de Bobigny, mitoyenne de la zone d’attente pour personnes en instance (ZAPI) au Roissypole. Pour s’y rendre, il a fallu reprendre le car. Un avocat sans voiture reprend le bus (349). Il n’y en a qu’un par heure. Là seront jugés, à partir de décembre, les personnes maintenues dans la ZAPI : 160 places, les chambres se situant juste au-dessus du tribunal.

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Apprenant la venue de la presse, Rémy Heitz, président du tribunal de grande instance de Bobigny, s’est déplacé et prend en main la visite. « Apparence d’impartialité, ça n’est pas un faux-semblant, c’est tout ce qui concourt à donner des signes d’impartialité » , tente de faire valoir la procureur, qui l’accompagne.

« Justement, quelle impartialité si la sécurité dans la salle est assurée par la Police aux frontières (PAF) ? » , interroge un journaliste.

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Le président du tribunal se défend en vantant la « dignité » des lieux, la qualité de la lumière, l’insonorisation qui couvre le bruit des avions…

« C’est beau, c’est neuf, c’est hautement technologique… mais on n’y respecte pas les droits de la défense » , ironise dehors une jeune avocate.

Quelques-uns de ses collègues sont passés derrière le grillage pour mimer la justice bafouée, muselée par le ministère de l’Intérieur, qui finance ces locaux. Ils sont censés permettre d’économiser le coût des escortes (en personnels et en véhicules) nécessaires au transfèrement des étrangers au tribunal, à 15 km. Ils instaurent aussi un lieu de justice à l’abri des regards, et presque « au milieu de nulle part » .

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A LIRE pour en savoir plus sur ces tribunaux d’exception :

Traitement de défaveur

-Les réactions de certains élus, dont Sandrine Mazetier, députée de Paris, et son homologue du Lot-et-Garonne Matthias Fekl et la sénatrice écologiste Hélène Lipietz.