Thomas Coutrot : « Lier les luttes sociales et écologiques »

À l’occasion des 15 ans d’Attac, Thomas Coutrot dresse un bilan paradoxal :
les thèses de l’association ne sont plus contestées, mais aucune mesure politique ne vise à les mettre en œuvre.

Camille Selosse  • 7 novembre 2013 abonné·es

L’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (Attac) veut poursuivre son combat historique pour une « taxe Tobin », hélas remise en cause par le gouvernement français actuel, mais elle s’engage également dans une campagne pour la transition écologique et sociale.

Comment se porte aujourd’hui Attac ?

Thomas Coutrot : L’objet qui a présidé à la fondation d’Attac est plus que jamais d’actualité puisque la domination de la sphère financière n’a jamais été aussi totale. Attac n’a pas permis pour l’instant d’inverser cette tendance, mais il y a eu des victoires idéologiques majeures, avec un travail d’éducation populaire important, puisque la critique de la financiarisation est très largement diffusée dans la société. Même la taxe Tobin, projet porté par Attac, est devenue une référence dans le débat public. Pour autant, on ne peut pas parler de victoire politique, puisqu’on assiste à un renforcement du pouvoir de la sphère financière. Concernant l’organisation elle-même, Attac a connu un développement rapide avec un sommet en 2003 avec 30 000 adhérents, puis une crise interne en 2006 avec une perte de plus de la moitié de ceux-ci. Depuis, nous nous maintenons à un niveau d’environ 10 000 adhérents. Attac reste implantée sur tout le territoire et œuvre à la création de liens entre les différents mouvements : syndicaux, associatifs, etc. Nous travaillons à faciliter les convergences entre les différentes composantes du mouvement social. Et il y a une dynamique continue dans le mouvement altermondialiste.

N’avez-vous pas constaté un essoufflement des forums sociaux ?

Certes, il y a un essoufflement des forums sociaux en Europe, et on peut même dire une disparition au niveau européen, due à la difficulté de faire face à la crise de l’Union européenne et à adopter une réponse commune. Disparition à laquelle nous essayons de parer en construisant des réseaux européens. En revanche, au niveau international, ces forums sont plus actifs que jamais avec des mouvements très importants en Asie, en Afrique, en Amérique latine… Même aux États-Unis, puisqu’un forum social doit s’y tenir l’an prochain.

Quelle est la représentativité d’Attac au plan international ?

La dynamique internationale est renforcée par les mouvements indignés, qui se retrouvent aujourd’hui dans la dynamique des mouvements sociaux. Le point fort d’Attac demeure le réseau européen, mais de nombreux comités se sont également développés en Afrique et sont très actifs. Ailleurs, nous travaillons en collaboration avec des associations qui fonctionnent sur le même principe qu’Attac un peu partout dans le monde.

Comment définiriez-vous Attac ?

Attac est une organisation politique non partidaire. Nous faisons de la politique au sens où Attac intervient dans le débat citoyen pour renforcer le pouvoir d’agir des citoyens, y compris dans la sphère politique, et non pour entrer en compétition afin de s’approprier le pouvoir étatique. Les mouvements des révolutions arabes ou des Indignés posent la question du pouvoir d’agir des citoyens face à une classe politique qui les ignore, ne les représente plus et travaille pour d’autres intérêts que ceux des électeurs. Cette crise démocratique est de plus en plus profonde et nous essayons de jouer un rôle de rassemblement des énergies. C’est donc faire de la politique, mais hors des appareils politiques.

Quelles sont les relations d’Attac avec les partis politiques ?

Bien sûr, il y a une coopération avec la plupart des partis de gauche, par exemple sur la question de la défense des droits sociaux. Nous construisons ainsi une alliance sur la réforme des retraites qui est très importante. Nous avons des alliances ponctuelles avec des partis qui vont dans le même sens que nous. Mais nous sommes surtout une organisation du mouvement social, ancrée dans ce mouvement, et indépendante de toute structure politique.

Quelles sont les campagnes en cours et à venir ?

Nous étions relativement satisfaits de la proposition de la Commission européenne d’une taxe Tobin européenne ; le virage du gouvernement français, qui essaye de saboter ce projet en s’opposant à la Commission – chose assez aberrante puisque c’est censé être le gouvernement le plus à gauche de l’Europe – redonne une actualité à ce combat. L’Allemagne, elle, va défendre ce projet. Donc nous allons tenter de peser sur la position française. Nous allons aussi nous engager dans une campagne permanente pour la transition écologique et sociale, en insistant particulièrement sur le fait qu’il est possible de l’engager dès maintenant. L’aggravation de la crise écologique fait que ce thème devient de plus en plus central dans notre action, et Attac œuvre à tisser des liens entre les luttes sociales et les luttes écologiques puisque les unes ne trouveront pas de solutions sans les autres. Dans cette optique d’urgence à construire un autre monde ici et maintenant, nous cherchons à diffuser et à populariser de nombreuses initiatives existantes. La conférence mondiale sur le changement climatique qui aura lieu en 2015 en France sera un rendez-vous clé. Notre mobilisation sera essentielle pour peser en faveur de prises de décisions sérieuses. C’est un axe de plus en plus important de l’action d’Attac : valoriser des actions citoyennes concrètes, pour promouvoir une transformation par le bas. À l’origine, nous interpellions les gouvernements et les pouvoirs publics, mais la transformation ne se fait pas que par le haut. Elle se fait aussi par le changement des pratiques sociales. Enfin, nous allons nous orienter vers des actions plus directes et concrètes pour dénoncer activement les multinationales et les banques qui mènent des politiques de plus en plus dangereuses et irresponsables. Nous dévoilerons le 15 novembre, à l’occasion de la soirée d’anniversaire d’Attac, une campagne contre trois des pires multinationales françaises, avec le développement d’actions citoyennes visant à les obliger à changer de comportements. Nous voulons ainsi montrer que les citoyens peuvent obtenir des victoires. Le climat actuel est très noir et pessimiste, et beaucoup de gens se demandent ce qu’ils peuvent faire pour changer les choses. Nous essayons de plus en plus d’être pour eux des constructeurs d’outils.

Estimez-vous que l’on entend davantage les économistes d’Attac aujourd’hui et que la période de la pensée unique libérale est révolue ?

Notre message est devenu banal puisque même Nicolas Sarkozy faisait des discours dont des passages entiers paraissaient recopiés de nos brochures, en particulier son discours de Toulon sur la crise financière et celui de Davos début 2010 ! Puis François Hollande a gagné sa campagne en ciblant la finance, en disant qu’elle était son « adversaire ». Ce qui est extraordinaire, et qui ne peut pas durer, c’est le décalage entre la victoire idéologique et l’absence totale de mesures réelles pour détrôner la finance et lui retirer son pouvoir de nuisance et de coercition sur la société. La situation est paradoxale. Plus grand monde ne conteste nos thèses sur la malfaisance de la finance mais les politiques ne prennent aucune mesure concrète pour lutter contre. C’est une situation explosive sur le plan politique puisque le décalage est trop grand entre les discours et les actes des politiques.

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