La gauche et l’Ukraine

En dénonçant les « putschistes » de Kiev, Jean-Luc Mélenchon a créé un début de polémique.

Denis Sieffert  • 5 mars 2014 abonné·es

Depuis Toulouse, où il manifestait samedi contre le « pacte de responsabilité », Jean-Luc Mélenchon a commenté les événements d’Ukraine. On peut à la rigueur le suivre sur le caractère « absolument prévisible » de la réaction russe en Crimée. Mais beaucoup plus difficilement quand il emprunte au vocabulaire de Poutine pour qualifier de « putschiste et aventurier » le nouveau pouvoir ukrainien. C’est effacer la force du mouvement populaire, et c’est oublier que ce pouvoir n’a fait que remplir le vide laissé par la chute d’un homme, Viktor Ianoukovitch, qui venait de faire tirer sur la foule.

Jean-Luc Melenchon, le 1er mars 2014 à Toulouse. - REMY GABALDA / AFP

Aurait-il été préférable de s’accommoder de ce personnage corrompu et criminel ? On a du mal aussi à suivre le raisonnement du coprésident du Parti de gauche, soudain laudateur de la « nation russe », lorsqu’il dénonce les « provocations de l’Otan et des Nord-Américains » qui s’appuient sur « la corruption et la brutalité » de Ianoukovitch. On avait cru comprendre que celui-ci appartenait plus à la famille politique de Poutine qu’à celle d’Obama.

Enfin, il est tout aussi erroné de voir dans les fascistes de Svoboda « des gens stipendiés par les Nord-Américains », alors qu’ils sont le pur produit des nationalismes qui ont germé sur les ruines du système stalinien. Les Occidentaux ont dans cette affaire d’autres relais, comme cela a d’ailleurs toujours été le cas dans tous les mouvements en Europe de l’Est, notamment à Budapest en 1956, et à Prague en 1968. Les convoitises ne sont pas une nouveauté. Fallait-il pour autant être hostile à ces insurrections ? Faut-il regretter la chute du mur de Berlin parce qu’elle a ouvert la voie, indirectement, à la mondialisation libérale ? Le raisonnement est d’autant plus obsolète qu’il n’y a plus en Russie de « modèle » à défendre.

Le mouvement «Ensemble» réplique

Les ennemis de nos ennemis font généralement de très mauvais « amis ». Dans l’affaire ukrainienne, le NPA est plus près de la vérité quand il dénonce tout autant « les courants d’extrême droite que les forces de sécurité du régime, qui partagent d’ailleurs souvent la même idéologie réactionnaire, antisémite et nationaliste violemment exclusive ». Et Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, a raison de demander à la France « de contribuer à un processus qui mène au retrait à terme de toutes les forces militaires étrangères aujourd’hui présentes sur le sol ukrainien ». Façon de ne pas transformer en soutien à Vladimir Poutine les nécessaires mises en garde contre les ambitions des pays occidentaux.

Enfin, la « troisième force » au sein du Front de gauche, le mouvement Ensemble, réplique, lui, plus directement à Mélenchon en affirmant que « le renversement de Ianoukovitch n’est pas un coup d’État, mais le résultat d’une mobilisation de masse multiforme et contradictoire ». Ensemble s’oppose « à toute forme d’intervention militaire de la Russie et à une quelconque volonté d’ingérence de l’Otan », et se prononce pour l’annulation de la dette de l’Ukraine.

Le mouvement, qu’anime notamment Clémentine Autain, en appelle à des « élections libres anticipées le 25 mai ». Un souhait que l’on retrouve chez les écologistes d’EELV, favorables à « des élections libres et transparentes  [qui] doivent avoir lieu sans pression ou menace d’invasion militaire ». On ne saurait aller contre, même si, de ce côté-là, beaucoup d’illusions sont entretenues sur l’Union européenne.

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