Ségolène Royal, une «écolo-compatible» ?

La plus écologiste des socialistes selon certains, un chantre de la croissance et du productivisme pour d’autres, l’arrivée de Ségolène Royal à la tête du ministère de l’Ecologie reçoit un accueil mitigé chez les Verts.

Lena Bjurström  • 3 avril 2014
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Ségolène Royal, une «écolo-compatible» ?
© Crédits photo : GUILLAUME SOUVANT / AFP

Tout juste nommée, la nouvelle ministre va devoir se pencher sur le délicat dossier de la transition énergétique, cher aux écologistes. S’ils ont quitté le gouvernement, ceux-ci n’en suivront pas moins de très près le travail de cette socialiste qui a fait de l’écologie son credo politique.

Écologiste Ségolène Royal ? C’est en tout cas un principe dont elle se réclame volontiers. Lors de la campagne présidentielle de 2007, elle clamait sa volonté de faire de la France «la première puissance écologique d’Europe» . Force est de constater que la nouvelle ministre semble connaître son sujet. Depuis mercredi, de nombreux médias parlent même de « retour aux sources » . En effet, sa nomination intervient vingt-deux ans, jour pour jour, après son arrivée à la tête de son premier ministère, celui de l’Environnement, au sein du gouvernement Bérégovoy.

Elle avait alors déclaré à FR3 :

« Il n’y a pas de bonne économie sans bonne écologie. L’environnement est une source formidable de création d’emplois. Et non seulement ça permet de créer des emplois mais en même temps ça permet de régler les problèmes de pollution industrielle. »

L’«excellence environnementale», une «priorité»

Depuis, la socialiste a fait de l’écologie sa vitrine. A la tête de la région Poitou-Charentes depuis 2004, elle a multiplié les initiatives. Du soutien aux exploitations bios au financement d’équipements d’énergies renouvelables, la socialiste parlait dès 2005 « d’excellence environnementale » , une « priorité » et l’objet d’une communication effrénée.

En 2009, elle lançait son « Plan énergie solaire », partiellement financé par la Banque européenne d’Investissement, prévoyant d’installer 650 000 m2 de panneaux photovoltaïques. Une initiative accompagnée d’une campagne promotionnelle jusque dans le métro parisien.

La même année, elle inaugurait le lycée Kyoto, dont le fonctionnement repose uniquement sur des énergies renouvelables. Régionalisation des transports, plan d’économie d’énergie dans les logements, autant d’initiatives régionales qui ont apporté à cette socialiste une certaine estime des Verts locaux.

Pour Françoise Coutant, la nouvelle ministre a « prouvé sa compétence » . La porte-parole du groupe EELV au conseil régional de Poitou-Charentes reconnaît à Ségolène Royal une « sensibilité » aux questions écologistes pas si fréquente chez les socialistes.

« Elle est la plus “écolo-compatible” des socialistes » , renchérit Yves Cochet, député européen (EELV). « En plaçant Ségolène Royal à la tête du large ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, les socialistes ont fait un choix judicieux » , estime-t-il. Qui aurait l’avantage de ne pas déplaire aux écologistes, selon celui qui souhaite que de véritables discussions s’engagent entre les élus verts et la nouvelle ministre.

Ségolène Royal a en effet pris des positions proches des leurs sur plusieurs dossiers. La fermeture de la centrale de Fessenheim fait notamment partie de ces points d’accord. Une promesse de François Hollande qu’elle pourrait tenir, sans bâtons dans les roues. Dans un questionnaire de Greenpeace en 2011, elle s’était d’ailleurs prononcée pour une sortie « irréversible » du nucléaire d’ici 40 ans.

Ségolène Royal parfaite ministre de la transition énergétique? Chez les Verts, on reste prudent. Lors de sa campagne en 2007, il n’était pas encore question de sortir définitivement du nucléaire, mais d’en réduire la part. Par ailleurs, si la nouvelle ministre s’était dit, en 2011, favorable à l’interdiction de l’extraction du gaz de schiste, tant que la « maîtrise » des procédés d’extraction n’est pas « garantie » , elle n’a pas exclu l’exploitation de l’énergie fossile par les « générations futures » .

La fracture de la croissance

Autant de dissensions entre Ségolène Royal et l’aile gauche des Verts qui illustrent le fossé qui sépare leurs visions de l’écologie, selon Jérôme Gleizes. Pour l’économiste, membre de la direction nationale d’EELV, « les socialistes n’ont pas une vision intégrée de l’écologie » . Ségolène Royal pas plus que les autres. « Elle a un regard social-démocrate » , explique-t-il.

« Pour elle, les énergies renouvelables sont un chantier qui permet de maintenir le niveau de croissance. Mais à partir du moment où elle ne prend pas conscience que la transition énergétique doit aller de pair avec une diminution du volume consommé, elle reste dans un système productiviste qui, pour nous, est à bout de souffle. »

Illustration - Ségolène Royal, une «écolo-compatible» ? - Ségolène Royal à l'ouverture des journées d'été d'EELV à Poitiers, août 2012 (Photo ALAIN JOCARD / AFP).

L’opposition entre la nouvelle ministre et les écologistes se retrouve notamment dans la question de la « fiscalité énergétique », ou la « contribution écologique ». Opposée à la taxe carbone du ministère Borloo, elle s’était montrée tout aussi sceptique sur la « contribution-climat-énergie » introduite dans la loi de finances 2014 et instaurée depuis début avril. Proposée par le gouvernement dans le but de lier partiellement les taxes sur les énergies polluantes à leur rejet de CO2, cette « contribution » représentait pour Ségolène Royal un « impôt supplémentaire » . Jeudi après-midi, en visite à Poitiers, elle a déclaré vouloir « remettre à plat les choses » concernant l’écotaxe, réaffirmant ce qu’elle avait déjà dit, l’été dernier:

«Avant de mettre des impôts, il faut s’assurer que les consommateurs peuvent vraiment avoir le choix entre les produits propres et ceux qui ne le sont pas […] les gens vont se sentir pris en otages par un impôt supplémentaire» , déclarait-elle en août 2013, avant de mettre en garde contre « le risque de casser la faible croissance qui est en train de se dessiner » .

Pour Jérôme Gleizes, la « croissance verte » de Ségolène Royal n’est pas celle des écologistes. Il se fait peu d’illusions sur le projet de transition énergétique qu’elle devra porter. « Ça ne peut être qu’à côté du problème » , estime-t-il.

«Il faut un débat sur la transition énergétique»

De toute façon, le projet de transition énergétique à l’échelle nationale ne peut se mener sans consultation, selon Françoise Coutant. « Il faut un débat, et j’espère qu’elle l’engagera. C’est ce que nous attendons d’elle. » Avec, peut-être, un peu d’anxiété. Ségolène Royal n’est pas vraiment femme à négocier. Dans sa région, la belle entente avec les écologiste a ainsi été parsemée de dissensions.

Yves Cochet en convient : « Elle tient parfois des postures très fermes. » Mais pour le député européen, la nouvelle ministre ne pourra pas se le permettre sur ce dossier-là. « Ce sera la grande loi de son mandat, il vaut mieux pour elle éviter les attaques lorsque son projet sera examiné à l’Assemblée. »

Cette nouvelle mission sera « passionnante » et «difficile» , a anticipé Ségolène Royal lors de son discours d’investiture. La nouvelle ministre prévoit bien. D’autant qu’elle devra composer avec le reste du gouvernement, et des crédits limités. Avec l’objectif de d’économiser 1,5 milliard de dépenses publiques, la loi de finances 2014 a amputé de 500 millions d’euros le budget de l’Écologie, une coupe sèche prévue de longue date, qui avait d’ailleurs provoqué le départ de l’ancienne ministre Delphine Batho. Laquelle avait hérité en 2007 de la circonscription législative d’une certaine Ségolène Royal, dont elle a longtemps partagé le combat.

Politique
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