Patrick Modiano, prix Nobel de littérature

L’écrivain est récompensé pour son art de la mémoire et la manière dont il fait ressurgir le monde de l’Occupation. Une heureuse surprise.

Christophe Kantcheff  • 9 octobre 2014 abonné·es
Patrick Modiano, prix Nobel de littérature
© Photo : THOMAS SAMSON / AFP

C’est une formidable surprise, et elle prend de cours non seulement les bookmakers qui parient sur l’attribution du prix, mais aussi tout le milieu littéraire – et sans doute même l’éditeur de (presque) tous ses livres, Gallimard : le prix Nobel de littérature a été décerné à Patrick Modiano. Les jurés l’ont choisi « pour son art de la mémoire avec lequel il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le monde de l’Occupation. »

Patrick Modiano est en effet un romancier de la mémoire (et certainement pas un auteur de récits historiques), une mémoire qui se focalise dans nombre de ses romans autour de la Seconde guerre mondiale, à laquelle il mêle souvent intimement sa propre biographie et celle de ses parents – son père, juif, ayant trafiqué avec l’occupant. Ce fut le cas dès son premier livre, la Place de l’Etoile , paru en 1968, et récompensé par le prix Roger-Nimier et le prix Fénéon. Un titre qui désigne également une ville, Paris, où se déroule une grande partie de son œuvre, territoire que l’auteur connaît rue par rue, avec une inclination pour les arrondissements de l’ouest et du sud de la capitale.

L’écriture de Patrick Modiano est aussi claire et fluide que le passé qu’il fait ressurgir a la consistance d’un épais brouillard, dans lequel il retrouve des noms, repère des traces, dessine des silhouettes. Sa vision de l’Occupation est celle d’une période grise, interlope – un mot qu’il affectionne – où les destins sont fragiles. Certains peuvent hésiter entre la Résistance et la collaboration – comme le personnage de Lacombe Lucien (1974), film de Louis Malle dont Modiano a co-écrit le scénario, ou celui de son deuxième roman, Ronde de nuit (1969). D’autres, comme Dora Bruder , titre d’un de ses plus beaux romans (1997), une jeune fille juive de 15 ans qui est morte en déportation, ont été engloutis par l’Histoire.

Qui ne se souvient des passages de Patrick Modiano à Apostrophes, où l’écrivain était devenu l’un des invités préférés de Bernard Pivot, non pour sa volubilité, mais au contraire en raison de son incroyable difficulté à formuler des phrases qui iraient jusqu’à leur terme, le front plissé, avançant dans le langage comme dans une forêt inextricable, et ne cessant de répéter, parce que l’évidence des choses n’est certainement pas la matière d’un écrivain, et encore moins pour lui, « c’est bizarre »  ? C’est avec cette phrase, « c’est bizarre » , que Patrick Modiano a accueilli la nouvelle selon laquelle le prix Nobel lui était accordé.

Son nouveau roman , Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier , vient de paraître chez Gallimard. Nous y reviendrons très prochainement.

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