«Engrenages», sous le signe de la mère

La saison 5 d’ Engrenages aligne les duos mères-filles dans un scénario intimiste et un cadre de plus en plus mélancolico-réaliste.

Ingrid Merckx  • 26 décembre 2014
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«Engrenages», sous le signe de la mère
Photo : © Canal +

Qui ne connaît pas Laure Berthaud rate un virage de la série télé policière à la française. Laure Berthaud, c’est LA capitaine de police judiciaire d’ Engrenages . Une série Canal + qui vient de diffuser sa cinquième saison et dont le rythme, les dialogues, les sujets, le paysage et le ton ringardisent les autres séries policières.

Sans compter ce qu’elle révèle du travail de la police et de la justice et de leur étroite collaboration. Seule vrai absente de cette série : la presse. Les «médias» sont en fond de cour, plus pour enquiquiner le monde ou, à l’inverse, quand il faut «prévenir les gens» . Hormis ces rares exceptions, Engrenages ne semble pas vivre à l’heure d’internet, de l’open data et de la surmédiatisation.

Mais qu’importe, puisqu’il y a Laure Berthaud. Une sorte d’anti-Jack Bauer : Berthaud n’a rien d’omniscient, elle est sacrément humaine et c’est ce qui la rend particulièrement attachante. Elle vit, mange et dort PJ. Quand elle dort… La quarantaine ultra dynamique, elle n’a pas froid aux yeux, un bon zest d’insolence, de franc parler et d’humour, un camion de détermination, les sentiments à fleurs de peau mais bien contrôlés, tout l’impressionne – au sens de «laisser des traces» – mais rien ne l’arrête : aucune autopsie, aucune inhumanité en matière criminelle. Mais sa vie, c’est son boulot. Laure Berthaud, c’est du 100 % flic.

Le premier épisode de cette dernière saison la surprend dans une voiture avec un type qu’elle vient de draguer dans un bar. Laure tente de se remettre comme elle peut de l’absence de Sami, ancien collègue et amant, et de sa séparation avec Brémont, ancien collègue et amant. Découvrant du sang sur elle en plein ébat, elle apprend qu’elle est enceinte et vient de subir une rupture placentaire. Elle ne sait pas qui est le père. Elle ne veut pas garder l’enfant. Au petit matin, on l’appelle pour examiner le cadavre d’une femme, tiré du canal et ficelé à sa petite fille de 5 ans. Et le Capitaine Berthaud chancelle. Sa grossesse la change, à son corps défendant. Elle a des nausées, des émotions envahissantes – pas évident pour un flic de terrain – l’avortement qu’elle planifie est sans cesse reporté… Surtout, elle encaisse de moins en moins bien les rebonds de l’enquête.

La saison 4 plongeait au cœur d’une affaire de sans-papiers défendus par des militants de l’ultra-gauche. La saison 5 est plus intimiste, plus sombre, plus resserrée sur ces personnages de «vraie police» , leur dévouement, leur solitude dans un climat de raid Paris-banlieue mélancolico-réaliste. La relation mère-fille est plus qu’une récurrence au fil des épisodes, quasi un exercice de style à répertorier le nombre de duos qui se succèdent : la fille de la chômeuse, la fille sans mère, la fillette de la juge d’instruction, la fille de la coiffeuse…

Deux autres thèmes apparaissent : le gang de filles, au pire sens du terme, et les limites du respect de la procédure. Pour mener une enquête à son terme, suggère Engrenages qui est plutôt du genre à ruer dans les brancards de la bienséance et des faux-semblants, il faut savoir sortir de la régularité, poser des balises en s’assurant l’aide d’un garagiste véreux, lire le contenu d’une enveloppe qui ne nous est pas destiné, être déloyal vis à vis de celui qui nous a ouvert une porte, collègue ou indic, dire «merde» à la hiérarchie…

Le gang de filles est un sujet plus délicat pour cette série manifestement de gauche. Mais les scénaristes ont soigné le casting et la sociologie. Comme avec l’ultragauche, ils esquivent la caricature mais ni la violence ni la critique, ni l’humanité non plus. Engrenages , c’est rugueux et tendre, crépusculaire et terriblement emballant.

Laure Berthaud y est pour beaucoup : sa bouille, sa gouaille, ses cheveux en bataille, son look jean-pull-débardeur-blouson, son sourire désarmant, son obstination, ses convictions, ses intuitions, son indépendance, ses fragilités… En cela, l’avocate Joséphine Karlsson, la rousse fatale, bien mise mais nettement moins bien pensante, lui offre un reflet contraire plus qu’intéressant. Idem côté masculin pour Gilou le flic-nounours, Pierre le bel avocat brillant, ou le juge Roban… Berthaud derrière un bureau ? Ce sera peut-être le sujet de la saison 6, une manière de reposer la question de la conciliation maternité-travail dans un cadre qui lui est particulièrement hostile, y compris pour les hommes.

«Engrenages» , série Canal + avec Caroline Proust (Laure Berthaud), Grégory Fitoussi (Pierre Clément) Audrey Fleurot (Joséphine Karlsson), Philippe Duclos (François Roban), Thierry Godard (Gilou), Fred Bianconi (Fromentin).

Culture
Temps de lecture : 4 minutes
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