Pas de drone pour Amazon

Christine Tréguier  • 19 février 2015
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Les geeks en rêvaient, Amazon l’a fait. Fin 2013, le géant de la vente en ligne annonçait qu’il allait lancer un mode de livraison révolutionnaire : la livraison par drone.
Si, si, vous avez bien lu, par drone ! Jeff Bezos l’omnipotent patron de la multinationale aime décidement les scénarii de science-fiction. Début 2014, il déclenchait une salve d’articles de presse pour avoir déposé un brevet sur un concept novateur : la livraison avant commande. Grâce aux données personnelles laissées à chaque passage sur le site – emplettes, requêtes, connections ou encore temps passé sur une page – Amazon se faisait fort de faire tourner ses fameux algorithmes, jusqu’ici dédiés à la recommandation, pour prédire la prochaine commande et préparer le paquet à l’avance. Histoire, expliquait alors Bezos, de gagner sur le temps de livraison.

L’argument est le même pour son projet d’acheminement par drone, baptisée Amazon Prime Air. Gagner du temps et de l’argent pour amortir ces livraisons, promises en 48H ou 24H pour les clients Premium. Une obsession pour Bezos qui n’a depuis le début qu’un objectif, réduire à néant l’avantage des librairies bien réelles.
Pour crédibiliser la chose, il a fait réaliser une vidéo de démonstration. On y voit un mini-drone embarquer un colis de la taille d’un livre dans une boite jaune et aller déposer le tout sur la pelouse devant un pavillon. L’engin serait capable de livrer des paquets de 2,25 kg dans un rayon de 16 km. Selon Bezos les phases de test seraient bien avancées et ce dispositif « très écologique » pourrait être opérationnel aux Etats Unis d’ici quatre à cinq ans.

Mais la Federal Aviation Administration (FAA) vient de torpiller son rêve. Elle a tout récemment proposé un ensemble de règles encadrant la circulation des drones qui ne permettra pas ce type d’utilisation commerciale. Le pilote, qui devra disposer d’un permis et avoir reçu une formation aux règlements aéronautiques, devra garder un contact visuel avec son engin. Celui-ci ne devra pas dépasser 25 kg et ne sera autorisé à voler que de jour, en dessous de 152 mètres et sans survoler de public. La livraison en trente minutes n’est donc pas pour demain. Mais le concept reste un de ces coup de pub dont Amazon est friand et qui entretient le côté hi-tech-à-la-pointe-du-progrès de la marque.

Ce vernis n’est pas inutile car son image n’est par ailleurs pas des plus glamour et la firme traine derrière elle quelques casseroles. C’est de notoriété publique et cela fait des années que ça dure, Amazon perd de l’argent. La faute aux livraisons, mais aussi aux appétits de Bezos qui veut être sur tous les fronts. Au premier trimestre de l’année 2014, elle annonçait donc 19,74 milliards de dollars, mais pour la même période une perte de 146 millions de dollars, due à de nombreux investissements.

Plus grave, les médias se sont fait l’écho de la façon dont la société maltraite ses employés. Un journaliste, Jean-Baptiste Malet, a mené l’enquête en se faisant embaucher comme ouvrier intérimaire dans un entrepôt français. En 2013 il a publié un livre accusateur En Amazonie. Infiltré dans le « meilleur des mondes » qui dévoile les coulisses de la vente en ligne : entrepôts métalliques surchauffés l’été, glacés l’hiver, employés aux missions assignées – réceptionneurs, stockeurs, ramasseurs, emballeurs – esclaves du lecteur de code-barres et de la montre, fouilles systématiques y compris pour les pauses, intérimaires espagnols, grecs, polonais, ukrainiens, portugais convergeant en autocar des quatre coins de l’Europe pour le boum de fin d’année, secrétaires chinoises gérant les contrats à même le sol etc. Sans parler de l’intimidation des employés syndiqués, de l’incitation à la délation et du grand patron qui parfois appelle par téléphone et dont on diffuse la voix par haut-parleur pour stimuler les troupes…
Alors… toujours envie d’acheter chez Amazon ???

{{Sur le web}} [Un article de Jean-Baptiste Malet dans Le Monde Diplo->http://www.monde-diplomatique.fr/2013/11/MALET/49762]
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