« La Tête haute » d’Emmanuelle Bercot ; « l’Ombre des femmes » de Philippe Garrel

Christophe Kantcheff  • 14 mai 2015
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« La Tête haute », d’Emmanuelle Bercot

Illustration - « La Tête haute » d'Emmanuelle Bercot ; « l'Ombre des femmes » de Philippe Garrel

Depuis que des associations féministes ont dénoncé il y a quelques années le machisme du Festival de Cannes, les « autorités » de la sélection officielle (compétition, Un certain regard, séances spéciales, etc.), autrement dit le délégué général, Thierry Frémaux, et le désormais président, Pierre Lescure, font attention, mine de rien, de ne pas trop prêter le flanc à l’accusation. D’où, probablement, même s’ils le nient, la présence de deux réalisatrices parmi les sélectionnés de la délégation française dans la compétition : Valérie Donzelli et Maïwenn. Et une femme, française elle aussi, et comédienne comme les deux premières, pour « ouvrir les hostilités » (drôle d’expression, mais qui n’est peut-être pas complètement abusive à Cannes, où tout est loin d’être pacifique) : Emmanuelle Bercot, qu’on retrouvera, en tant qu’actrice, dans la distribution du film de Maïwenn.

Après un road-movie familial et sentimental, Elle s’en va (2013), Emmanuelle Bercot retrouve Catherine Deneuve en juge pour enfants, au tribunal de Dunkerque, face à un adolescent particulièrement difficile, Malony. Celui-ci est interprété par un nouveau venu au cinéma, Rod Paradot, trouvé dans un lycée professionnel où il faisait un CAP de menuiserie. La Tête haute est un film sympathique, qui montre une juge à l’écoute, compréhensive et combative, et différentes structures de prise en charge de ces jeunes, en lien avec le judiciaire, où les éducateurs sont tous très impliqués. Cet éloge du travail accompli dans ces services publics est une bonne chose. On peut maintenant compter sur Emmanuelle Bercot, fort concernée par ce qu’elle montre quand elle est cinéaste, pour répondre présente dans le débat public quand il faudra défendre ces mêmes services publics contre les coupes budgétaires. Du moins, espérons-le.

Mais, malgré la qualité de son interprétation (même si Sara Forestier en fait un peu trop en mère pauvre et irresponsable, avec fausses dents et cheveux gras), malgré le fait que Rod Paradot parvient à faire passer autant de violence que de fragilité dans son personnage, le film avance sur les rails de son programme sans jamais surprendre. On devine, dès les premières minutes, vers quelle résolution le film s’oriente. Reste au scénario à trouver les étapes du parcours, parfois un peu laborieusement, à l’issue duquel Malony mettra un terme à ses « 400 coups » et se sera radicalement réformé.

« L’Ombre des femmes », de Philippe Garrel

Illustration - « La Tête haute » d'Emmanuelle Bercot ; « l'Ombre des femmes » de Philippe Garrel

Il est possible que du côté de la Quinzaine des réalisateurs, on ne se pose pas la question du féminisme. La Quinzaine étant née au cœur des années activistes, le combat pour l’égalité des femmes, comme d’autres luttes de justice sociale ou sociétale, est inscrit dans ses gênes. Peut-être. En tout cas, la Quinzaine des réalisateurs a choisi pour film inaugural une œuvre qu’il n’est pas abusif de qualifier de féministe : l’Ombre des femmes , de Philippe Garrel.
Toujours fidèle au noir et blanc, et à une économie de petit budget, le cinéaste explore depuis longtemps les cruautés de l’amour, mais le fait ici d’un point de vue original. Pierre (Stanislas Merhar), marié avec Manon (Clotilde Coureau), a aussi une jeune maîtresse, Elisabeth (Lena Paugam), pour laquelle il ne compte pas quitter sa femme. Elisabeth découvre que Manon a elle-même une relation extra-conjugale et l’apprend à Pierre, qui ne parvient pas à surmonter cette révélation, bien que Manon ait immédiatement reconnu sa liaison et mis un terme à celle-ci. La possibilité d’entretenir deux relations amoureuses – celle avec Manon étant plus chaotique mais certainement plus profonde – que Pierre se reconnaissait sans difficulté, il ne le supporte pas pour sa femme.

L’action de l’Ombre des femmes ne se déroule pas pour autant au cours d’une décennie passée – même si Philippe Garrel n’abuse pas des signes de modernité. L’Ombre des femmes donne au contraire une sensation de grande contemporanéité, et, par là, met au jour ce qu’a hérité un homme d’aujourd’hui d’un comportement phallocrate soit disant d’un autre âge.
Mais, comme toujours, la manière de Philippe Garrel n’est pas celle d’un analyste – même si la psychanalyse joue un rôle prédominant chez lui – ni celle, encore moins, d’un militant. Elle est celle d’un artiste qui éprouve compréhension et tendresse pour chacun de ses trois personnages. Il n’en sacrifie aucun et leur souffrance n’est jamais tempérée par un jugement moral que le cinéaste s’autoriserait.

Mais les preuves d’amour les plus nombreuses sont sans aucun doute données par Manon, jusque dans le travail, aléatoire, que Pierre et Manon accomplissent ensemble : la réalisation de documentaires. À ce propos, et sans en dévoiler trop, Philippe Garrel introduit un élément troublant sur la mystification du témoignage, qui ne laisse, après coup, d’interroger sur les apparences de la sincérité, qui est aussi l’un des sujets de ce très beau film.

Photo la Tête haute : ©Luc Roux Photo l'Ombre des femmes : ©DR
Temps de lecture : 5 minutes
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