Loi sur le renseignement : l’étonnant virage à 180° de Denis Baupin

Le député de Paris peine à expliquer pourquoi, avec quatre autres députés du groupe écologiste, il a voté ce texte jugé « liberticide » par la grande majorité d’EELV. Cet épisode promet d’alimenter au prochain Conseil fédéral les polémiques sur les divergences stratégiques à l’égard du gouvernement, qui divisent le parti.

Pauline Graulle  • 8 mai 2015
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Loi sur le renseignement : l’étonnant virage à 180° de Denis Baupin
© Photo: CITIZENSIDE/AURÉLIEN MORISSARD / CITIZENSIDE.COM

Embarrassé. Au téléphone, Denis Baupin, pourtant pas un habitué de la langue de bois, n’est pas à l’aise quand il s’agit d’expliquer son choix. C’est que, contrairement aux dix autres députés EELV et aux trois « apparentés », il a voté, mardi, avec quatre de ses camarades de l’hémicycle (François de Rugy, Éric Alauzet, Christophe Cavard et François-Michel Lambert), « pour » la loi sur le renseignement.
_ Si, on le sait, la discipline n’est pas la règle chez les écolos, c’est en revanche une première que des Verts, qui ont traditionnellement le sécuritaire en horreur, votent pour une loi jugée « liberticide » . Et un sacré retournement de veste de la part de membres de cette famille politique dont la secrétaire nationale avertissait il n’y a pas si longtemps, qu’un « patriot act » à la française était la pire des réponses aux attentats de début janvier.

### Daesh, « une mauvaise chose »

Alors, quand on lui fait part de notre étonnement devant son vote, Denis Baupin louvoie, reste flou :
« Dans une loi, on a toujours des tas d’articles avec lesquels on n’est pas trop d’accord et des choses qui vont dans le sens qu’on souhaite. »
« Je ne suis pas pour les atteintes aux libertés publiques, mais il fallait bien encadrer juridiquement des pratiques qui avaient déjà lieu » , poursuit-il, au nom du pragmatisme. Et d’avancer qu’il fallait bien moderniser le renseignement à l’ère Internet, « la loi précédente datant d’avant les NTIC » . Un argument que réfutait récemment dans Politis la secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, Laurence Buisson, qui expliquait au contraire que le pouvoir avait déjà toutes les cartes en main pour traquer les terroristes.
Lire > « Ne sapons pas la démocratie au prétexte de la défendre »
_ On fait remarquer à Denis Baupin que la loi a provoqué un tollé dans son propre parti. Mais aussi chez bon nombre de députés socialistes (voir ici ou ), chez les associations de défense des libertés – même l’Association Française des Victimes du Terrorisme est contre (lire ici) –, ou chez certains juges, dont Eva Joly, qui a qualifié cette loi de « scélérate » … Jusqu’à la Garde des Sceaux elle-même qui, après avoir tenté en vain de supprimer une disposition dangereuse introduite en commission des lois par le député EELV Christophe Cavard, a expliqué, sur Europe 1, qu’elle aurait défilé contre ce texte si elle n’avait pas été au gouvernement !
_ Le député reste inflexible :
« Les associations sont dans leur rôle, mais notre responsabilité en tant que parlementaires, c’est de lutter contre le terrorisme. On a voté le texte, mais on a fait en sorte qu’il y ait une saisine du Conseil constitutionnel sur l’ensemble du texte afin qu’il en évacue les dispositions intentatoires aux libertés publiques » , justifie-t-il.
Avant d’estimer que, sur le fond, « si on trouve que Daesh est une mauvaise chose, on doit pouvoir éviter que ces gens nous mènent la guerre » .

### Gouvernement

Qu’il semble loin le temps où Denis Baupin, conseiller de Paris, expliquait pourquoi il fallait « se battre pied à pied » contre la mise en place d’un petit millier de caméras de vidéosurveillance dans les rues de la capitale ! À l’époque (c’était en 2009), il s’agissait de lutter contre la « dérive sécuritaire » d’un tel dispositif, écrivait-il dans une tribune toujours en ligne sur son blog. « Il ne faut pas faire d’amalgame entre la loi et la vidéosurveillance, qui ne sert d’ailleurs pas à empêcher le terrorisme ! » , rétorque-t-il aujourd’hui.
_ Chez EELV, où l’on s’attend à un conseil fédéral houleux samedi, les militants hésitent entre rire ou pleurer devant le vote de ces députés que certains surnomment le « club des cinq » . Comme en témoignent les nombreux messages de déception, d’indignation ou de moquerie qui circulent sur Twitter :

Illustration - Loi sur le renseignement : l'étonnant virage à 180° de Denis Baupin

« La position de ces députés est archi-minoritaire dans le mouvement, qui s’apprête à voter samedi une motion de rejet du PJL [loi sur le renseignement] » , estime Julien Bayou, porte-parole d’EELV et l’un des principaux animateurs de la mobilisation contre le projet de loi en début de semaine. « Ils ont voulu transformer ça en vote de soutien au gouvernement, mais les arguments sont pauvres : argumenter qu’on vote cette loi pour pouvoir l’amender la prochaine fois avant l’examen du Conseil constitutionnel, on a fait plus clair ! » , grince-t-il.

Un soutien au gouvernement qui n’est sans doute pas innocent dans cette période où François Hollande a laissé planer l’espoir d’un retour des écologistes au gouvernement. Comme le résume en off cette militante écolo : « Ils n’ont pas voulu froisser un gouvernement dont ils estiment qu’ils veulent en être. »

Politique
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