Geórgios Katroúgalos : « Un champ de bataille nouveau s’est ouvert »

ENTRETIEN. Syriza a certes perdu la bataille de la dette, mais rien n’est encore joué s’agissant de la défense des droits des travailleurs, estime le ministre du travail du gouvernement Tsipras-2.

Michel Soudais  • 17 septembre 2015
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Geórgios Katroúgalos : « Un champ de bataille nouveau s’est ouvert »
© Entretien réalisé en français, le samedi 12 septembre, sans relecture de M. Katroúgalos. Crédit Photo: Michel Soudais

Professeur de droit public à l’université Démocrite de Thrace, Geórgios Katroúgalos , était l’un des députés européens de Syriza avant de devenir ministre après la victoire électorale de son parti le 25 janvier. En charge de la Fonction publique et de la Réforme administrative, dans le premier gouvernement d’Alexis Tsipras, il a été nommé ministre du Travail et de la Solidarité sociale lors du remaniement consécutif à l’acceptation par le chef du gouvernement d’Athènes du calamiteux accord européen du 13 juillet.
A la Fête de l’Humanité, où nous l’avons rencontré entre deux débats, il s’est dit persuadé que le mémorandum n’entrave pas la mise en œuvre de politiques progressistes dans le droit du travail. Sans ignorer les obstacles qu’il pourrait rencontrer dans ce domaine, il veut porter la question de la réglementation du travail au niveau européen.

Est-il possible d’améliorer la situation des travailleurs grecs malgré le mémorandum 3 ?
Geórgios Katroúgalos: Le cas grec n’est pas un cas isolé. C’est un maillon de la bataille majeure en Europe entre la vision d’une Europe néolibérale d’austérité et de dérégulation et celle d’une Europe sociale. Il est vrai qu’avec le nouveau mémorandum nous sommes contraints de suivre des politiques qui ne sont pas les nôtres. Mais en ce qui concerne le travail, nous disposons d’une marge de manœuvre pour mener notre politique. Le mémorandum prévoit en effet qu’il faut « légiférer selon les bonnes pratiques européennes ».

Selon nous, ces bonnes pratiques ce sont les accords collectifs, le dialogue social, les droits sociaux, le droit du travail. Pour un créancier, les « bonnes pratiques » c’est certainement exactement le contraire (dérégulation, libéralisation…). On a donc là un champ de bataille nouveau. Nous allons négocier non pas sur les mots mais sur le contenu de notre politique.

Nous essayons de porter cette discussion au niveau européen, et plus précisément au niveau du Parlement européen. On a demandé à son président, Martin Schulz, et à mon niveau au président du comité de l’emploi au Parlement européen, de veiller sur les négociations parce que si les bonnes pratiques devaient être la dérégulation et le démantèlement des droits du travail, cela s’appliquerait aujourd’hui à Athènes, mais demain à Rome ou Lisbonne…

Vue de France, il n’est pas douteux que la dérégulation fait partie des « bonnes pratiques européennes ». Partout l’Union européenne demande de déréglementer le marché du travail, et le gouvernement français vient d’annoncer une réforme du code du travail
La loi Macron est vraiment une loi qui ne correspond pas aux valeurs sociales mais à une conception néolibérale des transformations du monde du travail. Dans le champ de bataille dont je viens de parler, il y a des forces sociales et des forces politiques qui se font face. Et j’ai l’impression qu’un des résultats positifs du sommet du 12 juillet est que les sociaux-démocrates ne présentent plus un front uni. Jusque-là, ils formaient un bloc monolithique avec les néolibéraux. Maintenant, on voit quelques fissures en leur sein. J’espère qu’à l’avenir on pourra persuader au moins la gauche de la social-démocratie de se joindre à cette lutte pour le droit du travail et les droits sociaux.

Le mémorandum a violé la Charte sociale européenne

Vous pensez que le Parlement européen peut jouer un rôle pour défendre les droits des travailleurs malgré le rapport de force que vous connaissez pour avoir été député européen jusqu’en janvier ?
C’est vrai. Mais, même en tenant compte de ce rapport de force, on a vu que le Parlement européen était très critique à l’égard de la troïka, parce qu’elle n’est pas une institution européenne. Autre avantage majeur du Parlement européen : le dialogue y est transparent. Le Parlement européen pourrait être un outil politique pas seulement pour ses décisions propres mais parce qu’il fonctionne comme un lieu de dialogue public sous le regard des citoyens européens.

Cette semaine, la Cour de justice européenne a rendu un jugement qui dit que le temps de trajet des salariés itinérants doit être compté comme un temps de travail (Lire ici). De la part cette Cour, une décision favorable aux travailleurs est une première, non ?
Juriste, je ne peux pas commenter un texte que je n’ai pas lu. Ce que je peux dire c’est que la justice est un autre champ de bataille. Même au sein des arrêts juridiques, la confrontation entre ceux qui veulent continuer la tradition du modèle social européen et les autres existe. Donc j’espère que la justice vienne en aide à nos idées sociales. Je ne donnerai qu’un exemple : le comité des droits sociaux, qui veille au respect de la charte sociale européenne, a considéré que le mémorandum grec a violé cette charte. Preuve qu’on peut avoir des arrêts juridiques utiles à notre lutte sociale.

On vote dimanche prochain dans votre pays. Avez-vous bon espoir, malgré le 13 juillet, d’être toujours soutenu par le peuple grec ?
On va gagner les élections. Je suis très optimiste parce qu’en Grèce on a deux fronts politiques. L’un est le même que celui des autres peuples de l’Europe ; il nous oppose au néolibéralisme. L’autre front, spécifique à notre pays, nous met aux prises avec les oligarques et le système de corruption politique économique qui régnait jusqu’au 25 janvier. Le peuple grec n’oublie pas cette situation. Et j’ai confiance qu’il ne va pas arrêter notre expérience d’un gouvernement de gauche et nous donnera une seconde chance.

Dans les débats de la fête, des militants se sont inquiétés de la possibilité que Syriza gouverne avec le Pasok, comme Alexis Tsipras l’a envisagé
Pour moi, ce n’est pas une option politique, précisément parce que le Pasok faisait partie du bloc des corrompus et des oligarques. Maintenant, le Pasok n’est pas le Pasok d’antan. Il fait moins de 5 % ; ce n’est pas une force politique majeure. Mais j’espère qu’on aura la possibilité de former un gouvernement sans l’appui d’autres partis politiques. C’est le pari de cette élection : avoir la possibilité de gouverner par notre force propre afin de ne pas neutraliser notre potentiel subversif, notre capacité à rompre avec l’établissement ancien en Grèce.

Monde
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