Vaccins : comment les labos font la loi

Pénurie de DT-Polio, échec du vaccin anti-grippe, mise en cause du Gardasil : la désinformation et une série de scandales alimentent les doutes, tandis que l’industrie pharmaceutique continue de toucher le jackpot.

Ingrid Merckx  • 28 octobre 2015 abonné·es
Vaccins : comment les labos font la loi
© Photo : DESMAZES/AFP

Le 28 septembre 2015, les sénateurs débattent du projet de loi de santé. Laurence Cohen (Front de gauche) dépose un amendement demandant « de suspendre le recours à des vaccins dont les adjuvants peuvent se révéler toxiques ». Rejeté. Aline Archimbaud (membre du groupe écologiste au Sénat) dépose un autre amendement « de repli » : « Les producteurs ont pour obligation d’assurer la possibilité de substitution aux vaccins […] contenant un adjuvant avec aluminium par des vaccins équivalents […] sans aluminium. » Rejeté également. « Il ne faudrait pas qu’une campagne anti-vaccination, même limitée à l’adjuvant, participe au discrédit de la vaccination », explique Gérard Roche (UDI). « Je ne suis pas contre les vaccins, je suis pour la liberté de choix !, riposte Aline Archimbaud. Puisque certains vaccins sont obligatoires en France, contrairement à chez nos voisins, qu’on puisse au moins en prendre sans adjuvant ! » La situation est paradoxale : « Parce qu’il existe des suspicions concernant ces fameux vaccins sans sels d’aluminium, on les retire de la vente, tandis que les vaccins avec des sels d’aluminium, pour lesquels il existe également des suspicions, continuent d’être proposés aux patients », s’étonne Annie David (PC). Commentaire de Laurence Cohen : « C’est Sanofi qui va être content ! »

L’industrie fait la politique vaccinale

Ces quelques échanges concentrent les aberrations de la politique vaccinale actuelle. En 2008, les DT-Polio sans adjuvants, qui ont donné satisfaction durant plus de quarante ans, ont été retirés de la vente parce que le fabricant avait constaté un accroissement du nombre d’allergies. S’y sont substitués des vaccins avec adjuvants, dont la toxicité est régulièrement dénoncée. Sauf que le DT-Polio, obligatoire chez les jeunes enfants, est en rupture de stock. Les parents ne peuvent plus choisir entre le vaccin contenant les trois valences (diphtérie, tétanos, poliomyélite) et les autres, qui en contiennent quatre (+ coqueluche), cinq (+ méningite), ou six (+ hépatite B). En cette rentrée 2015, le vaccin avec adjuvants + hépatite B est imposé sans alternative. En outre, l’hexavalent coûte sept fois plus cher que le DT-Polio traditionnel : 40 euros au lieu de 6,34, remboursé à 65 % par la Sécurité sociale ! En multipliant le nombre d’entrées en collectivité (crèches et écoles) par le prix de ce vaccin, on obtient une idée du bénéfice engendré par cette pénurie qui devrait durer jusqu’à mi-2016. « Faillite et incompétence, dénonce Bruno Toussaint, directeur de Prescrire, seule revue médicale indépendante. Le premier métier de l’industrie pharmaceutique, c’est de produire des médicaments de qualité en quantité suffisante. » « Cette pénurie a-t-elle été organisée ? », interroge la députée européenne Michèle Rivasi, initiatrice de l’opération « Mains propres sur la santé » et organisatrice avec Jean-Louis Roumégas, député de l’Hérault, d’un colloque intitulé « Désintoxiquons notre santé de l’emprise des lobbys », le 22 octobre à l’Assemblée. « On nous répond qu’on ne peut pas contraindre l’industrie ! », s’est offusqué Jean-Louis Roumégas. « Il faut que le politique reprenne le pouvoir sur l’économique !  », a lancé Michèle Rivasi. En guise de réponse à leur invitation à débattre, le puissant syndicat des entreprises du médicament (Leem) a écrit à Claude Bartolone, président de l’Assemblée, une lettre où il s’offusque de voir le logo du Palais Bourbon figurer sur le programme d’une manifestation « anti-industries ». « Tous les grands médicaments ont été inventés entre 1950 et 1990, a rappelé le professeur Philippe Even, ancien président de l’Institut Necker [^2]. Mais, à partir des années Reagan, le capitalisme a changé de visage et les actionnaires ont pris le pouvoir dans les firmes. » Et 1990 marque un tournant : pour se maintenir malgré la concurrence des génériqueurs, et en l’absence de nouveaux médicaments, les firmes misent sur des blockbusters coûteux qu’elles imposent aux systèmes de santé. « L’industrie pharmaceutique vend de la peur, reprend Philippe Even. Mais il lui faut des porte-parole. Aujourd’hui, ses leaders d’opinion sont infiltrés dans toutes les réunions et tous les cabinets politiques. » Le 4 février 2014, François Hollande a déclaré : « D’ici cinq ans, nous doublerons la couverture vaccinale contre le cancer du col de l’utérus. » De quoi réjouir Merck et Sanofi Pasteur MSD, qui se partagent le marché avec le Gardasil et le Cervarix, dont l’efficacité et l’innocuité sont mises en cause depuis leur commercialisation en 2006. Ils font l’objet d’un suivi renforcé de pharmacovigilance, et le Gardasil passe régulièrement devant les tribunaux en raison d’effets secondaires graves. Ce qui ne l’a pas empêché de rapporter 1,6 milliard de dollars de chiffre d’affaires en 2012. « L’industrie pharmaceutique est la première industrie mondiale », souligne Michèle Rivasi dans le Racket des laboratoires pharmaceutiques [^3], ouvrage écrit avec l’ex-juge d’instruction au pôle santé Marie-Odile Bertella-Geffroy et le lanceur d’alerte Serge Rader. « Dans les années 1980, quand la direction affichait 8 % de bénéfices annuels, elle était contente. Aujourd’hui, elle affiche + 25 % et elle n’est pas contente », a résumé Thierry Bodin, statisticien CGT chez Sanofi [^4].

Ouvrir le débat

« La vaccination, ça ne se discute pas », a déclaré Marisol Touraine le 29 mai dernier, en réponse au professeur Henri Joyeux, ce chirurgien cancérologue qui a obtenu près de 700 000 signatures à une pétition contre le DT-Polio hexavalent. « Il ne faut pas avoir de doutes par rapport aux vaccins », a ajouté la ministre de la Santé, annonçant la tenue d’un débat cet automne. Mais l’heure est au doute : vaccin anti-hépatite B et maladies auto-immunes, vaccin contre la grippe H1N1 et fausse pandémie, neurotoxicité des sels d’aluminium, lien de causalité entre des cas d’autisme et le vaccin ROR (rougeole, oreillons, rubéole), dizaine de décès et milliers de conséquences graves imputés au Gardasil, douzaine de décès de nourrissons liés aux Rotateq et Rotarix contre la gastro-entérite, nanoparticules « ni biodégradables ni biocompatibles » dans les vaccins… Si la peur du vaccin prend le pas sur la peur de la maladie, l’industrie pourrait-elle perdre du terrain ? « La vaccination en France, c’est une religion, un tabou », lâche Michèle Rivasi. Chaque lanceur d’alerte étant perçu comme non légitime, non scientifique, et membre d’un lobby susceptible de détourner la population de la vaccination. « Le “lobby” anti-vaccinal n’a pas pignon sur rue », observe Sébastien Barles, coordinateur de l’opération Mains propres sur la santé. Est-il organisé ? Fait-il des profits ? Plutôt une nébuleuse de doutes dans une France très pasteurienne, avec des médecins souvent crédules (seuls 30 % des généralistes sont abonnés à Prescrire ), quand ils ne sont pas conditionnés dès leurs études par l’omniprésence des labos dans les facultés, séminaires, publications… Cependant, la méfiance de la population porte moins sur la vaccination dans son ensemble que sur certains vaccins, à la suite d’une série de scandales qui laissent aux patients le sentiment qu’on leur cache certaines vérités. Le calendrier vaccinal est publié par le Comité technique des vaccinations (CTV), lequel dépend du Haut Conseil de la santé publique. Cette instance est censée informer sur les recommandations mais aussi sur les risques. Or, le Formindep, collectif « pour une formation et une information médicales indépendantes », a noté que le CTV avait omis, par exemple, de faire état des risques de convulsions entraînés par l’injection simultanée des vaccins Infanrix et Prevenar aux nourrissons. « Le Comité technique des vaccinations, premier anti-vaccinaliste de France ? », a lancé le collectif avec un brin de provocation, suggérant que c’est surtout le défaut d’information qui entraîne la méfiance. Pourquoi une telle désinformation ? « La situation du professeur Daniel Floret, président du CTV, est un puissant concentré de collusions public/privé », révèlent Michèle Rivasi, Marie-Odile Bertella-Geffroy et Serge Rader, qui détaillent dans leur livre ses liens avec Sanofi, BioMeirieu, GSK, Pfizer, le Leem… « Pour des raisons économiques, l’industrie pharmaceutique travaille à flux tendu », a plaidé Daniel Floret pour expliquer la pénurie actuelle. Mais quelle obligation de production sur cette industrie en partie financée par la Sécurité sociale et le crédit impôt recherche ? Et combien d’études indépendantes ? « Un à deux tiers des experts du CTV sont financés par l’industrie pharmaceutique. Comment leur faire confiance ? », insiste Michèle Rivasi. Combien de familles demandent-elles des faux certificats de vaccination ? Et quel contrepoids face au Léviathan ? Trois mille fonctionnaires des agences et organismes publics de santé, quatre directions du ministère de la Santé et des dizaines d’agences régionales : « Le combat est trop inégal. Il faut que les citoyens se lèvent », clame Philippe Even.

La nécessité de contre-pouvoirs

Mais à quel médecin se vouer, et quelle étude croire ? Combien de personnes ont reçu cet automne un courrier de l’Assurance maladie les invitant à se faire vacciner contre la grippe, alors même qu’elles apprenaient que le vaccin 2014 avait été un échec parce qu’actif sur une souche antérieure du virus ? Sur le Gardasil, Prescrire se montre catégorique : « Mieux vaut un dépistage régulier – par frottis – que ce vaccin sur lequel nous n’avons pas encore assez de recul. » De même, sauf cas exceptionnels, inutile de vacciner les nourrissons contre la gastro-entérite. En revanche, Bruno Toussaint recommande le DT-Polio, même sous sa forme hexavalente : « Mieux vaut protéger les enfants contre le tétanos, qui s’attrape via une bactérie présente dans la terre, impossible à éradiquer. » Sauf que les rappels pour les enfants de 6 ans sont introuvables en pharmacie. « Une des raisons de la pénurie, explique Michèle Rivasi, c’est que les firmes ont délocalisé la production en Inde et en Chine, ce qui fragilise notre sécurité sanitaire. » Raison pour laquelle la députée voudrait voir relocalisée la production. Autre solution avancée : inverser la charge de la preuve lors de plaintes en justice, de sorte que ce soit aux laboratoires de prouver que les dommages ne sont pas dus à leur vaccin et non aux personnes malades de prouver le lien entre un vaccin et leur pathologie. Puis créer un Pôle public du médicament, prévoir des sanctions en matière de pharmacovigilance et injecter de la transparence dans les essais cliniques. « Être draconien » sur les conflits d’intérêts et lutter contre l’emprise des lobbys sur les étudiants en médecine, missions que se sont données les associations Génération cobayes et Anticor. Enfin, remettre en cause l’obligation vaccinale. La liberté de choix assurant une meilleure couverture vaccinale, comme c’est le cas en Italie : mieux compris, les vaccins sont mieux acceptés.

[^2]: Il vient de publier Corruptions et crédulité en médecine, Le Cherche-Midi, 2015.

[^3]: Le Racket des laboratoires pharmaceutiques, et comment en sortir, Michèle Rivasi, Serge Rader et Marie-Odile Bertella-Geffroy, Les petits matins, 2015.

[^4]: Sanofi-Big Pharma, l’urgence de la maîtrise sociale, Danielle Montel, Daniel Vergnaud, Danielle Sanchez et Thierry Bodin, Syllepse, 2014.

Société Santé
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